Démolition d'ouvrage

Actions en démolition d'un ouvrage et contrôle de proportionnalité sur la solution réparatoire

Publié le : 22/12/2021 22 décembre déc. 12 2021

Deux arrêts intéressants ont été rendus dans le courant de l'année 2021 en matière de contrôle de proportionnalité exercé par la Cour de cassation dans le cadre des actions en démolition d’ouvrages (Cass., 3ème civ., 27 mai 2021, n° 20-13.204 - n° 20-14.321 ; Cass., 3ème civ., 17 novembre 2021, n° 20-17.218).

Durant très longtemps, statuant sur le fondement de l'article 1149 du code civil, la jurisprudence a systématiquement confirmé son attachement au principe de réparation intégrale, considéré comme l’obligation faite au débiteur de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si le dommage n'avait pas été causé et donc si les désordres n'étaient pas survenus (Cass., 3ème civ., 27 mars 2012, n° 11-11.798).

Cette analyse était encore confirmée par un arrêt de la Cour d’appel d’Orléans en date du 2 décembre 2019 (Cour d’appel d’Orléans, 2 décembre 2019, n° 18-00786) :

« Le comblement du sous-sol pour pallier les fautes du constructeur n’est donc pas de nature à replacer les maîtres d’ouvrage dans la situation où ils se seraient trouvés si les désordres ne s’étaient pas produits, et ne peut être retenue pour la détermination de l’indemnisation du préjudice matériel. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que seule la solution de la démolition et de la reconstruction de l’ouvrage, telle que proposée par l’expert judiciaire et retenue par le tribunal, est de nature à permettre la réparation intégrale du préjudice. »

La jurisprudence a toutefois marqué ces dernières années un infléchissement certain, en appréciant la proportionnalité des travaux réparatoires en considération du dommage subi, afin d'éviter de constituer des situations excessives et économiquement inéquitables pour le débiteur.

C'est ainsi que, de façon particulièrement significative, la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 13 juin 2019, avait indiqué que : « Aux termes de l’article 1382, devenu 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que cette réparation, devant être à la mesure du préjudice subi, ne peut être disproportionnée ». (Cass., com., 13 juin 2019, n° 18-10.688).

Les deux arrêts rendus par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation les 27 mai 2021 et 17 novembre 2021 ne font que confirmer l'évolution de la jurisprudence en ce sens, avec pour seule véritable limite le respect de la propriété privée d'autrui, qui ne semble pas souffrir d'exception.

L’analyse de la jurisprudence doit être alors appréciée selon que les actions en démolition sont engagées du fait de l’anéantissement du contrat, au titre des restitutions réciproques, du fait de l’existence de malfaçons ou de non-conformités, au titre des solutions réparatoires, ou bien encore du fait d’une situation d’empiètement, au titre de l’atteinte portée à la propriété d’autrui.
 

A - Les actions en démolition découlant de l'anénantissement du contrat :

Dans l'arrêt rendu le 27 mai 2021 (Cass., 3ème civ., 27 mai 2021, n° 20-13.204 - n° 20-14.321), la Cour de cassation retient qu'en cas d'anéantissement du contrat, en l'espèce du fait de l'exercice de la faculté de rétractation du maître d'ouvrage, le juge, saisi d'une demande de remise en état du terrain au titre des restitutions réciproques, doit rechercher si la démolition de l'ouvrage réalisé constitue une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectent.

La jurisprudence antérieure considérait que la nullité du contrat de construction impliquait nécessairement la démolition de l'ouvrage sans indemnité pour le constructeur au titre des travaux déjà réalisés (Cass., 3ème civ., 26 juin 2013, n° 12-18.121).

La Cour de cassation veille désormais à ce qu’un contrôle de proportionnalité soit exercé par le juge, de sorte qu’il puisse apprécier l'opportunité d'ordonner la démolition des ouvrages, compte tenu de la nature du préjudice effectivement subi par le maître d'ouvrage.

C'est ainsi que dans un arrêt rendu le 17 décembre 2020, la cour d'appel de Rennes a fait droit à la demande du maître d'ouvrage, en retenant que « la démolition de l'existant ne présente pas un caractère disproportionné » (Cour d'appel de Rennes, 4ème chambre, 17 décembre 2020, n° 20-01126).

L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 mai 2021 est donc conforme à l'évolution de la jurisprudence (Cass., 3ème civ., 15 octobre 2015, n° 14-23.612 ; Cass., 3ème civ., 22 novembre 2018, n° 17-12.537 ; Cass., 3ème civ., 27 mai 2021, n° 20-13.204 et n° 20-14.321) et précise qu’il incombe alors au constructeur de rapporter la preuve des faits de nature à établir le caractère disproportionné de la solution de démolition.

C'est donc au titre de son pouvoir d'appréciation que le juge peut être amené à rejeter la demande tendant à la démolition de l'ouvrage et à la remise en état du terrain, lorsqu'il est sollicité la nullité du contrat de construction de maisons individuelles (Cass., 3ème civ., 3 mai 2018, n° 17-15.067) :

« Le chantier, achevé à plus des deux tiers, étant clos et couvert, avec un gros œuvre de charpente couverture de bonne qualité, un gros œuvre de maçonnerie tout à fait correcte, et qu’il aurait pu être terminé à la date prévue et retenue le caractère disproportionné de la sanction de la démolition de l’ouvrage ».

Il en résulte donc que le maître d'ouvrage, qui invoque la nullité du contrat de construction, n'est pas nécessairement tenu de demander la démolition de l’ouvrage, et peut ainsi limiter sa demande à l'indemnisation du préjudice résultant du prononcé de la nullité du contrat (Cass., 3ème civ., 21 janvier 2016, n° 14-26.085). 

En l’espèce, la cour d’appel, partiellement censurée, avait considéré que le maître d’ouvrage ne pouvait pas demander l’annulation du contrat de construction avec restitution des sommes versées, à charge de laisser à sa libre appréciation la démolition de l’ouvrage édifié, de sorte qu’en s’étant abstenu d’en solliciter la démolition, sa demande en nullité du contrat avait été rejetée.

Pour autant, si le maître d'ouvrage ne sollicite pas la démolition de la construction achevée, en conséquence de la nullité du contrat, il doit alors payer les frais engagés pour la construction édifiée en exécution du contrat annulé, puisqu’ayant bénéficié de la prestation, de sorte qu’il ne puisse en résulter une situation d’enrichissement sans cause (Cass., 3ème civ., 7 avril 2016, n° 14-19.268).
 

B - Les actions en démolition découlant de malfaçons ou de non-conformités destructives :

La jurisprudence, qui apparaît aujourd'hui bien établie, considère qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la démolition de l'ouvrage affecté de dommages, lorsqu'il existe des solutions réparatoires alternatives de nature à remédier aux désordres.

C'est ainsi que la demande tendant à la démolition et à la reconstruction de l'ouvrage est rejetée lorsqu'il est considéré qu'il s'agit d'une mesure disproportionnée au regard de la nature et de l'ampleur des désordres constatés (Cour d'appel de Reims, 1ère chambre section civile, 13 mars 2018, n° 16-02570 ; Cass., 3ème civ., 19 septembre 2019, n° 18-19.121).

Il va donc être systématiquement recherché s'il existe ou non des solutions techniques alternatives à la démolition, et ce n'est que si les désordres ou les non-conformités sont suffisamment graves et irréparables qu'elle pourra être ordonnée, dès lors que l'exécution du contrat demeure possible (Cour d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 26 octobre 2021, n° 15-05393 ; Cour d'appel de Colmar, chambre 2a, 30 septembre 2021, n° 19-01206 ; Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 26 novembre 2019, n° 19-01007 ; Cass., 3ème civ., 21 mars 2019, n° 17-28.768).

Il a ainsi été rappelé que le respect du principe de réparation intégrale n'implique pas nécessairement que le maître d'ouvrage soit replacé dans une situation de conformité contractuelle, dès lors que le dommage peut être réparé de façon pérenne par des moyens alternatifs (Cass., 3ème civ., 14 février 2019, n° 17-28.768, pour la réglementation parasismique).

Dans l'arrêt rendu le 17 novembre 2021 (Cass., 3ème civ., 17 novembre 2021, n° 20-17.218), il était fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de déconstruction reconstruction de maisons édifiées dans le cadre de contrats de construction de maisons individuelles avec fourniture de plans, afin qu'il soit procédé à la livraison de maisons strictement conformes au contrat de construction, aux plans et aux notices descriptives.

La Cour de cassation a alors confirmé l'arrêt rendu par la cour d'appel qui avait rejeté la demande de déconstruction reconstruction, au motif que les non-conformités étaient, soit non établies, soit dénuées de gravité, le respect des règles de l'art et de la réglementation en vigueur pouvant être assurés par la réalisation des travaux ordonnés : « la demande tendant à la démolition et à la reconstruction des maisons, qui se heurtait au principe de proportionnalité des réparations au regard de l'absence de conséquences dommageables des non-conformités constatées … ».

Ainsi donc, la recherche de solutions alternatives à la démolition de l’ouvrage ne tend pas à replacer le maître d'ouvrage dans sa situation antérieure, mais à mettre un terme aux désordres.
L'évolution de la jurisprudence ne fait que renforcer l'importance du rôle joué par les experts techniques, les économistes de la construction et les avocats dans le cadre des opérations d'expertise judiciaire, au titre de la détermination des travaux réparatoires, dès lors que la validation par l'expert judiciaire de solutions techniques alternatives sera déterminante dans la conduite du dossier et le sort qui pourra lui être réservé.

L’appréciation économique du dossier, dès les opérations d’expertise judiciaire, s’avère ainsi déterminante, puisqu’il peut s’avérer financièrement plus intéressant de prendre en charge des travaux réparatoires, avec éventuellement une indemnisation complémentaire du maître d’ouvrage, que d’indemniser une solution de démolition reconstruction.  

En effet, le principe de réparation intégrale ne s'en trouve pas pour autant invalidé par la jurisprudence, qui considère que si la mise en œuvre de solutions alternatives n'est pas de nature à replacer le maître d'ouvrage dans la situation matérielle qui aurait été la sienne si le dommage n'était pas survenu, il demeure tout à fait possible de compenser cette situation par l'allocation de dommages-intérêts complémentaires.

Ainsi donc, s'il résulte de la mise en œuvre de solutions techniques alternatives une situation préjudiciable pour le maître de l'ouvrage, cette circonstance « constitue un préjudice indemnisable » (Cass., 3ème civ., 19 septembre 2019, n° 18-19.121), ce qui peut être le cas du fait d’une perte de surface ou d’un préjudice esthétique.

Pour autant, encore faut-il qu'au soutien de son action principale en démolition reconstruction, le maître d'ouvrage présente, à titre subsidiaire, une demande indemnitaire, afin que le tribunal statue sur cette réclamation si la mesure de démolition reconstruction était considérée comme étant disproportionnée.

C'est ainsi que dans un arrêt rendu le 21 juin 2018 (Cass., 3ème civ. 21 juin 2018, n° 17-15.897), après avoir rappelé que l'expert judiciaire avait, pour remédier à des désordres, préconisé non pas la démolition et la reconstruction d'un immeuble en son entier, mais des solutions alternatives,  la Cour de cassation a débouté le demandeur de « sa seule demande » consistant au paiement du coût « des travaux de démolition et de reconstruction de l'immeuble », aux termes d'une motivation qui ouvrait très clairement la porte à une indemnisation complémentaire, qui n'avait toutefois pas été sollicitée :

« … retenu qu'il n'y avait pas lieu de procéder à la destruction totale de l'immeuble et à sa reconstruction pour réparer le défaut de conformité qui affectait le seul local commercial, en a exactement déduit, sans refuser d'évaluer un dommage dont elle avait constaté l'existence en son principe, que devait être rejetées les demandes de M et Mme X. et de la société W. qui tendaient exclusivement au paiement du coût des travaux de démolition et de reconstruction de l'immeuble ».

Dès lors qu'il est saisi d'une demande indemnitaire à titre subsidiaire, le tribunal qui constate l'existence d'un désordre ou d’une non-conformité, ne peut donc pas débouter le maître d'ouvrage au seul motif que la demande principale en démolition et reconstruction n'a pas été retenue compte, tenu de son caractère disproportionné (Cass., 3ème civ., 17 octobre 2019, n° 18-20044).

Au regard de l'intonation donnée par la jurisprudence, tendant à un nécessaire contrôle de proportionnalité entre la mesure réparatoire et le préjudice effectivement subi, qui s'inscrit dans une considération évidente d'équité, l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 25 juin 2020 détonne nécessairement (Cour d'appel Aix-en-Provence, chambre 1-4, 25 juin 2020, n° 19-13016), puisque se référant à la notion de réparation intégrale tout en se prévalant d'un contrôle proportionnalité, malgré l'existence de solutions alternatives :

« compte tenu de l'importance des non-conformités contractuelles affectant l'altimètre même de la construction, entraînant une différence importante de niveau entre la maison et le garage, des seules propositions de travaux proposés par l'expert, ce qui reviendrait à contraindre les maîtres d'ouvrage accepter un autre ouvrage que celui convenu et à devoir ainsi minorer leur dommage, il n'est justifié d'aucune atteinte au principe de proportionnalité en cas de démolition/reconstruction ordonnée ».

Un autre arrêt rendu le 20 octobre 2000 par la cour d'appel de Montpellier (cour d'appel de Montpellier, 3ème civ., 29 octobre 2020, 15-05577) refuse de faire application du contrôle de proportionnalité, après avoir été saisi sur le fondement de l'article 1184 alinéa 2 du code civil, au motif qu'une exécution en nature du contrat étant encore envisageable : «… une démolition partielle du bâtiment était donc possible sans qu'il puisse être invoqué une disproportion manifeste entre le coût de la mise en conformité pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »

Il n'en reste pas moins que ces décisions apparaissent aujourd'hui très marginales, alors que dans son arrêt en date du 17 novembre 2021, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a très clairement consacré le contrôle de proportionnalité de la solution réparatoire comme un « principe ».
 

C - Les actions en démolition découlant d'une situation d'empiètement :

De façon absolument constante, la jurisprudence considère que l'action en démolition d'une construction empiétant sur le fond d'autrui est imprescriptible, au même titre que le droit de propriété qui est perpétuel (Cour d’appel de Caen, 1ère chambre civile, 13 avril 2021, n° 17-00674).

La jurisprudence fait ainsi une stricte application de l’article 545 du code civil, qui dispose que nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité.

De la sorte, la victime d'un empiètement peut toujours demander la démolition d'un ouvrage sans avoir à justifier d'un préjudice, pas plus que de l'importance de l'empiètement (Cass., 3ème civ., 21 décembre 2017, n° 16-14.837).

Notamment, le constructeur, même de bonne foi, n’est pas recevable à soutenir, sur le fondement de l’article 555 du code civil, que le voisin sur le terrain duquel la construction empiète serait devenu propriétaire de la partie litigieuse, et lui réclamer en outre une indemnisation à ce titre (Cass., 3ème civ, 10 novembre 2016, n° 15-25.113).

C'est la raison pour laquelle, dans un arrêt rendu le 15 juin 2021, la cour d'appel de Poitiers (Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 15 juin 2021, n° 20-00051) a très clairement indiqué que : « le contrôle de proportionnalité, s'il est opéré dans certaines hypothèses, notamment lorsque l'erreur d'implantation ne se traduit pas par un empiètement, est exclu en matière d'empiètement sur le terrain voisin ».

Position encore une fois rappelée par la cour d'appel de Poitiers dans un autre arrêt en date du 8 juin 2021 pour un empiètement de 0,01 mètre entre 2 murs (Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 8 juin 2021, n° 19-02586) : « l'existence d'un empiètement, même minime, étant constaté, M et Mme X. ne peuvent être privés de leur propriété, et il ne sera pas fait usage d'une notion de proportionnalité en matière d'empiètement. »

Pour autant, le principe de proportionnalité trouve encore à s’appliquer en matière d'empiètement concernant les mesures nécessaires à y mettre un terme, de sorte que si le rabotage d'un ouvrage est de nature à faire cesser l'empiètement constaté, celui-ci doit toujours être privilégié à une solution de démolition de l'ouvrage en son entier (Cass., 3ème civ., 10 novembre 2016, n° 15-25.113).


Cet article n'engage que son auteur.
 

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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