Déclaration d'utilité publique et procédure d'expropriation - Crédit photo : © Michael Flippo - Fotolia.com
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Déclaration d'utilité publique et procédure d'expropriation

Publié le : 30/12/2010 30 décembre déc. 12 2010

Peut-il y avoir urgence à suspendre l'exécution d'une déclaration d'utilité publique en vertu de laquelle est poursuivie une procédure d'expropriation?

Suspension de l'exécution d'une DUP et procédure d'expropriation


Peut-il y avoir urgence à suspendre l'exécution d'une déclaration d'utilité publique (DUP) en vertu de laquelle est poursuivie une procédure d'expropriation?

Le Juge des référés du Tribunal Administratif de RENNES a répondu positivement à cette question au terme d’une ordonnance prononcée, le 17 décembre 2010, dans un contexte tout à fait classique :

La Collectivité publique avait décidé de poursuivre l’expropriation de terrains nécessaires à la réalisation d’une zone d’activités. Après enquête publique, elle avait obtenu du Préfet un arrêté portant Déclaration D’Utilité Publique en date du 8 juillet 2010, contre lequel, les propriétaires des terrains concernés avaient tout d’abord exercé un recours gracieux avant de saisir le Tribunal Administratif d’une requête aux fins d’annulation, puis d’une requête en suspension d’exécution (article L 521-1 du Code de Justice Administrative), enregistrée au Secrétariat-Greffe du Tribunal, le 18 novembre 2010.

Parallèlement la Collectivité Publique avait saisi le Juge de l’Expropriation territorialement compétent afin qu’il fixe les indemnités d’expropriation: Après intervention de l’arrêté de cessibilité, notifié aux expropriés le 28 septembre, la Collectivité avait obtenu le 20 octobre l’ordonnance portant transfert de propriété des terrains à son profit. Ultérieurement, et alors que le Juge des référés administratif était saisi, la Collectivité Publique a notifié aux expropriés cette ordonnance d’expropriation, ce, le 29 novembre, puis elle a demandé au Juge de l’expropriation, le 30 novembre, de fixer son transport sur les lieux, au vu d’un mémoire qu’elle avait notifié aux expropriés le 5 octobre.

L’intérêt de la décision prononcée réside notamment dans la confrontation entre ces deux démarches procédurales conduites parallèlement devant deux juridictions différentes : d’un côté la procédure administrative, sous le contrôle du Juge administratif, de l’autre la procédure indemnitaire portée devant le Juge judiciaire.


Ecartons d’emblée, comme l’a fait le Juge des référés, un argument de procédure invoqué par l’autorité expropriante tiré des dispositions de l’article R 12-2-1 du Code de l’expropriation : La Collectivité publique soutenait l’idée selon laquelle il aurait appartenu aux expropriés d’intervenir auprès du Juge de l’expropriation pour qu’il ne prononce pas le transfert de propriété ; ne l’ayant pas fait, ils devaient subir les conséquences de la procédure d’indemnisation mise en place.

Mais l’argument n’était pas pertinent, au regard même du libellé des dispositions invoquées :

« Si l’acte déclarant L’Utilité Publique, l’arrêté de cessibilité ou l’acte en tenant lieu fait l’objet d’une suspension dans le cadre d’une procédure de référé, le Préfet doit, dès qu’il a reçu notification de la décision, en informer le Juge de l’expropriation.

Celui-ci doit surseoir au prononcé de l’ordonnance d’expropriation dans l’attente de la décision de la juridiction administrative sur le fond de la demande. »

Ce texte a pour seul objet d’éviter que le Juge de l’expropriation prononce le transfert de propriété alors que l’arrêté portant Déclaration d’Utilité Publique fait l’objet d’une suspension, ce qui apparaît effectivement de bonne administration. Mais l’initiative n’appartient qu’au Préfet, non aux expropriés.

En outre, en l’espèce, la saisine du Juge des référés est postérieure à l’intervention de l’ordonnance d’expropriation, étant au passage souligné que l’ordonnance n’a été portée à la connaissance des expropriés que dans le cours même de la procédure de référé.


Mais par ailleurs, la collectivité publique faisait valoir que l’urgence à suspendre la Déclaration d’Utilité Publique n’existait plus en tout état de cause au motif précisément que l’ordonnance d’expropriation était intervenue, emportant le transfert de propriété à son profit. Le Juge des référés répond à cela que cette ordonnance d’expropriation n’est pas définitive, ce qui est vrai, puisqu’elle n’a été notifiée que le 29 novembre 2010 et que cette notification fait courir le délai de pourvoi en cassation qui est de deux mois (article L 12-5 du Code de l’expropriation et article 612 du Code de procédure civile).

Cette réponse n’est sans doute pas celle qu’il fallait faire à l’argumentation de la collectivité publique, car le recours en cassation contre une ordonnance d’expropriation ne peut-être formulé qu’à raison d’un motif d’incompétence, d’excès de pouvoir ou de vice de forme (article L 12-5 du Code de l’expropriation).

Par ailleurs et surtout, que l’ordonnance d’expropriation ait acquis ou non un caractère définitif, il n’en reste pas moins que le transfert de propriété est opéré.

Précisément, les requérants faisaient valoir que ce n’est pas le transfert de propriété résultant de l’ordonnance d’expropriation qui pouvait influer sur la condition d’urgence, mais la prise de possession des terrains par l’autorité expropriante et l’engagement de travaux pouvant créer une situation irréversible, notamment s’il y a réalisation d’ouvrages publics. Or, cette prise de possession n’est pas seulement subordonnée à l’intervention d’une ordonnance d’expropriation. L’article L 15-1 du Code de l’expropriation énonce la règle selon laquelle la prise de possession ne peut intervenir qu’à l’expiration d’un délai d’un mois faisant suite, soit au paiement, soit à la consignation de l’indemnité d’expropriation fixée par le Juge.

Et les requérants faisaient valoir qu’en saisissant le Juge de l’expropriation, le 30 novembre, l’autorité expropriante manifestait son intention de parvenir au plus vite à la prise de possession. Là résidait l’urgence.

On doit considérer que le Juge des référés a estimé que la prise de possession annoncée à bref délai pouvait effectivement créer une situation irréversible, d’ailleurs reconnue par le Code de l’expropriation qui, organisant l’intervention du Juge de l’expropriation dans l’hypothèse d’une annulation de la Déclaration d’Utilité Publique (article R12-5-1 et suivants du Code de l’expropriation) distingue bien l’hypothèse où le bien exproprié peut-être restitué au propriétaire qui le réclame et l’hypothèse ou au contraire le bien exproprié n’est plus en état d’être restitué, l’action de l’exproprié se résolvant alors en dommages-intérêts (Article R 12-5-4a).

Dès lors, le Juge des référés a estimé, du moins peut-on le penser, que ce risque de voir se créer une situation irréversible, rendant impossible la restitution du bien exproprié, malgré l’annulation annoncée de la Déclaration d’Utilité Publique, portait une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts des propriétaires, comparée à l’intérêt public en cause. Et à cet égard, le Juge des référés a signalé que la Collectivité expropriante ne faisait état d’aucune circonstance particulière caractérisant la nécessité de réaliser immédiatement le projet.

Cette dernière appréciation, qui figure dans l’ordonnance au titre de l’examen de la condition d’urgence, annonce en réalité l’appréciation que le Juge des référés a porté quant au fond, c’est-à-dire quant à l’intérêt de l’opération, à L’Utilité Publique du projet.



L’ordonnance n’a pas répondu à un moyen développé à l’audience par la Collectivité Publique. Il mérite quelques observations :

La Collectivité Publique a fait valoir en effet oralement qu’il était inutile d’envisager de suspendre l’exécution de l’arrêté portant Déclaration d’Utilité Publique parce que cette suspension n’entraverait pas la procédure indemnitaire du Juge de l’expropriation et partant, la prise de possession des terrains par la Collectivité Publique.

Il est exact que le Juge de l’expropriation saisi d’une demande en fixation des indemnités n’a aucun motif de refuser son intervention ou de la différer. Aucun texte ne lui en fait obligation, ni d’ailleurs aucun principe de droit, puisque la fixation de l’indemnité n’est pas une condamnation à paiement. Et l’autorité expropriante peut d’ailleurs renoncer au bénéfice de son jugement si elle le souhaite.

Il faut par contre s’interroger sur l’hypothèse dans laquelle on verrait l’autorité expropriante, ayant fait chiffrer le montant des indemnités d’expropriation, ayant offert le paiement de celles-ci et manifestant dès lors son intention, à terme d’un délai d’un mois, de prendre possession malgré la suspension de l’exécution de la Déclaration d’Utilité Publique.

On ne peut, dans cette hypothèse, qu’envisager la mise en œuvre des dispositions de l’article 809 alinéa 1er du Code de procédure civile.

On doit pouvoir demander au Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de prescrire la mesure conservatoire permettant d’éviter la réalisation d’un dommage imminent :

Le dommage imminent c’est la prise de possession des terrains au risque de créer une situation irréversible, alors même que la Déclaration d’Utilité Publique est suspectée d’illégalité.

La seule mesure conservatoire possible c’est l’interdiction faite à l’autorité expropriante de procéder à la prise de possession des terrains tant que la Déclaration D’Utilité Publique est suspendue dans son exécution et bien sûr ensuite lorsqu’elle aura été annulée, ce qui permettra alors à l’exproprié de mettre en œuvre les dispositions susvisées des articles R 12-5-1 et suivants du Code de l’expropriation, c’est-à-dire sa demande en restitution des terrains.



Cet article a été rédigé par Me Jacques DRUAIS. Il n'engage que son auteur.

 

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