La loi, le juge, et le vaccin

Publié le : 27/09/2017 27 septembre sept. 09 2017

L’annonce, par le ministère de la santé, d’une extension de l’obligation vaccinale à compter du 1er janvier 2018, a déclenché un affrontement violent entre « vaccinophobes » et « vaccinophiles ».
                                                                         PRIMUM NON NOCERE (1)
 
Quelle pourrait-être l’approche du juriste sur cette question qui participe à la fois des impératifs de santé publique, du droit commun de la responsabilité, de la responsabilité du fait des produits défectueux, mais aussi du droit à l’information, de l’exercice de l’autorité parentale, du consentement libre et éclairé aux soins, du respect du corps humain, … ?
 

I – L’indisponibilité des vaccins obligatoires et l'arrêt du Conseil d'Etat du 8 février 2017 

 
L’article L 3111-1 al. 1 du code de la santé publique (CSP) confère au ministre de la santé le soin d’élaborer la politique de vaccination. L’alinéa 2  prévoit que les obligations vaccinales peuvent être suspendues par décret « compte tenu de l’évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicale et scientifiques », ce qui confirme s’il en est besoin que l’obligation vaccinale doit être en corrélation avec les risques et les besoins.
 
Aux termes des articles L 3111-2 et L 3111-3,   la vaccination antidiphtérique et antitétanique par l’anatoxine, et la vaccination antipoliomyélitique sont obligatoires pour tous et doivent être pratiquées dans les conditions fixées par décret. Il doit en être justifié lors de l’admission de l’enfant dans toute collectivité d’enfants. 
 
L’impossibilité de se procurer ces seuls vaccins obligatoires a conduit divers requérants, personnes physiques et associations – aussitôt qualifiés « d’anti-vaccins » -,  à saisir le ministère, puis le Conseil d’Etat, afin que soient prises les mesures nécessaires pour les rendre disponibles.
 
Par décision du 8 février 2017 n° 397151, et après avoir relevé que « depuis plusieurs années, aucun vaccin ne correspondant aux seules obligations légales de vaccination des enfants de moins de dix huit mois n’est commercialisé en France », que les personnes tenues d’exécuter les obligations vaccinales doivent être « mises à même d’y satisfaire sans être contraintes, de ce seul fait, de soumettre leur enfant à d’autres vaccinations que celles imposées par le législateur et auxquelles elles n’auraient pas consenti librement »,  le Conseil d’Etat a estimé que le ministre de la santé ne pouvait légalement refuser de faire usage des pouvoirs qu’il détient en vue d’assurer la mise à disposition du public de ces vaccins ».
 
En conséquence, le Conseil d’Etat a « annulé le rejet par le ministre de la demande tendant à ce que soient prises les mesures permettant de rendre disponibles les vaccins correspondant aux seules obligations vaccinales »  et « enjoint ledit ministre de prendre les mesures destinées à permettre la disponibilité de ces vaccins dans un délai de six mois à compter de la  notification de sa décision ».
 
 
Le délai de six mois est à présent expiré … et on ne sait pas bien quelles ont été les mesures prises par le ministère pour que les vaccins dont s’agit soient rendus disponibles, sinon décider de rendre obligatoires les produits actuellement sur le marché et comprenant d’autres vaccins notamment celui contre l’hépatite B, particulièrement controversé, comme il sera développé ci après ! 
 
Cette attitude apparaît bel et bien comme une façon de contourner l’autorité de la chose jugée, n’en déplaise à quelques « décodeurs » autoproclamés.
 
Pourtant, la vaccination n’est pas un acte anodin, à telle enseigne que le code de la santé publique a défini un régime spécifique de réparation des préjudices découlant d’une vaccination  obligatoire. 
 

II – Les principaux textes

 
Le CSP consacre un titre entier à la « Réparation des risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé» (Première partie, livre 1er, titre IV).
 
Le régime est celui de la responsabilité pour faute des professionnels de santé (art. L 1142-1). Pour les établissements de santé, en ce qui concerne les infections nosocomiales (hors cause étrangère) et le défaut d’un produit de santé (par exemple, un vaccin), la réparation des préjudices relève de la « solidarité nationale ».
 
Ainsi, l’article L1142-22 alinéa 2 prévoit que l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales (ONIAM)  est également chargé de la réparation des dommages directement imputables à une vaccination obligatoire en application de l'article L. 3111-9, selon la procédure prévue aux articles R 3111-27 et suivants du CSP. 
 
En effet,  l’alinéa 1er de ce texte dispose : « Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale. »
 
Par ailleurs, outre les dispositions générales sur la responsabilité civile (contractuelle ou extra contractuelle) qui pourront trouver à s’appliquer en fonction des différents rapports de droit, la responsabilité du producteur du fait des produits défectueux est régie par les articles 1245 et suivants du code civil (anciens articles 1386-1 et suivants). 
 
L’article 1245 énonce : Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.  Aux termes de l’article 1245-3 alinéa 1, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Le nouvel article 1245-8 dispose quant à lui : « Le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage »
C’est surtout la notion de défaut et l’interprétation du lien causal qui a nourri la jurisprudence tant nationale qu’européenne.

                                                           [PJ-1]

 

III - La jurisprudence

 
L’examen d’un panel de décisions rendues par les seules juridictions suprêmes des deux ordres - le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation -  publiées au cours des trois dernières années ne saurait à l’évidence prétendre à l’exhaustivité.
 
Il laisse de côté les décisions antérieures, celles des juridictions du fond (tribunaux administratifs, tribunaux de grande instance, cours d’appels) et tous les cas dont la justice ne connaîtra pas, aucune action n’étant engagée par les victimes, rebutées par la durée, le coût, et l’aléa des procédures.
 
Ces décisions constituent toutefois un échantillon suffisant pour alimenter une réflexion sur le sujet, compte tenu du nombre élevé de cas portés devant les Hautes juridictions, sur une courte période de temps.
 

A) Du côté du juge administratif

La plupart des décisions rendues concerne des personnes ayant été contraintes de recevoir, à une époque donnée, le vaccin contre l’hépatite B en raison de leur formation ou de leur exercice professionnels (art. L 3111-4  et L 3111-4-1 CSP) :
 
- stagiaire dans un établissement de santé (CE 30 juillet 2014 n° 362162)
- manipulatrice en électroradiologie médicale (CE 22 juillet 2015 n°369478)
- agent hospitalier (CE 7 février 2017 n° 391912)    
 
La majorité de ces personnes a développé une sclérose en plaques, quelques autres, une myofasciite à macrophages ou encore une spondylarthrite ankylosante ; dans tous les cas, une maladie d’une gravité telle qu’elle a conduit à une invalidité ou au décès.
 
Les requêtes tendent tantôt à voir mise en jeu la responsabilité de l’Etat et obtenir de l’ONIAM la réparation des préjudices subis, tantôt à contester le refus de prise en charge de l’invalidité au titre des accidents du travail.
 
Le Conseil d’Etat a accueilli favorablement les requêtes des victimes, sauf circonstances particulières :
 
- défaut d’application de l’article L 3111-9 CSP à une auxiliaire de vie ayant développé une sclérose en plaques mais ne relevant pas des catégories visées à l’article L 3111-4 soumises à l’obligation de vaccination contre l’hépatite B (CE 19 février 2016 n° 386502)
- sclérose en plaques antérieure à l’injection du vaccin (CE 27 mai 2015 n° 369142)
- prescription de l’action du demandeur ayant développé une méningo-encéphalite suite à l’injection du vaccin antivariolique (CE 1er juin 2016 n° 382490)
 

B) Du côté du juge civil

Là encore, les plaideurs sont principalement des personnes ayant développé des pathologies graves après avoir reçu le vaccin contre l’hépatite B (dans un cas, un vaccin antitétanique): essentiellement sclérose en plaques, mais aussi myofasciite à macrophages (imputée à l’adjuvant aluminique), myopathie dysimmunitaire chronique inflammatoire évolutive, sclérose latérale amyotrophique.
 
Par deux arrêts rendus en 2008 (2), la Cour de Cassation avait admis que la preuve du défaut d’un vaccin et du lien de causalité avec le dommage subi par la victime peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes : concomitance entre la vaccination et l’apparition de la maladie, absence d’antécédents personnels et familiaux, bon état de santé antérieur, hors hypothèse de l’aggravation. (3
 

Les actions engagées tendent tantôt à obtenir (ou maintenir) la prise en charge de l’invalidité au titre de la législation du travail :

 
  • Cass. Civ. 2ème 18 septembre 2014 n° 13-23013, qui casse un arrêt de la cour d’appel d’Agen du 4 juillet 2013 ayant refusé la prise en charge au titre  de la législation du travail et renvoyé l’affaire devant la même cour d’appel
   
  • A noter également Cass. Civ. 2ème 28 mai 2014 n° 13-16968 qui casse un arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait admis le caractère professionnel de la myofasciite à macrophages imputable, à dire d’expert, à des vaccins aluminiques, « sans rechercher s’il existait des éléments objectifs susceptibles d’établir que l’accident s’était produit au temps et au lieu du travail » (affaire renvoyée devant la même cour).

Tantôt les actions tendent à obtenir réparation par le laboratoire sur le terrain de la responsabilité du fait des produits défectueux :

  • Cass. Civ. 1ère 15 mai 2015 n°14-13151 qui casse un arrêt de la cour d’appel de Poitiers ayant déclaré prescrite l’action engagée contre le laboratoire GLAXOSMITHKLINE par une personne ayant développé une sclérose en plaques suite à l’injection du vaccin contre l’hépatite B (ENGERIX) et renvoie la cause devant la cour d’Angers
 
  • Cass. Civ. 1ère 16 novembre 2016 n° 15-26018 qui casse un arrêt de la cour d’appel de Lyon ayant déclaré prescrite l’action engagée contre le laboratoire SANOFI PASTEUR par une personne ayant développé une sclérose en plaques à la suite du vaccin contre l’hépatite B (GENHEVAC B) et renvoie la cause devant la cour de Bordeaux
 
  • Cass. Civ. 1ère 12 novembre 2015 n° 14-17146 qui rejette le pourvoi du laboratoire SANOFI PASTEUR contre un arrêt de la cour d’appel de Toulouse qui a accueilli la demande d’indemnisation des chefs de préjudice non réparés dans le cadre d’une précédente action devant la juridiction administrative et découlant de la sclérose en plaques survenue après vaccination contre l’hépatite B. (4)
 
 

C) L’arrêt de la CJUE du 21 juin 2017

La CJUE était questionnée sur l’interprétation de l’article 4 de la directive 85/374 du 25 juillet 1985 - relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO 1985, L 210, p. 29) - au regard des modalités de preuve de la défectuosité d’un produit (vaccin).
 
Après avoir notamment rappelé que « la détermination du caractère défectueux d’un produit doit se faire en fonction non pas de l’inaptitude du produit à l’usage, mais du défaut de sécurité à laquelle le grand public peut légitimement s’attendre » selon la définition donnée à l’article 6 § 1 de la directive,  que « le principe d’effectivité exige que les modalités procédurales des recours ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union »,  que « la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin (contre l’hépatite B) et la survenance de la sclérose en plaques »,  après avoir relevé « l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de cette maladie à la suite de telles administrations », 
 
La Cour a jugé que l’article 4 de la directive ne s‘oppose pas à un régime probatoire national en vertu duquel le juge du fond peut considérer dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation que « certains éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des indices graves, précis et concordants permettant de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin et à celle d’un lien de causalité entre ce défaut et ladite maladie », validant ainsi la jurisprudence précitée de la Cour de Cassation.
 
En revanche, la réunion de ces indices factuels ne permet pas d’établir un régime de présomptions quant au lien de causalité entre le défaut allégué et le dommage.
 
Le nombre significatif de cas soumis aux Juridictions suprêmes, et plus précisément l’ancienneté et la persistance de survenance de pathologies graves développées notamment après injection du vaccin contre l’hépatite B (7),  rend pour le moins étonnante la réponse du gouvernement à l’injonction faite par le Conseil d’Etat.
 
Elle peut susciter une légitime inquiétude de la part des citoyens, dans un contexte de scandales sanitaires successifs portant sur des produits ayant pourtant subi tous les contrôles nécessaires à l’obtention des autorisations de mise sur le marché et ayant été abondamment prescrits (5),  et de suspicion de pratiques de connivence et de corruption entre de nombreux laboratoires pharmaceutiques et des membres dirigeants des autorités sanitaires chargées du médicament (6).  
 
Laisser aux parents, seuls titulaires de l’autorité parentale, le libre choix de faire ou non injecter à leurs enfants des vaccins dont l’innocuité est discutable – et discutée – peut-il sérieusement apparaître contraire aux impératifs de santé publique ?
 

Index:

(1) d’abord, ne pas nuire - locution latine attribuée à Hippocrate
(2) Cass. Civ. 1, 22 mai 2008 n° 05- 20317 et 06-10967   
(3) Cass. Civ.1, 26 septembre 2012 n° 11-17738
(4) voir également : Cass. Civ. 1, 23/01/2014 n° 12-22123, sur le devoir d’information du professionnel de santé  - Cass. Civ.2, 07/05/2015 n° 14-17786, qui retient la prescription de l’action au regard de l’article L 432-1 du code de la sécurité sociale
(5) distilbène, isoméride, hormone de croissance extractive, médiator, dépakine, levothyrox, …, (à noter que les victimes du benfluorex – médiator - et du valproate de sodium – dépakine - ont leur section dédiée au sein du CSP) 
(6) enquête Médiapart du 24 mars 2015 -  sur l’éthique dans l’industrie pharmaceutique,  voir par exemple : Autorité italienne de la concurrence, décision du 27 février 2014, Roche-Novartis,  Cass. Crim. 26 octobre 2016 n° 15-83477 relatif  aux pratiques anticoncurrentielles des sociétés Novartis groupe France et Novartis Pharma  
(7) les premières actions en justice ont suivi l’accroissement de la vaccination contre l’hépatite B suite aux campagnes publicitaires scolaires organisées dans les années 1993 à 1996 ;  des victimes du vaccin contre l’hépatite B se sont regroupées en association (notamment REVAHB) et ont engagé des actions pénales, pour l‘instant sans résultat. 
 
 
Cet article n'engage que son auteur.
 

Auteur

CHARLES-NEVEU Brigitte
Avocate Honoraire
NEVEU, CHARLES & ASSOCIES
NICE (06)
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