Bail commercial et congé sans indemnité d'éviction
Publié le :
04/04/2024
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2024
Le contexte :
Dans une décision du 25 janvier 2024 (Pourvoi 17-31538) la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur une hypothèse de refus de renouvellement d’un bail commercial sans paiement d’une indemnité d’éviction par application des dispositions de l’article L 145-17 du Code de commerce.Le cadre juridique :
Le statut des baux commerciaux (article L145-1 et suivants du Code de commerce) offre au locataire un droit au renouvellement du bail commercial consacré par l’article L145-8 du Code de commerce.Concrètement, le preneur une fois le bail expiré dispose d’un droit au renouvellement de ce dernier, que le bailleur ne peut refuser sauf à indemniser le preneur par le versement d’une indemnité d’éviction.
Cette indemnité d’éviction est prévue par l’article L145-14 du Code de commerce, lequel précise que « le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ».
Ce droit est fondamental en ce qu’il permet au preneur d’un bail soumis au statut des baux commerciaux d’assurer la protection de son fonds de commerce, et - de ce fait - la valorisation de ce dernier en sollicitant du bailleur qu’il verse une indemnité dont le montant peut s’avérer rédhibitoire.
La loi prévoit notamment que l’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Autrement dit, le bailleur doit indemniser par principe le locataire à hauteur du prix de son fonds de commerce, auquel s’adjoindront divers frais.
Cette indemnité d’éviction souffre toutefois de quelques exceptions qui autorisent le bailleur à refuser le renouvellement du droit au bail, tout en échappant au paiement de cette dernière.
Il s’agit des hypothèses prévues à l’article L145-17 du Code de commerce qui sont au nombre de deux :
- S'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant
- S'il est établi que l'immeuble doit être totalement ou partiellement démoli comme étant en état d'insalubrité reconnue par l'autorité administrative ou s'il est établi qu'il ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état
Afin d’encadrer les abus potentiels des bailleurs, les dispositions de l’article L145-17 du Code de commerce encadrent ces deux motifs d’un cadre de la manière suivante :
- S’agissant du refus de renouvellement pour cause grave et légitime reposant soit sur l'inexécution d'une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation du fonds, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser.
Le législateur encadre par ailleurs le contenu de cette mise en demeure qui doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes de l’article L145-17 du Code de commerce.
- S’agissant de la destruction totale ou partielle de l’immeuble pour cause d’insalubrité, le bailleur doit, en cas de reconstruction d'un nouvel immeuble comprenant des locaux commerciaux, offrir au preneur un droit de priorité pour louer dans l’immeuble reconstruit.
Il ressort des textes et de la jurisprudence applicable au domaine que l’acte par lequel le bailleur refuse le renouvellement doit être explicite pour que le locataire puisse le contester et justifier de son comportement au regard des fautes reprochées.
Notamment par application des dispositions de l’article L145-9 du Code de commerce selon lequel « le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné ».
Il peut par ailleurs exister des cas de refus de renouvellement qui sortent du cadre de l’article L145-17 du Code de commerce : notamment lorsque le refus de renouvellement du bailleur est fondé sur la dénégation du bénéfice du statut des baux commerciaux reposant sur le non-respect des articles L145-1 à L145-8 du Code de commerce.
Ici, le bailleur ne prétendra pas que le preneur a perdu son droit au renouvellement, mais simplement que ce dernier n’est jamais né en raison de la non-application du statut.
Le cas d’espèce :
Dans l’affaire soumise à l’appréciation de la Cour de cassation, un bailleur faisait délivrer au preneur un congé avec refus de renouvellement pour motif grave et légitime, invoquant diverses infractions au bail et comprenant une mise en demeure visant l'article L. 145-17 du code de commerce.Le bailleur a ensuite assigné le preneur en validation du congé avec refus de renouvellement et sans offre de paiement d'une indemnité d'éviction, tandis que le preneur assignait le bailleur en annulation du congé et à titre subsidiaire, en paiement d'une indemnité d'éviction et de dommages-intérêts.
La Cour d’appel condamnait le bailleur au paiement d’une indemnité d’éviction en énonçant que l'absence de mise en demeure préalable au congé avec refus de renouvellement du bail par le bailleur, conformément aux dispositions de l'article L. 145-17 du code de commerce, ouvrait droit à une indemnité d'éviction pour la société locataire.
Cela fait notamment référence aux exigences de l’article qui impose la persistance de l’infraction commise par le preneur plus d’un mois après la mise en demeure de se conformer aux stipulations du bail.
Sur ce point particulier, la Cour d’appel semblait considérer que la mise en demeure devait nécessairement être délivrée en amont du congé avec refus de renouvellement, et que le non-respect de ce formalisme préalable constituait en soi une infraction du bailleur devant conduire au paiement d’une indemnité d’éviction.
La Cour de cassation censure cette position, en rappelant que la mise en demeure prévue par l’article L145-17 du Code de commerce peut figurer dans le même acte que le refus de renouvellement, et que le texte n’exige pas nécessairement sa délivrance en amont de celle du congé.
Cela ressort notamment d’une position de longue date de la Cour de cassation qui validait ce principe dans un arrêt rendu le 16 décembre 1987 (Pourvoi 86-16189) selon lequel « le refus de renouvellement de bail et la mise en demeure prévue par l'article 9, alinéa 1er du décret du 30 septembre 1953 peuvent figurer dans un même acte ».
En revanche, la Cour de cassation, abstraction faite de ce motif qu’elle considère comme surabondant, valide la position retenue par la Cour d’appel sur le fond en considérant qu’elle a souverainement estimé que les infractions reprochées au locataire n'étaient pas constituées ou n'étaient pas graves, ce qui remettait en cause la caractérisation du motif grave et légitime permettant aux termes de l’article L145-17 du Code de commerce.
Les bailleurs doivent ainsi être particulièrement attentifs à la caractérisation de ces notions dans le cadre du congé, sous peine de devoir régler de lourdes indemnités afin d’indemniser le preneur du refus de renouvellement.
Il sera précisé à ce stade qu’il peut exister des exceptions à l’obligation de mise en demeure préalable, notamment lorsque les motifs du refus de renouvellement sont irréversibles, ce qui ne dispense pas néanmoins d’être en présence d’un acte suffisamment grave pour éviter le règlement de l’indemnité d’éviction.
Cette position de la Cour de cassation s’inscrit dans un cadre jurisprudentiel relativement classique puisqu’il est acquis de longue date qu’en cas de défaut de motivation du refus de renouvellement pour un motif grave et légitime, le preneur évincé aura droit au paiement d’une indemnité d’éviction (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, arrêt du 8 avril 1999, pourvoi 97-19321).
Les violations dont il est question dans le cadre de l’article L145-17 du Code de commerce pourront être statutaires, contractuelles ou extracontractuelles, dont par exemple :
- La sous-location non autorisée, ou les cessions du droit au bail irrégulières dans certains cas,
- Les changements d’activité irréguliers ou l’usage anormal des lieux,
- Le défaut de paiement des loyers et accessoires
Compte tenu de la complexité du sujet et de l’importance des enjeux en cause, il ne peut qu’être recommandé aux bailleurs de se faire assister d’un professionnel pour la mise en œuvre de la procédure prescrite à l’article L145-17 du Code de commerce.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Nasser MERABET
Avocat Associé
Cabinet Conseil des Boucles de Seine – CCBS
ELBEUF (76)
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