L'exercice de la médecine sur plusieurs sites professionnels distincts : l'indispensable information du Conseil Départemental de l'Ordre
Publié le :
28/02/2020
28
février
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02
2020
Par la décision n° 13395 du 17 septembre 2019, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a prononcé la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de six mois à l’encontre du docteur A qui a notamment pratiqué des actes médicaux dans un cabinet situé à Paris, alors qu’il était inscrit au tableau du Val-d’Oise et n’avait pas été autorisé à ouvrir un lieu d’exercice distinct à Paris. Il n’avait en outre pas informé le conseil départemental du Val-d’Oise de cet exercice distinct dans un autre lieu.Ce praticien avait également commis d’autres manquements déontologiques et la chambre nationale disciplinaire a considéré que :
« Il résulte de tout ce qui précède que compte tenu de l’ensemble des manquements déontologiques qu’il a commis, il y a lieu d’infliger au Dr A la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de six mois ».
À noter que la chambre disciplinaire de première instance avait infligé au praticien une sanction d’interdiction d’exercer la médecine, pendant une durée d’un an.
L'article R. 4127-19 du code de la santé publique, dispose que :
« La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité (…) ».
Puis l'article R. 4127-24 dudit code interdit au médecin : « (...) -toute ristourne en argent (...) ».
Sur le grief tenant à la communication, la caisse primaire d’assurance maladie du Val-d’Oise avait informé le conseil départemental du Val-d’Oise de l’Ordre des médecins de la présence « dans des lieux publics » de cartes de visite du Dr A portant la mention « Médecine esthétique / Paris et région parisienne » ainsi que les numéros de téléphone et l’adresse électronique de l’intéressé.
La chambre nationale disciplinaire a considéré sans aucune ambiguïté et conformément à sa jurisprudence traditionnelle, que :
« La diffusion en nombre de ces cartes de visite, affichant de surcroît la mention « médecine esthétique » qui n’a aucun contenu médical et seulement une portée commerciale, constitue une pratique à caractère publicitaire (…). Il en résulte que la diffusion de ces documents constitue, de la part du Dr A, un manquement aux dispositions précitées de l’article R. 4127-19 du code de la santé publique ».
Sur ce même grief, un site internet renvoyait un lien vers le site du praticien, après l’offre commerciale suivante :
« Paris extra (…) Comblement à l’acide hyaluronique pour lèvres, sillons nasogéniens ou rides du visage à 109 € dans le 8e (…) Montant : 109,00 € Remise 56% Economie 141,00 € (…) Pour profiter de ce deal, il vous reste : 5 jours (…) Déjà 103 acheteurs ! Profitez-en aussi ! (…) ».
La chambre nationale disciplinaire a considéré que :
« S’il soutient que ce contrat a été de courte durée et que la société X lui avait indiqué à tort que les propositions qu’elle mettait en ligne étaient conformes au code de déontologie, il résulte sans ambiguïté des mentions qui viennent d’être citées que la proposition relative aux prestations du Dr A, dont il ne pouvait ignorer le contenu, constituait de sa part une pratique commerciale permettant en outre à ses bénéficiaires d’obtenir des ristournes en argent, à ce titre contraire aux dispositions des articles R. 4127-19 et R. 4127-24 du code de la santé publique citées ci-dessus ».
Sur ce point, le praticien ne pouvait se prévaloir du fait que le contrat qu’il avait souscrit avec la société qui renvoyait vers son propre site Internet, était de courte durée et que cette société lui avait certifié que les informations mises en ligne étaient conformes au code de déontologie.
En effet, le praticien demeure seul responsable déontologique et il lui appartenait de prendre toutes les précautions personnelles est nécessaire afin de s’assurer du respect de ses propres obligations déontologiques. Le fait qu’il ait pu être trompé ou abusé par ce prestataire ne fait pas obstacle à l’engagement de sa responsabilité déontologique.
L’article R. 4127-85 du code de la santé publique, dispose que :
« Le lieu habituel d'exercice d'un médecin est celui de la résidence professionnelle au titre de laquelle il est inscrit sur le tableau du conseil départemental, conformément à l'article L. 4112-1.
Dans l'intérêt de la population, un médecin peut exercer son activité professionnelle sur un ou plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle habituelle (...).
La demande d'ouverture d'un lieu d'exercice distinct est adressée au conseil départemental dans le ressort duquel se situe l'activité envisagée. Elle doit être accompagnée de toutes informations utiles sur les conditions d'exercice. Si celles-ci sont insuffisantes, le conseil départemental doit demander des précisions complémentaires.
Le conseil départemental au tableau duquel le médecin est inscrit est informé de la demande lorsque celle-ci concerne un site situé dans un autre département (...) ».
Puis l’article R. 4127-111 du même code dispose :
« Tout médecin qui modifie ses conditions d'exercice (...) est tenu d'en avertir le conseil départemental (…) ».
Le docteur A avait pratiqué des actes médicaux dans un cabinet situé à Paris, alors qu’il était inscrit au tableau du Val-d’Oise et n’avait pas été autorisé à ouvrir un lieu d’exercice distinct à Paris. Il n’avait en outre pas informé le conseil départemental du Val-d’Oise de cet exercice distinct dans un autre lieu.
La chambre nationale disciplinaire, a considéré que :
« Ces faits constituent un manquement aux dispositions des articles R. 4127-85 et R. 4127-111 du code de la santé publique cités ci-dessus ».
Il résulte des dispositions précitées qu’un praticien peut exercer sur un site distinct de sa résidence professionnelle si et seulement s’il est en mesure d’établir que cette installation répond à l’intérêt de la population. Le praticien s’impose toute disponibilité pour répondre aux urgences.
Dans le cas de l’espèce, la notion d’urgence est à analyser au regard des suites d’une intervention, dans le cadre de l’exercice de la médecine esthétique. Autrement dit, la disponibilité en cas d’urgence s’appréciera différemment, d’une spécialité à l’autre.
Le besoin et l’intérêt de la population doit être déterminé par une carence ou une insuffisance de l’offre de soins, considéré préjudiciable aux besoins de la population et à la continuité et à la permanence des soins.
L’éventuelle carence de l’offre de soins va s’analyser sur un secteur géographique donné au regard de la spécialité en question. Ces spécialités peuvent également imposer la présence d’un plateau technique particulier et des modalités de prise en charge des patients par coordination des différents services pouvant intervenir avant et après la prise en charge par le praticien concerné.
Quoi qu’il en soit, l’exercice sur un autre secteur géographique est soumis à autorisation préalable de l’Ordre, qui appréciera si le praticien sollicitant cette autorisation remplit toutes les conditions posées par les dispositions précitées, que ce soit en termes d’équipements, de gestion des urgences et de continuité des soins.
Cette décision d’exercice dans un site professionnel distinct, peut-être contesté par un autre praticien y ayant un intérêt, par une demande de retrait de cette décision, auprès du conseil départemental de l’Ordre qui a délivré l’autorisation, puis par une contestation auprès du conseil national de l’Ordre.
Enfin, la décision commentée n° 13395 du 17 septembre 2019 présente un intérêt particulier en termes de procédure.
En effet, la chambre disciplinaire nationale a précisé que :
« Le juge disciplinaire n’est pas lié par les termes de la plainte dont il est saisi ou, lorsque celle-ci émane d’une instance de l’Ordre, par ceux de la délibération qui a décidé d’engager la procédure. Il peut, notamment, tenir compte de faits ou pièces révélés ou apparus au cours de l’instruction lorsque ces faits ou pièces ont un rapport direct avec l’objet de la plainte et que le médecin poursuivi a été à même de présenter sa défense. Il en résulte que le reproche relatif à la distribution de cartes de visite du Dr A dans un lieu public, qui se rattache au grief de pratique de la médecine comme un commerce invoqué dans les plaintes, a été invoqué par le conseil départemental du Val-d’Oise dans ses écritures et a fait l’objet d’un débat contradictoire ».
Le juge disciplinaire de l’Ordre n’est donc pas lié par ce qui pourrait être considéré comme des « insuffisances rédactionnelles » des procès-verbaux des délibérations des conseils départementaux de l’Ordre, décidant d’engager des procédures à l’encontre des praticiens.
Le juge disciplinaire dispose d’un large pouvoir d’instruction et en se référant aux pièces versées au dossier par les parties, il peut rattacher un argument donné, mais non développer à un moyen juridique en lien avec l’objet de la plainte.
Dans ce cas d’espèce, l’ensemble des manquements déontologiques du praticien relatif au défaut de procédure d’exercice sur un site professionnel distinct et de méconnaissance des obligations liées à la communication, on justifiait l’interdiction d’exercice d’une durée de six mois, alors même que la chambre disciplinaire avait retenu un an.
La chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a en effet pour objectif d’harmoniser les quantums des sanctions, relativement disparates d’une chambre disciplinaire à une autre, pour des faits relevant pourtant, de méconnaissances déontologiques identiques.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Thomas PORCHET
Avocat
1927 AVOCATS - Poitiers, 1927 AVOCATS - La-Roche-Sur-Yon, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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