Responsabilité médicale et preuve

Défaut d’information médicale : vers un renversement systématique de la charge de la preuve ?

Publié le : 10/02/2025 10 février févr. 02 2025

Alerte : renversement de la charge de la preuve de la faute médicale, il incombe désormais au professionnel de santé de rapporter la preuve que ses actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés.

Cass. Civ. 1ᵉʳ, 16 octobre 2024, pourvoi n° 22-23.433, publié au bulletin.

La Cour de cassation, par un arrêt récent, a opéré un revirement de jurisprudence majeur, marquant un tournant dans l’appréciation de la responsabilité médicale.

Explications :

L’arrêt rendu le 16 octobre 2024 par la première chambre civile de la Cour de cassation, publié au bulletin, est un arrêt novateur lequel modifie les règles traditionnelles relatives à la charge de la preuve et renforce l’obligation d’information des professionnels de santé.

En effet, le régime de la responsabilité médicale trouve ses racines dans l’arrêt de principe dit « Mercier » rendu par la Cour de cassation en 1936 lequel a défini les contours de la relation contractuelle entre le patient et son médecin obligeant ce dernier à :

« donner des soins consciencieux, attentifs et, réserve faite des circonstances exceptionnelles, conforme aux données acquises de la science ».

Le médecin était donc, aux termes de cet arrêt, débiteur d’une obligation de moyens qui dès lors qu’elle fait défaut, engage sa responsabilité contractuelle (Cour de cassation, 1er Civ., 20 mai 1936, Dr Nicolas c/ Mercier).

Toutefois, la loi du 4 mars 2002 et l’article 1353 du Code civil sont venus entériner la nécessité d’une faute pour voir engager la responsabilité personnelle du médecin :

 
  • l’article 1353 du Code civil dispose que :
« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver » ;
 
  • l’article L.1142-1 du Code de la santé publique dispose que :
« Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé […] ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. »

En d’autres termes, la victime devait prouver la faute du médecin afin de voir sa responsabilité engagée.

L’arrêt de la Cour de cassation du 16 octobre 2024 fait évoluer « la responsabilité pour faute » en « une présomption de faute » pesant à l’encontre du médecin.

En l’espèce, un patient souffrant d’arthrose subit une arthroscopie[1] de la hanche afin de retarder significativement la mise en place d’une prothèse de hanche.

Cependant, au cours de l’opération, une broche guide métallique s’est rompue et n’a pu être récupérée par le chirurgien opérant.

Bien plus tôt que prévu, à savoir à peine deux ans plus tard, en raison de la persistance de douleurs, le patient a finalement dû subir une arthroplastie[2], et donc la mise en place d’une prothèse.

C’est dans ce contexte que le patient a assigné le praticien en responsabilité et en indemnisation de son préjudice.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence rejette sa demande au motif que le praticien confirme avoir suivi les recommandations de la Société française d’arthroscopie (ci-après désignée « SFA »), bien que ce dernier ne l’ait pas mentionné dans le compte-rendu opératoire.  
Dès lors, à défaut pour la victime, sur qui repose traditionnellement la charge de la preuve, d’avoir réussi à démontrer que le praticien n’avait pas appliqué les recommandations de la SFA, la faute du médecin serait hypothétique et non avérée empêchant ainsi de retenir sa responsabilité personnelle.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence opérant ainsi un revirement de jurisprudence important.

Au double visa des articles L.1142-1 du Code de la santé publique et 1353 du Code civil, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel :

« les professionnels de santé sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute et que la preuve d'une faute comme celle d'un lien causal avec le dommage invoqué incombe au demandeur. »

Pour ajouter que :

« Cependant, dans le cas d'une absence ou d'une insuffisance d'informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l'impossibilité de s'assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe alors au professionnel de santé d'en rapporter la preuve ».

Il ne ressortait pas du compte-rendu opératoire que le chirurgien avait appliqué à la lettre les recommandations de la SFA, dès lors en l'absence d'éléments permettant d'établir que la recommandation précitée avait été suivie, il appartenait au médecin d'apporter la preuve que les soins avaient été appropriés.

Ce revirement repose sur le constat que c’est en raison de la carence du médecin, soumis à une obligation d’information, que le patient est dans l’impossibilité de s’assurer que les actes médicaux étaient appropriés et conformes, rendant fragile sa position en cas de litige et justifiant ainsi l’inversion de la charge de la preuve.

Cette position de la Cour de cassation est très favorable et protectrice pour le patient alors qu’elle fait peser sur le médecin un risque de responsabilité important puisqu’il devra alors prouver qu’il n’a pas commis de faute notamment sur le plan de l’information du patient et veiller à particulièrement soigner, outre le rendez-vous préopératoire avec le patient, les éléments mentionnés dans son compte-rendu opératoire.

En d’autres termes, tout oubli ou défaut d’information relatif à un acte effectué sur un patient entraîne une présomption de faute de nature à engager la responsabilité personnelle du médecin.

La question est désormais de savoir si cette jurisprudence sera étendue à d’autres pratiques médicales, ou si elle se cantonnera aux comptes-rendus d’opération.

Une chose reste certaine, cette position oblige les professionnels de santé à une rigueur et une vigilance accrue dans la traçabilité de leurs actes médicaux au risque de voir leur responsabilité engagée.
 
Cet article n'engage que ses auteurs.
 
[1] Intervention chirurgicale peu invasive qui permet d’explorer les articulations, d’effectuer des prélèvements ou de réaliser des gestes chirurgicaux.
[2] Intervention chirurgicale consistant à remplacer en partie ou totalement l’articulation par une prothèse.

Auteurs

Manel FARAH
Avocate
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS
PARIS (75)
Voir l'auteur Contacter l'auteur Tous les articles de l'auteur Site de l'auteur
VUCHER-BONDET Aurélie
Avocate Associée
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS
PARIS (75)
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