Le projet de loi français "portant réforme bancaire et financière"

Publié le : 19/12/2012 19 décembre déc. 12 2012

Le projet de loi portant réforme bancaire et financière était présenté le mercredi 19 décembre en Conseil des Ministres, ce dernier figurait parmi les engagements du candidat à la présidentielle, actuel président, François Hollande.

Une réponse nationale à une problématique internationale:Sans attendre une réponse commune européenne suite au Rapport Liikanen (La Tribune en ligne du 02 octobre 2012 "Réforme bancaire : tout savoir sur le rapport Liikanen en cinq questions") remis au commissaire européen Michel Barnier le 2 octobre dernier, le Gouvernement français a établi, sous la direction de M. P. Moscovici, un projet destiné "à remédier à certaines carences du dispositif de régulation du secteur financier" révélées par la crise des dites de "subprimes" de 2007-2008 (Le Monde en ligne du 27.11.2012 Réforme bancaire : ce que dit le projet de loi), lequel est présenté au Gouvernement ce 19 décembre 2012.

Ce projet s'inscrit dans une double problématique de régulation (Lire notamment sur cette problématique, Hubert de Vauplane in blog Alternatives Economiques") :

• la méthode.
• les objectifs.



 La question de la méthode se décline entre :• exigences prudentielles, c'est le système dit de Bâle pour les Banques ou Solvabilité pour les assurances, un certain de niveau de fonds propres devant répondre à un certain niveau de risque, et

• exigences de séparation/cantonnement des activités à potentialité de risque systémique de celles qui ne postulent pas les mêmes risques.

Les deux méthodes à vocation normative sont retenues, la seconde émanant plus directement des autorités politiques, étant entendu que l'une comme l'autre :

• génère pour les acteurs concernés (banque, assurance..), des craintes de forte augmentation des coûts voire de contraction de financement de l'économie;

• répond au double souci de limiter les risques des crises systémiques et de report des conséquences desdites crises sur le contribuable.



 La méthode retenue peut varier en fonction de la cible, les banques n'adoptant pas le même modèle selon les régions et les cultures financières (schématiquement parce que la réalité est évidemment plus complexe) :• En Europe et en Asie, le système de la banque dite "universelle" d'organisation de type horizontal, prédomine : le financement des acteurs de l'économie passe plutôt par les banques.

• En Amérique du Nord, la distinction banque d'investissement/banque de détail est plus prégnante, adoptant une organisation plus verticale : le financement des acteurs de l'économie passe essentiellement par le marché.


Si l'élaboration d'une régulation mondiale commune est souhaitable en son principe, elle parait difficile à établir en pratique.

Suite au Congrès du G20 de PITTSBURGH des 24/25 septembre 2009, les différents participants ont entamé un vaste processus de régulation portant sur les marchés et les institutions financières, ainsi

 Aux USA, le DODD-FRANCK act (DFA) du 15 juillet 2010 sur la "régulation financière" [en anglais].
 En Europe, le règlement EMIR (European market infrastructures regulation) qui doit entrer en vigueur le 01/01/2013, reprend partie des dispositions DFA sur les dérivés ainsi que la révision de la directive MIF (marchés instruments financiers) dite MIFID en cours.
 En France, la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 a essentiellement porté sur le renforcement de la supervision des acteurs et des marchés financiers.

A l'égard de structures financières plus précisément :

 Le Royaume-Uni a adopté, ce que l'on nomme la "Règle Vickers" du nom du Président de la Commission sur les Banques (The Telegraph, "Vickers report main points", 12 septembre 2011, en anglais)- rapport déposé le 12 septembre 2011 qui propose un cantonnement des activités bancaires dites "vitales", à savoir les services de caisse, de découvert, dépôts et crédits aux particuliers et aux petites "entités" que seules les structures dédiées pourront proposer.

Tout lien avec les autres activités du Groupe bancaire, ne serait pas rompu mais réaménagé.

Ces dispositions qui n'ont vocation qu'à s'appliquer aux banques britanniques devraient entrer en vigueur en… 2019. Certaines "mauvaises langues" n'hésitent pas à dire que ce ne sera jamais le cas.

 Les Etats-Unis ont mis en œuvre la "règle Volcker" issue de la Loi DFA depuis le 21 juillet 2012 et qui prévoit notamment la séparation des activités de négociation pour compte propre avec les autres activités et leur interdisant d'investir dans des hedge funds ainsi que dans des fonds d'actions non cotées.

Ces règles fixent par ailleurs un plafond de 3% du montant de leur "capital tier one" d'autorisation d'intervention dans des fonds d'investissement en capital ou d'instruments de dérivés.

Ces dispositions doivent être appliquées pour le 21 juillet 2014 au plus tard. A la différence de la "règle Vickers", toutes les banques qu'elles soient américaines ou étrangères du moment qu'elles détiennent un établissement aux USA y sont, sauf exceptions et sous réserve d'évolution, assujetties.

En France donc, le Projet de loi "portant réforme bancaire et financière" sera présenté au conseil des ministres, le 19 décembre 2012.

Celui-ci comporte sept titres dont certains sont plus particulièrement emblématiques (La Tribune en ligne du 26.11.2012 Réforme bancaire : les 3 principales mesures du projet de loi).

Ainsi les quatre premiers titres (seuls cités ici) prévoient :

Titre 1 : Séparation des activités utiles au financement de l'économie des activités spéculatives.

Il s'agit essentiellement de limiter les activités de marché à celles nécessaires au financement de l'économie, les opérations pour compte (pour les établissements dont c'est une activité significative) ne pourront être réalisées que si elles ont une utilité avérée pour le financement de l'économie (article 1).

Ainsi les activités spéculatives sans lien avec les clients ou sans utilité pour le fonctionnement de l'économie, seront cantonnées dans une filiale "capitalisée et financée de manière autonome" "comme si elle n'appartenait pas au groupe bancaire qui la contrôle" (article 2)

Par ailleurs certaines activités seront interdites : opérations de trading à haute fréquence et les opérations avec des produits dérivés agricoles (article 1).

Aux fins de contrôle et de sanctions, de plus grands pouvoirs seront donnés à l'Autorité de Contrôle prudentiel (ACP) et à l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) (article 3). Notamment l'ACP disposera de la faculté d'interdire à un établissement, les opérations susceptibles de faire courir un risque systémique ou de souscrire à un produit dangereux (article 4).


Titre 2 : Mise en place du régime de résolution bancaire

De nouvelles missions de prévention et de gestion des crises bancaires seront assignées à l'ACP qui devient ACPR (Autorité de Contrôle prudentiel et de résolution) et qui voit la création en son sein d'un collège chargé de la résolution bancaire (article 6).

De même, le Fonds de Garantie des Dépôts (FGD) devenant FGDR (Fonds de Garantie des Dépôts et de résolution) interviendra dorénavant sur décision de l'ACPR auprès d'un établissement de crédit en difficultés et engagé dans une procédure de résolution (article 7)

Concrètement, les établissements dépassant un certain seuil devront adresser à l'ACPR, un plan préventif de rétablissement, déclenché en cas de graves difficultés financières.

L'ACPR disposera de la faculté d'imposer des mesures de résolution aux établissements de crédit en graves difficultés (désigner un administrateur ad hoc, révocation d'un dirigeant, transfert ou cession forcée d'activités…) (article 8).

Titre 3 : Surveillance macro-prudentielle

Le Conseil de régulation financière et du risque systémique (Cofréris) devenant Conseil de stabilité financière verra ses pouvoirs de recommandation (de maintien de la stabilité) quelque peu étendus (article 12).

Titre 4 : Renforcement des pouvoirs de l'AMF et de l'ACP

Ces renforcements sont importants.

Notamment les enquêteurs et contrôleurs de l'AMF disposeront de plus larges latitudes dans leurs enquêtes et pourront procéder à des visites domiciliaires (article 15 et 16)

Quant à l'ACP, elle pourra s'opposer à la nomination de dirigeants des établissements bancaires, financiers et d'assurance s'ils ne respectent pas les conditions d'honorabilité; de compétence ou d'expérience requises.

***

Ces dispositions dont les plus importantes n'ont vocation à entrer en vigueur qu'en 2015 ont été critiquées à l'aune toutefois du seul titre 1, d'aucuns lui reprochant sa trop grande timidité (en comparaison des règles "Vickers" et "Volcker") voire son éloignement des promesses électorales du printemps prônant une séparation de l'ensemble des activités dites spéculatives avec celles qui n'en sont pas.

Ainsi ce texte reflèterait l'influence de "l'institution bancaire " (L'expansion en ligne du 01.12.2012 : A quoi va ressembler la réforme bancaire) et n'aurait qu'une faible portée, l'isolement des activités "à risque" ne concernant que peu de cas, de nombreuses banques ayant déjà supprimé leurs activités de marché pour compte propre (La Tribune en ligne du 26.11.2012 Réforme bancaire : les 3 principales mesures du projet de loi).

Ces critiques paraissent toutefois pécher tant par excès que par défaut.

Sur le premier aspect, M. P. MOSCOVICI a entendu souligner qu'entre les reproches de manque d'ambition et ceux de trop grande réforme, le projet reposait finalement sur un assez bon équilibre (v. JDD du 16 décembre 2012).

En tout état de cause, seule l'application réelle des mesures envisagées permettront d'en cerner l'opportunité ce d'autant que la portée et l'efficacité de ces mesures ne peuvent s'apprécier abstraction faite de ce qui sera décidé au niveau européen et alors que les gouvernements de l'Union viennent de s'accorder sur les grandes lignes de la Supervision bancaire (lire notamment Le Figaro en ligne du 13 décembre 2012 : Comprendre l'accord sur la supervision bancaire).

Autrement dit, ces mesures françaises ne sont et ne seront pas concevables hors cadre réglementaire européen dont les dispositions concrètes ne sont pas précisément définies.

Quant au second aspect, ces critiques, du moins celles ne portant que sur le Titre 1, paraissent oublier la grande avancée que sont les mesures des Titres 2 et 4. Ainsi que cela est heureusement souligné par ailleurs (L'expansion en ligne du 01.12.2012 : A quoi va ressembler la réforme bancaire), la grande évolution apportée par ce projet réside dans "l'amélioration de la résolution bancaire qui permet d'anticiper la faillite des établissements [laquelle] est fortement recommandée pour limiter le risque systémique".

Ce à quoi le même commentateur d'ajouter que "l'efficacité de la régulation dépendra in fine de la manière dont l'ACPR utilisera ses nouveaux pouvoirs".

C'est donc bien à l'aune de leur mise en œuvre que les dispositions de ce projet devront être jugées si tant est qu'elles soient adoptées en l'état et qu'elles ne soient pas substantiellement modifiées par le régulateur européen.


L'auteur de cet article:Stéphane ASENCIO, avocat à Bordeaux



Cet article n'engage que son auteur.

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