Tout est médicament !
Publié le :
16/08/2004
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La définition légale du médicament et ses interprétations jurisprudentielles sont le reflet de tout notre droit actuel qui n’est plus, longtemps un droit qui préfigure la société de demain mais un droit qui répond à différents intérêts présents.
PrécisionsLa définition légale du médicament et ses interprétations jurisprudentielles sont le reflet de tout notre droit actuel qui n’est plus, depuis longtemps un droit qui préfigure la société de demain mais un droit qui répond à différents intérêts présents.
Très curieusement, une notion aussi scientifique que celle du médicament qui est « tout produit qui a un effet thérapeutique ou qui prétend l’avoir » est oubliée, laissant, non plus les scientifiques caractériser les médicaments mais les Juges apprécier cette qualification.
Pour l’aider, le Juge disposait d’une définition française (article L 5111-1 du Code de la Santé Publique) et Européenne (Directive 65/65) du médicament.
Cette définition est précise en ce qui concerne le médicament dit par présentation « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines. »
Certes, toute une certaine jurisprudence, oubliant que cette définition sert de fondement à une infraction pénale, l’exercice illégal de la pharmacie, a donné une interprétation extrêmement large à cette définition.
Elle suit en cela les affirmations très péremptoires de l’AFSSAPS qui veut que tout ce qui touche à la santé rentre sous sa « coupe ».
C’est ainsi que la référence jambes lourdes, le sommeil, la nervosité, le cholestérol qui ne sont pas des maladies, sont en France, retenus comme caractérisant le médicament par présentation.
Alors que l’on pourrait attendre, notamment de la Cour de Cassation, un contrôle strict des éléments constitutifs de l’infraction avec la caractérisation « au cas par cas » des « propriétés », « préventives », ou « curatives » des maladies humaines, on doit constater que cette jurisprudence se contente d’affirmations sans aucun souci de caractériser les éléments légaux et notamment en « oubliant » les maladies humaines.
Par contre, la définition du médicament dit par fonction, suscite des interprétations divergentes, car il appartient à l’autorité poursuivante « au cas par cas », de prouver que « la substance ou composition » en cause est « administrée » « en vue de », « restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques ».
De nombreuses décisions omettent, là encore, de caractériser ces éléments légaux et certaines décisions (comme les arrêts de la Cour de Cassation) confondent la « modification des fonctions organiques » avec la « modification du métabolisme ».
En réalité, il suffit de lire les très nombreuses décisions qui sont rendues dans ces affaires, pour constater que cette définition est interprétée très extensivement, au gré des opinions du Juge ou de la volonté « politique » de faire tout rentrer dans la définition du médicament.
Mais il faut croire que cette définition n’était pas suffisante puisque la directive du 31 mars 2004 vient de modifier cette définition.
On aurait pu penser qu’il était bon de se limiter à une définition claire et scientifiquement indiscutable de l’action thérapeutique, ce qui aurait évité, au moins en France, les interprétations pseudo-scientifiques des experts désignés par les Tribunaux et qui se croient autorisés à dire le droit.
On aurait pu penser que la volonté de créer des frontières claires avec les denrées alimentaires du règlement du 28 janvier 2002, les compléments alimentaires de la directive du 10 juin 2002 ou les ADAP de la directive de 2001.
On pouvait espérer que les principes fondamentaux de libre circulation, de proportionnalité, si souvent rappelés par la Cour de Justice, inspirerait le législateur Européen en donnant une définition clairement délimitée du médicament et en ayant en tête les conséquences très contraignantes de la qualification de médicament.
On avait espérer avec la Directive du 10 juin 2002, disposer d’un critère de distinction clair entre le médicament et le complément alimentaire dès lors qu’il était reconnu à ce dernier une action physiologique, qui se distingue de l’action thérapeutique du médicament.
On pouvait légitimement penser que le règlement du 28 janvier 2002 avait clairement établi que ce qui est général c’est la denrée alimentaire et ce qui est l’exception, c’est le médicament.
On pouvait enfin souhaiter voir disparaître cette création jurisprudentielle, cette totologie, reprise avec constance par la Cour de Cassation : est médicament tout produit qui a des propriétés pharmacologiques.
Ainsi, l’arrêt de la CJCE du 29 avril 2004 Commission / Allemagne précise « le Juge doit opérer, au cas par cas, compte tenu de l’ensemble de leurs caractéristiques et notamment, leur composition, leurs propriétés pharmacologiques. Telles qu’elles doivent être établies en l’état actuel de la connaissance scientifique, leurs modalités d’emploi, l’ampleur de la diffusion, la connaissance qu’en ont les consommateurs et les risques que peut entraîner leur utilisation ».
Mais qu’est ce que « les propriétés pharmacologiques » ?
- Si c’est pour dire qu’est médicament tout produit qui a des propriétés médicamenteuses, c’est s’en rapporter à Monsieur DE LAPALISSE.
- Si c’est pour ajouter aux propriétés thérapeutiques, Pourquoi ? dans quelles limites ?
- Si c’est pour, comme l’AFSSAPS, affirmer que les propriétés des plantes, leurs vertus traditionnellement reconnues, sont des propriétés thérapeutiques, tout est médicament, l’ail, l’oignon, la myrtille…
- Si c’est affirmer que toutes les plantes inscrites à la pharmacopée et qui ont donc nécessairement des propriétés pharmacologiques, puisqu’elles peuvent servir à la fabrication des médicaments sont des médicaments par fonction, c’est affirmer que l’abricot, le blé, le houblon…qui sont inscrits à la pharmacopée sont des médicaments !
On pouvait donc espérer qu’un nouveau texte ait pour finalité d’apporter des éclaircissements, de faire cesser tous ces abus qui cachent de grands intérêts économiques.
Hélas, le nouveau texte qui résulte de la Directive 2004/27/CE du 31 mars 2004 n’apporte pas d’éclaircissement, inverse les priorités, multiplie les approximations et autorise toutes les interprétations et tous les abus.
Si ce texte ne modifie pas la définition du médicament par présentation, il donne la définition suivante du médicament par fonction :
« Toute substance ou composition pouvant être utilisée par l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques, en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical ».
Les modifications du texte portent donc sur :
- ajout de « utilisée par l’homme » qui se substitue à « administrée à l’homme », ce qui constitue une extension de la définition, puisque c’est admettre que la simple consommation d’une substance est visée par le texte et pas seulement une prescription ou une recommandation.
- la notion de « fonction organique » est supprimée pour être remplacée par « fonctions physiologiques ou exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique ».
Il s’agit, là encore, d’une extension considérable, qui au surplus crée la confusion et ne veut scientifiquement rien dire.
Il est évident que cette définition homologue la notion d’action pharmacologique critiquée ci-dessus, étend les fonctions d’organique à physiologique, crée la confusion avec l’action physiologique reconnue des compléments alimentaires et permet de faire rentrer dans cette définition tout et n’importe quoi.
Quel est l’aliment qui n’est pas utilisé par l’homme en vue de restaurer des fonctions physiologiques en exerçant une action métabolique ?
Il est évident que cette définition étend à l’infini la définition du médicament et permet d’y intégrer l’action physiologique et les changements du métabolisme.
La Cour de Cassation ne devrait qu’être satisfaite de voir « a posteriori » retenus les critères de sa jurisprudence.
Mais non seulement cette définition intègre tout dans la définition du médicament, mais cette directive qui doit être intégrée avant le 30 octobre 2005 prévoit également :
« en cas de doute, lorsqu’un produit, eu égard à l’ensemble de ses caractéristiques, est susceptible de répondre à la fois à la définition du « médicament » et à la définition d’un produit régit par une autre législation communautaire, les dispositions de la présente directive s’appliquent ».
Une seule question se pose alors, quelle substance, quel produit peut encore échapper à la qualification de médicament, quel produit est insusceptible de modifier une fonction physiologique en exerçant une action métabolique ?
Certes, la commission a rassuré les Parlementaires Européens en affirmant que cela ne remettait pas en cause les autres catégories juridiques.
Mais comment peut on ainsi, d’une manière aussi flagrante, contredire les principes de libre circulation, les principes de proportionnalité (pourquoi admettre les mêmes contraintes pour un poison dangereux qui corrige une fonction organique et un produit d’alimentation qui restaure une fonction physiologique ?) et qui remet en question les principes clairs définis par le règlement du 28 janvier 2002 (et non une directive).
Quelle peut être la légalité d’une telle directive ?
Il est bien évident que les pouvoirs publics français vont s’empresser d’intégrer cette directive qui exhausse tous leurs vœux : tout est médicament et tout est soumis au contrôle et à l’autorisation préalable de l’AFSSAPS.
Enfin, les poursuites et saisies illégales de la DGCCRF, de la DRASS ou de l’AFSSAPS vont trouver un fondement légal !
On peut se demander pourquoi une telle directive a vu le jour alors que les considérants de cette directive ne prétendent viser que la libre circulation des médicaments en Europe.
Certes, la Commission a l’obsession de la qualité des produits et de leurs effets sur la santé et pour elle, seule la procédure d’AMM donne des garanties.
Mais d’une part, il est facile d’exiger le respect des bonnes pratiques de fabrication sans passer par une AMM, d’autre part, la Commission ne peut ignorer les conséquences d’une qualification de médicament.
Non seulement, la procédure d’AMM est lourde, très coûteuse et inadaptée à de très nombreux produits ; non seulement cette procédure est inacceptable pour des produits naturels qui ne peuvent pas être protégés, mais encore, le système de distribution des médicaments est, notamment en France, contraignants, anticoncurrentiel et constitue une atteinte caractérisée à la libre circulation des produits.
Par son arrêt du 5 février 2004, Commission/République Italienne, la Cour de Justice a clairement retenu qu’en rendant la commercialisation des aliments plus difficile et plus coûteuse, on entravait les échanges entre les états membres et on constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, au sens de l’article 28 CE.
Certes, la Directive du 31 mars 2004 – 2004 24 CE a simplifié la procédure d’AMM des médicaments à base de plantes.
Certes, cette nouvelle directive 2004/27 du 31 mars 2004 instituant un Code Communautaire relatif aux médicaments à usage humain, veut apporter un peu de célérité, d’objectivité, de transparence à la procédure d’AMM.
Mais cela ne change rien aux contraintes de cette procédure et aux conséquences sur la distribution des produits.
Cette directive est d’autant plus incompréhensible qu’elle s’avère contraire aux principes définis par la Cour de Justice et même aux avis de la Commission.
+ AVIS : dans ses avis 2003/0306 et 2003/0305, sur le projet de décret français sur la commercialisation des compléments alimentaires, la Commission a écrit « les moyens choisis pour garantir un degré élevé de protection de la santé publique doivent être limités à ce qui est effectivement nécessaire pour assurer la sauvegarde de la santé publique. La Commission souligne le caractère disproportionné d’une réglementation qui interdirait systématiquement la commercialisation de tout complément alimentaire auquel des plantes ou d’autres substances ont été ajoutées ».
La Commission estime « que l’objectif de protection de la santé publique pourrait être atteint dans de nombreux cas, notamment en ce qui concerne les plantes, par un système de déclaration et de contrôle a posteriori et non par un régime d’autorisation préalable. »
Or, il est bien évident :
- que la procédure d’AMM est un système très lourd et onéreux de déclaration et de contrôle à priori et constitue nécessairement un régime d’autorisation préalable.
- que tous les compléments alimentaires à base de plantes ou d’extraits végétaux sont susceptibles de répondre à la fois à la définition du médicament et à celle d’un complément alimentaire puisqu’ils sont utilisés en vue de restaurer des fonctions physiologiques et que selon l’AFSSAPS, toutes les plantes qui sont inscrites à la pharmacopée ont un effet pharmacologique.
De plus, les critères de délivrance des médicaments ne sont pas à proprement parlé, comme l’exige la Commission dans ces mêmes avis, des « critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales afin que celui-ci ne soit pas exercé de manière arbitraire ».
+ JURISPRUDENCE CJCE :
5 février 2004 C 95/01 question préjudicielle TGI PARIS :
« Ils doivent être proportionnés à l’objectif ainsi poursuivi, lequel n’aurait pas pu être atteint par des mesures restreignant d’une manière moindre les échanges intracommunautaires…ne saurait être adoptée que si le risque réel allégué pour la santé publique apparaît comme suffisamment établi sur la base des données scientifiques les plus récentes .»
23 septembre 2003 COMMISSION/DANEMARK
« rend la commercialisation de ces denrées plus difficile, voire impossible et par conséquent, entrave les échanges entre les états membres. »
Il en résulte :
- que l’extension considérable des critères de qualification du médicament par fonction, permettra aux instances nationales de qualifier de médicament presque tous les compléments alimentaires qui ont un effet bénéfique pour la santé (s’il y a un doute sur la qualification, ce qui justifie les nombreux procès, c’est la qualification de médicament qui devra être retenue (article 2 § 2 de la Directive susvisée).
- que la qualification de médicament est une contrainte considérable non seulement lors de la fabrication mais surtout lors de la commercialisation qui rend difficile voire impossible la commercialisation.
Les contraintes de fabrication inadaptées à des produits naturels alors même que les contraintes de fabrication des denrées alimentaires sont déjà considérables et très suffisantes.
- la commercialisation, surtout en France, exclue la disponibilité des produits, la libre concurrence et consacre les pratiques discriminatoires et monopolistiques des distributeurs pharmaceutiques.
- les conclusions de Monsieur l’Avocat Général Philippe LEGER, présentée le 25 mai 2004, dans une affaire C – 438/02, précise sur la légalité du monopole de la vente au détail des médicaments en SUEDE : « l’article 31 CE s’oppose t’il à une législation nationale qui prévoit que le commerce de détail des médicaments ne peut être exercé que par l’Etat ou une personne morale sur laquelle l’Etat à une influence dominante et dont l’objet est de répondre aux besoins de médicaments sûrs et efficaces ? »
« l’article 31 CE s’applique aux monopoles nationaux présentant un caractère commercial et vise tout organisme par lequel un état membre contrôle, dirige ou influe sensiblement non seulement de façon directe mais également indirecte, les importations, exportations entre Etats membres ».
Monsieur l’Avocat Général rappelle que cela concerne notamment une entreprise privée investie de droits exclusifs ou spéciaux ; ce qui est bien le cas des pharmaciens en France.
Monsieur l’Avocat Général, sur le fond, a conclu « que le maintien de droit exclusif de la vente au détail des médicaments n’est pas nécessaire pour permettre à APOTEKET de remplir sa mission particulière et qu’en tout état de cause, le maintien de ce droit constitue une mesure disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi ».
Pourquoi dès lors, adopter une définition du médicament qui ne parle ni de pathologie, ni de thérapie, qui par ses termes très généraux, consacre une atteinte fondamentale aux principes de libre circulation et de proportionnalité ?
Quels risques pour la santé veut-on ainsi éliminer alors qu’il n’est pratiquement pas justifié d’un risque avéré, sérieux, scientifiquement prouvé de ces produits, compléments alimentaires, alors même que de nombreux médicaments ont hélas démontré leur caractère dangereux et néfaste pour la santé (et pas seulement des médicaments anti-cholestérol !)
Depuis quand la procédure d’AMM constituerait-elle le rempart infaillible contre les risques pour la santé publique ?
A qui veut-on faire croire que cette procédure d’AMM, non transparente, non contradictoire, extrêmement onéreuse, non limitée dans le temps, délivrée par des autorités sans indépendance, serait la panacée des protecteurs de la santé publique ?
On sait trop bien en France comment sont délivrées les autorisations du Gaucho et du Régent ! (voir le livre de Monsieur DE VILLIERS) pour ne pas craindre que cette nouvelle définition du médicament ne soit qu’un cadeau offert aux touts puissants laboratoires pharmaceutiques.
Ceux-ci se sont sentis menacés par le règlement du 28 janvier 2002 et la Directive du 10 juin 2002 et ils ont très vite su faire la démonstration de leur force de persuasion et faire adopter des textes qui leur laissent carte blanche.
Une Directive qui viole le règlement du 28 janvier 2002, qui contredit la Directive du 10 juin 2002, qui nie les attendus de la CJCE est une Directive illégale.
Cet article n'engage que son auteur.
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