La garantie décennale s’applique-t-elle sur les éléments d’équipement installés après la construction ?

Publié le : 04/10/2017 04 octobre oct. 10 2017

C’est une vraie révolution qui vient de se produire dans le domaine de la garantie décennale des constructeurs en matière de travaux sur existants.

L’arrêt rendu le 15 juin dernier par la 3ème chambre civile, publié au Bulletin et destiné à une publication au Rapport annuel de la Cour de cassation, ce qui démontre la portée de celui-ci, consacre en effet un véritable revirement de jurisprudence en la matière.

Rappelons que, jusqu’alors, l’adjonction d’un élément d’équipement dissociable sur un ouvrage existant n’était susceptible d’entrer dans le champ d’application de la garantie décennale que s’il était lui-même constitutif d’un ouvrage et avait notamment fait l’objet de travaux importants d’adaptation relevant de techniques de construction.

Dans l’espèce présentement soumise à la Haute Juridiction, la Cour d’appel de Douai avait refusé une telle qualification pour la pose d’une pompe à chaleur air-eau dans un immeuble existant au motif que l’expert judiciaire avait clairement exposé que l’installation de cet élément d’équipement n’avait nécessité que quelques percements pour laisser passer les canalisations et que la PAC n’était pas intégrée au bâtiment (CA Douai, 21 avril 2016).

Le moyen du pourvoi formé par le propriétaire à l’encontre de la société installatrice ainsi que de son assureur s’articulait autour de trois branches.

Deux de celles-ci étaient conformes à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation telle qu’exposée ci-dessous, à savoir qu’elles revendiquaient l’assimilation de l’installation de l’élément d’équipement sur existant à un ouvrage aux fins de pouvoir bénéficier de la garantie décennale.

Cependant, cette argumentation n’avait que peu de chances de prospérer en l’espèce dès lors que la jurisprudence apprécie strictement les conditions de qualification d’un ouvrage[1], et spécialement l’intégration et non la simple adjonction à l’existant[2].

La dernière branche, particulièrement osée en ce qu’elle se heurtait à une jurisprudence bien ancrée[3], revendiquait le fait que tous les éléments d’équipements, dissociables ou non, devaient relever de la responsabilité décennale dès lors qu’ils entraînaient une impropriété à destination de l’ouvrage, sans distinction quant à leur date d’installation (lors de la réalisation de l’ouvrage lui-même ou postérieurement).

On comprend cette tentative de la part du propriétaire qui cherchait à obtenir la garantie assurantielle sur le fondement de la responsabilité décennale, l’installateur ayant été placé en liquidation judiciaire et n’étant vraisemblablement pas couvert au titre de sa responsabilité contractuelle de droit commun.

Or, les désordres allégués par le demandeur au pourvoi et avérés s’avéraient loin d’être négligeables puisque le logement était, semble-t-il, parfaitement inhabitable car privé d’eau chaude et de chauffage (à noter toutefois le coût modeste des travaux de réparation qui s’élevait à 693 €…).

Et alors que la Cour de Cassation aurait dû, conformément à sa position antérieure, rejeter le pourvoi, elle opère ici une cassation pour violation de l’article 1792 du Code Civil de l’arrêt d’appel en affirmant :

« Les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ».

La généralité de cet attendu de principe ne laisse aucun doute quant à sa portée et la consécration d’un total revirement de jurisprudence.

Désormais, il convient, en présence d’une impropriété à destination de l’ouvrage, de faire fi des distinctions dont on tenait compte autrefois en présence d’éléments d’équipement : dissociables/indissociables, installés dès l’origine/sur existant.

Au- delà de cette formulation globale, le vrai changement a trait à la problématique des éléments d’équipement dissociables installés sur existant qui relèvent donc désormais de la garantie décennale des constructeurs en cas d’impropriété à destination de l’ouvrage.

Un tel revirement n’est pas sans interroger dès lors qu’il parait pour le moins contra legem.

En effet, l’article 1792 du Code civil dispose « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit… » ce qui présuppose, comme première condition d’application, et préalablement même à celle du degré de gravité des désordres, la construction d’un ouvrage.

Or, dès lors que l’on considère que l’installation d’une pompe à chaleur, élément d’équipement dissociable, ne constitue pas un ouvrage mais s’avère néanmoins susceptible de relever de la garantie décennale, on s’éloigne manifestement de la lettre du texte.

C’est ce qui fait écrire à Monsieur Charbonneau que la Cour de cassation a découvert « une sorte de quasi-ouvrage constitué d’un élément d’équipement dissociable installé sur un existant mais intimement lié au précédent au-delà de tout critère d’immobilisation » et a consacré un « véritable article 1792 bis »[4].

S’inscrivant dans le mouvement protectionniste du maître d’ouvrage qui a déjà étendu la qualification d’ouvrage aux fins d’élargir le champ d’application de la décennale, il semble à nouveau que la gravité du désordre, caractérisée par l’impropriété à destination, ait primé sur le respect littéral du texte et, en tout état de cause, sur l’exigence d’un ouvrage.

De surcroît, et indépendamment de cette réflexion purement juridique, un tel revirement n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés et d’interrogations pratiques.

En effet, quid notamment des assurances obligatoires en la matière ?

Un certain nombre d’artisans et entrepreneurs effectuant des travaux sur existant sans être couverts par une police d’assurance de responsabilité décennale risquent de se trouver en difficulté et devront être amenés à revoir rapidement leur couverture assurantielle.

De la même manière, le maître d’ouvrage qui, dans un premier temps, se réjouira de disposer d’une garantie plus importante, ne devra pas non plus occulter la circonstance qu’en cas de revente de son bien avant l’expiration du délai décennal, il sera, lui aussi, débiteur de cette garantie décennale.

A noter également la souscription de l’assurance dommage ouvrage qui devrait normalement résulter de l’applicabilité de la responsabilité décennale.

Cependant, on imagine mal la mise en place d’assurances dommage ouvrage pour la simple installation de pompes à chaleur ou d’autres éléments d’équipement dissociables…

Ainsi, et en ouvrant la porte à cette nouvelle catégorie d’éléments soumis à la garantie décennale, la Cour de cassation a ouvert la boîte de Pandore qui donnera immanquablement lieu à un vaste contentieux.

La Haute Juridiction vient cependant de réitérer cette solution, à peine 3 mois après l’arrêt commenté, avec la même publicité (P+B+R+I)[5], ce qui démontre encore une fois la portée qu’elle entend conférer à ce nouveau principe avec lequel il faudra désormais composer[6].
 
 
 
[1] Cass. 3ème civ., 4 mai 2016, n°15-15.379 : RDI 2016, p. 413
[2] P. Malinvaud, « De la responsabilité en cas de dysfonctionnement des pompes à chaleur », RDI 2017, p. 101
[3] Cass. 3ème civ., 10 déc. 2003, n°02-12.215 : Bull.civ. III, n°224 ; Cass. 3ème civ., 26 nov. 2015, n°14-19.835 : RDI 2016, p. 40
[4] C. Charbonneau, « l’avènement des quasi-ouvrages », RDI 2017, p. 409.
 
[5] « P » désigne les arrêts publiés au Bulletin.
« B » désigne les arrêts publiés au Bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC).
« R » désigne les arrêts analysés au rapport annuel de la Cour de cassation.
« I » désigne les arrêts diffusés sur le site internet de la Cour de cassation.
 
[6] Cass. 3ème civ., 14 sept., 2017, n°16-17.323 


Cet article a été rédigé par Me Marie LETOURMY. Il n'engage que son auteur.


 

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