L’interdiction de vente sur une place de marché en droit de la concurrence

L’interdiction de vente sur une place de marché en droit de la concurrence

Publié le : 01/12/2017 01 décembre déc. 12 2017

Au terme d’un arrêt rendu par sa Chambre commerciale le 13 septembre dernier, la Cour de Cassation est venue considérer qu’au sein d’un accord de distribution sélective, la clause interdisant au distributeur de revendre les produits sur une marketplace ne pouvait être en elle-même qualifiable de restriction de concurrence caractérisée. 

Cass. Com 13 septembre 2017, n°16-15067 

Plus précisément, l’affaire concernait la société Caudalie, fabriquant de produits cosmétiques qu’elle distribue dans le cadre d’un réseau de distribution sélective.

En 2007 déjà, ce réseau avait été visé, parmi d’autres de ses concurrents, par une décision du Conseil de la concurrence rendue après enquête dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle. Au terme de cette procédure, la société Caudalie avait pris un certain nombre d’engagements destinés à rééquilibrer, sur le plan du droit de la concurrence, les clauses d’interdiction totale de la revente sur internet de ses produits dermo-cosmétiques reprises dans ses contrats de distribution.

La société Caudalie s’était ainsi engagée à prévoir pour ses distributeurs une faculté de revente de ses produits sur Internet sous réserve d’un cahier des charges précis contenant par exemple l’obligation pour le distributeur de respecter une qualité, une technique et une esthétique du site conforme à la charte graphique de la marque ou l’obligation de mise en place d’un service de conseil assuré par un pharmacien conseil dans le cadre d’une hotline…

Toutefois, la société Caudalie s’est aperçue en 2014 que certains de ses produits étaient revendus sur la plateforme de vente en ligne « 1001 Pharmaciens » exploitée par la société eNova Santé.

L’objet de cette société est en effet de rassembler un certain nombre de pharmacies auxquelles elle propose une plateforme leur permettant de commercialiser leurs produits en ligne.

La société Caudalie a alors assigné la société eNova Santé en référé devant le Président du Tribunal de Commerce de Paris. Fin 2014, le Président du Tribunal a enjoint à la société eNova Santé de cesser toute commercialisation des produits CAUDALIE sur sa plateforme.

La société eNova Santé a interjeté appel de cette ordonnance de référé. En février 2016, la Cour d’appel de Paris a infirmé la décision de première instance considérant qu’il existait un faisceau d’indices sérieux et concordants tendant à établir que l’interdiction de principe de recours, pour les distributeurs de produits CAUDALIE, à une plate-forme en ligne, qu’elles qu’en soient les caractéristiques, était susceptible de constituer une restriction de concurrence caractérisée.

C’est cet arrêt qui est ici cassé par la Cour de cassation, qui ce faisant, a remis les parties dans la situation qui était la leur après l’ordonnance rendue par le Président du Tribunal de commerce de Paris.

La société eNova Santé a donc été contrainte de retirer de sa plate-forme de vente en ligne les produits CAUDALIE.

Cette décision instaure pour les têtes de réseau de distribution sélective une faculté de limiter encore la règle de l’interdiction d’interdire la revente en ligne de leurs produits.

Elle s’inscrit toutefois dans une tendance actuelle consacrée notamment par la Commission européenne au terme de son Rapport final relatif à l’enquête sectorielle sur le commerce électronique publié en mai dernier.

La Commission y considère à l’issue de ses travaux que : « les interdictions (absolues) d’utiliser des places de marché ne doivent pas être considérées comme des restrictions caractérisées au sens […] du règlement d’exemption des accords verticaux. »

En outre, il est intéressant de noter que la Cour de cassation s’est attachée à faire référence à la décision du Conseil de la concurrence de 2007 qui avait validé les engagements de la société CAUDALIE en termes de limitation de ses clauses d’interdiction de revente en ligne passant ainsi à un système d’autorisation sous conditions. Il apparaît en effet assez probable qu’une plateforme de vente en ligne telle que celle concernée par la présente affaire ne permettait pas de respecter le cahier des charges de la société CAUDALIE validé par le Conseil de la concurrence.

Enfin, on peut ajouter qu’une telle position de la Cour de cassation et également des autorités de concurrence se justifie dans le cadre des réseaux de distribution exclusive pour lesquels les fournisseurs ont souvent fortement investi dans la qualité, l’image de marque et l’innovation de leurs produits.

La faculté d’encadrer les modalités de revente de leurs produits via des plateformes de vente en ligne permet donc à ces fournisseurs de préserver leurs investissements et de lutter contre les comportements de parasitisme.


Cet article n'engage que son auteur.


Crédit photo : © Ricochet64 - Fotolia.com
 

Auteur

POULAIN Amélie
Avocate Associée
CORNET VINCENT SEGUREL LILLE
LILLE (59)
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