Travail temporaire : le droit à l’emploi ne justifie pas la poursuite forcée d’un contrat rompu

Travail temporaire : le droit à l’emploi ne justifie pas la poursuite forcée d’un contrat rompu

Publié le : 03/11/2017 03 novembre nov. 11 2017

Quand la requalification du contrat de travail temporaire en contrat à durée indéterminée intervient après le terme, la poursuite du contrat ne peut être ordonnée au nom du droit à l’emploi qui n’est pas une liberté fondamentale le justifiant.

Cass. Soc. 21 septembre 2017, n°16-20270, 16-20277

Les faits et la procédure :


Une société de travail temporaire met à la disposition d’un de ses clients un salarié dans le cadre d’un contrat de mission (article L.1251-16 du Code du Travail) ayant vocation à courir du 10 juillet 2012 au 31 décembre 2013.
Pour des motifs inhérents à une irrégularité invoquée de la relation de travail temporaire, le salarié a saisi le Juge avant la fin de son contrat de mission, en référé devant la juridiction prud’homale, laquelle a ordonné à titre provisoire la poursuite du contrat et renvoyé l’affaire devant le Juge du fond quant à la demande de requalification.

Cette Ordonnance sera ultérieurement infirmée par la Cour d’Appel le 05 septembre 2014 et entre temps le Conseil de Prud’hommes au fond requalifiera la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée tout en ordonnant la poursuite du contrat de travail, malgré le fait qu’il ait trouvé son terme antérieurement ce qui fut confirmé par la Cour d’Appel dans l’arrêt du 11 mai 2016, objet du pourvoi.

Le salarié, dans le contexte d’une Ordonnance de référé qui lui avait donné satisfaction en ordonnant la poursuite « provisoire » du contrat au-delà de son terme (Ordonnance infirmée le 05 septembre 2014), faisait valoir sa liberté fondamentale au maintien dans l’emploi au soutien de sa demande satisfaite jusqu’en cour d’appel, de voir la relation contractuelle poursuivie nonobstant le terme du contrat de mission au 31 décembre 2013, soit donc antérieurement à la requalification.

L’entreprise utilisatrice faisait valoir les dispositions des articles L.1251-39 et suivants du Code du Travail lesquelles ne prévoient pas expressément à titre de sanction la poursuite des relations contractuelles entre l’intérimaire et la société utilisatrice.

La décision, son analyse et sa portée :


Dans un contexte bien moins simple qu’il n’y paraît, la Cour de Cassation a :
  • pris appui sur la date de la décision de requalification au regard de la date d’expiration du contrat de mission marquant la rupture dudit contrat antérieurement à la requalification,
 
  • pour considérer que la rupture n’était pas susceptible d’annulation faute de violation d’une liberté fondamentale ; le « droit à l’emploi », ne pouvant justifier la poursuite forcée du contrat,
 
  • au profit d’une indemnisation du salarié lésé.
     

La requalification du contrat de travail temporaire : entre mécanisme d’exécution forcée au profit du contrat à durée indéterminée et sanction pécuniaire


Les dispositions du Code du Travail en matière de travail temporaire sont décidément originales, spéciales dirait-on, au sein d’un droit du travail lui-même spécial au sein du droit des contrats.

La sanction d’une relation de travail temporaire non conforme aux conditions restrictives du Code du Travail au regard du point de repère que constitue le contrat à durée indéterminée, est la requalification, principalement à l’égard de l’entreprise utilisatrice compte tenu des dispositions des articles L.1251-39 et suivants du Code du Travail.

Cette requalification est au profit du contrat à durée indéterminée et s’est donc posé logiquement aux rédacteurs et inspirateurs de ces dispositions la question de savoir quelles seraient les conséquences de cette requalification au regard de l’emploi du salarié.

Au-delà de la requalification conséquence de la poursuite effective de la relation contractuelle entre l’entreprise utilisatrice et le salarié hors le cadre du travail temporaire, qui renvoie à la situation classique d’un travail sans contrat écrit et donc d’un contrat à durée indéterminée à temps plein, le mécanisme des conséquences de la requalification oscille entre mécanisme d’exécution forcée de la poursuite de la relation contractuelle en CDI et la simple sanction pécuniaire d’une rupture devenue sans cause réelle et sérieuse du fait de la requalification postérieure.

Car c’est bien la date d’intervention de la requalification par rapport au terme du contrat de mission qui constitue l’évènement qui fera basculer d’un mécanisme d’exécution forcée à un mécanisme de sanction pécuniaire (1).

Dans le cadre d’une première hypothèse la requalification intervient antérieurement au terme du contrat de mission.

C’est ce qu’a expressément prévu le législateur en édictant une procédure rapide directement portée devant le Juge du fond, sans préalable de conciliation, afin de permettre qu’une décision de requalification éventuelle intervienne avant le terme du contrat de mission pour permettre sa transformation en contrat à durée indéterminée par l’effet de la décision judiciaire exécutoire par provision de droit (2) et donc la poursuite de la relation contractuelle à durée indéterminée même après le terme qui avait vocation à survenir à une date postérieure.

C’est le mécanisme de l’article L.1251-41 alinéa 1er du Code du Travail qui permet de saisir directement le Juge du fond qui doit statuer dans le délai d’un mois suivant la saisine qui, lié aux dispositions de l’article L.1251-40 du même Code prévoyant que le salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission, aboutit à un mécanisme d’exécution forcée de la relation contractuelle au profit d’un droit à l’emploi effectif à durée indéterminée, puisque la transformation du contrat en CDI interviendra avant le terme du contrat de mission.

Dans le cadre d’une deuxième hypothèse, la demande de requalification intervient soit en temps non utile pour permettre la requalification avant l’échéance du contrat de mission, soit et ce cas est extrêmement fréquent en pratique, dans le délai de prescription de l’action prud’homale postérieurement à l’échéance du contrat de mission.

Dans cette hypothèse, la requalification ne peut conduire qu’à une sanction pécuniaire, puisque la rupture du contrat est déjà intervenue du fait de son terme.

Les dispositions de l’article 1251-41 alinéa 2 du Code du Travail renvoient en effet alors expressément aux règles relatives à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, c’est-à-dire à une rupture devenue sans cause réelle et sérieuse, puisque le terme du contrat de mission a marqué la fin du contrat alors qu’en fait, du fait de la requalification, il s’agissait d’un contrat à durée indéterminée et qu’il aurait été nécessaire de respecter la procédure idoine tout en motivant, aux fins de permettre le contrôle de la cause réelle et sérieuse, le licenciement qui en tout état de cause ne pouvait pas avoir pour motif réel et sérieux le terme du contrat ainsi requalifié…

L’entreprise utilisatrice était donc bien fondée dans son argumentation et la situation était d’autant plus paradoxale qu’il est en pratique curieusement extrêmement rare qu’une demande de requalification d’un contrat de mission en justice ait pour objet véritable la poursuite du contrat.

En effet, tribut des employeurs utilisateurs aux règles restrictives de recours au travail temporaire, et effet d’aubaine pour les salariés concernés, les actions visent essentiellement à obtenir des sommes d’argent de la juridiction prud’homale tant pour des motifs de fond que des motifs de forme.

Les ordonnances de septembre 2017 se sont penchées sur cette dernière question en supprimant notamment le cas de requalification lié à la transmission tardive du contrat de mission au salarié intérimaire (article 4 de l’Ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017).

Mais ce mécanisme dans le cas d’espèce a été mis à l’épreuve par le salarié et l’organisation syndicale qui l’assistait, au titre de l’éventuelle violation d’un droit fondamental : le droit à l’emploi.

La violation d’un potentiel droit fondamental (le droit à l’emploi) était-elle de nature à permettre au Juge d’ordonner la poursuite de la relation contractuelle à durée indéterminée même après le terme du dernier contrat de mission ?


C’est la question à laquelle la Cour de Cassation s’est trouvée confrontée.

En effet, les raisonnements évoqués ci-dessus ne peuvent tenir que dans l’hypothèse où la rupture du contrat de mission, c’est-à-dire le terme contractuel de ce dernier, ne peut pas être considéré comme nul, ce qui pourrait être envisagé si l’intervention de ce terme et la rupture qu’il implique constitue la violation d’un droit fondamental.

En effet, de jurisprudence constante y compris en l’absence d’un texte spécifique, la violation d’une liberté ou un droit fondamental à l’origine de la rupture d’un contrat de travail est susceptible d’engager sa validité même et de provoquer une décision constatant sa nullité.

Dans cette hypothèse et dès lors à l’inverse du processus de résolution, il serait permis de considérer en conséquence d’une rupture nulle et de nul effet, la poursuite de la relation contractuelle le cas échéant en contrat à durée indéterminée après requalification.

La Cour de Cassation paraît ne pas avoir écarté du raisonnement cette hypothèse qu’elle a prise en compte et que la décision ne permet pas en elle-même et en théorie d’écarter.

En revanche, la Cour de Cassation a considéré que le droit à l’emploi invoqué comme étant la liberté fondamentale en jeu en conséquence de la violation par l’employeur des dispositions relatives aux conditions restrictives de recours au travail temporaire, ne constituait pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat de travail aux termes de la mission.

Par là-même, la Cour de Cassation si les mots ont un sens précis, ce qui est évidemment le cas, ne se prononce pas directement sur la valeur de la liberté fondamentale invoquée, mais sur ses potentiels effets en considérant qu’elle n’est pas de nature à justifier la poursuite du contrat déjà rompu du fait de l’intervention de son terme.

Cette décision est tout à fait conforme à la jurisprudence de la Cour de Cassation qui n’a jamais reconnu au titre d’une incidence au moins dans les relations individuelles de travail ce droit potentiel.

On rappellera que la question du « droit à l’emploi » quelque fois qualifié de « droit au travail », ou de « droit d’obtenir un emploi », agite philosophes, politiques et juristes depuis notamment la révolution de 1789.

On trouve l’évocation du droit au travail dans la déclaration des droits de l’homme de 1793 vite abandonnée.

Louis Blanc le décrète brièvement le 26 février 1848 au nom du gouvernement de la République française qui « s’engage à garantir du travail à tous les citoyens », avant que cette notion soit écartée quelques mois plus tard de la Constitution de 1848 sous l’impulsion d’Alexis de Tocqueville (3).

Enfin juste après la libération, le préambule de la Constitution de 1946, reconduit comme préambule de notre Constitution actuelle déclare : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ».

Au-delà de la discussion sur la force du préambule de la Constitution, on retiendra que plutôt qu’un droit strictement personnel et individuel transposable à la relation contractuelle entre deux personnes privées, il s’agit plutôt d’une sorte de droit collectif (4) inspirant et obligeant l’Etat à l’égard des citoyens.

Reste également à s’entendre sur la notion d’emploi ce qui est loin de faire l’unanimité, ce qui explique d’ailleurs l’extrême difficulté à voir advenir ce potentiel droit au plan européen et international (entend-on par emploi l’emploi à durée indéterminée comme l’envisageait le salarié dans le cas d’espèce, l’emploi correspond-il au travail et auquel cas d’aucuns revendiquent la liberté de ne pas travailler ou même de refuser un travail, par emploi doit-on également englober le bénévolat etc…).

Force est de constater que cette notion de droit à l’emploi irrigue néanmoins sans que cela ne soit expressément revendiqué maintes préoccupations en droit du travail.

On pense par exemple aux questions liées au reclassement qui bien que qualifié d’obligation de moyen tant dans le cadre de la procédure liée à une inaptitude, que dans le cadre d’une procédure pour motif économique, renvoie d’une certaine façon au droit à l’emploi (5).

L’idée selon laquelle la rupture ne peut intervenir valablement que dans l’hypothèse où on a tout fait pour éviter que l’emploi ne soit perdu, d’une certaine façon et comme l’aiment les juristes ; « a contrario », consacre un « droit de ne pas perdre son emploi » plutôt d’ailleurs qu’un droit à l’emploi à proprement parler.

On aurait pu dans le cas présent, et cette fois directement, envisager la nullité de la rupture après la perte de l’emploi du fait d’une infraction de l’employeur aux règles de recours au travail temporaire susceptible d’être analysée comme une entrave au droit à l’emploi.

Encore aurait-il fallu considérer que le droit à l’emploi s’entend comme le droit à l’emploi à durée indéterminée, ce qui est loin de constituer une donnée faisant l’unanimité.

Finalement, bien que l’on puisse être légitimement bousculé par la demande du salarié dans ce cas d’espèce qui questionne l’une des liberté fondamentale controversée quant à son sens et sa portée, l’on comprend dès lors que sans dénier expressément à ce droit le caractère d’un droit fondamental, la Cour de Cassation ait estimé en revanche qu’il ne pouvait justifier que soit ordonné de façon forcée la poursuite d’une relation contractuelle dans le cadre d’une décision de justice postérieure au terme du contrat.

Index:


(1) Le point commun des deux conséquences reste l’indemnité dite de requalification en elle-même, prévue à l’article L.1251-41 du Code du Travail.
(2) Article D.1251-3 du Code du Travail
(3) Tocqueville (Alexis de) : « Contre le droit au travail », Discours prononcé à l’Assemblée constituante le 12 septembre 1848. Bibliothèque classique de la liberté ; édition 2015
(4) Lyon-Caen (G.), 1988, « Le droit au travail » in Les sans-emplois et la loi, hier et aujourd’hui (Centre Droit et changement social, Université de Nantes/CNRS). pp. 203-212
(5) Jeammaud (Antoine) et Le Friant (Martine) « L’incertain droit à l’emploi », Travail, genre et sociétés 1999/2 (N°2), p29-45. DOI 10.3917/tgs.002.0029


Cet article n'engage que son auteur.


Crédit photo : © Jérôme Rommé - Fotolia.com

 

Auteur

VACCARO François
Avocat Associé
ORVA-VACCARO & ASSOCIES - TOURS, ORVA-VACCARO & ASSOCIES - PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
TOURS (37)
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