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Conséquences fiscales de la vente à prix minoré
Publié le :
02/05/2019
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Deux récents arrêts, l’un du Conseil d’État, l’autre de la Cour d’appel de Paris, sont venus préciser quelles conséquences fiscales peuvent être tirées de la constatation d’un prix de vente minoré par comparaison avec la valeur réelle des biens sur lesquels celle-ci porte.Par principe, la vente d’un bien doit être réalisée sur la base de sa valeur vénale, autrement dit le prix qu’il est possible d’en tirer compte tenu de l’offre et de la demande pour des biens similaires.
D’un point de vue fiscal, une telle opération trouve naturellement grâce aux yeux de l’administration fiscale, dans la mesure où un impôt doit être acquitté pour le cas où serait réalisée une plus-value, c’est-à-dire lorsque le bien est cédé pour un prix supérieur à celui auquel il a été acquis.
Lorsqu’une vente est conclue pour un prix très inférieur à sa valeur vénale, le Trésor public risque donc de se trouver privé d’une recette qu’il devrait pourtant percevoir.
Cette situation recoupe des hypothèses différentes, contre lesquelles l’administration fiscale bénéficie de moyens d’action variés, dont voici deux exemples.
Cession d’actif immobilisé, acte anormal de gestion et charge de la preuve
Conseil d’État, Société Croë Suisse, 21 décembre 2018, 3ème, 8ème, 9ème et 10ème chambres réunies, numéro 402006
Par principe, la déduction des frais et charges requiert notamment qu’ils soient exposés dans l’intérêt direct de l’exploitation, ou qu’ils se rattachent à la gestion normale de l’entreprise.
Si l’administration fiscale n’est a priori pas recevable à se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise pour leur substituer les siens, il est en revanche de son pouvoir de le faire lorsqu’elle apporte la preuve d’une gestion anormale.
C’est la théorie de l’acte anormal de gestion, qui peut être remis en cause s’il conduit à mettre délibérément une dépense ou une perte à la charge de l’entreprise ou à la priver d’une recette, sans que les intérêts de son activité l’exigent ou le justifient.
Comme le Conseil d’État s’attache régulièrement à le rappeler[1], la charge de la preuve de l’anormalité d’un acte de gestion pèse sur l’administration fiscale, à laquelle il appartient d’établir à la fois les faits qui lui ont permis de conclure à cette anormalité et le caractère délibéré de cette dernière.
Avant que de tourner la dernière page de l’année 2018, le Juge du Palais-Royal vient enrichir sa jurisprudence en se prononçant sur la cession d’un actif immobilisé pour un prix minoré.
Dans son arrêt du 21 décembre dernier, il s’attache en effet à préciser les modalités de dévolution de la charge de la preuve du caractère anormal de l’acte litigieux.
Les titres d’une société française dont l’unique actif est le château de la Croë sont cédés à un résident fiscal russe par son seul associé, une société suisse, pour un prix de six millions d’euros. Estimant pour sa part la valeur de ces titres à plus de quarante-six millions d’euros, l’administration fiscale réintègre la différence au résultat imposable de la société suisse sur le fondement de l’acte anormal de gestion. Voici donc pour les faits.
Le Conseil d’État rappelle d’abord que constitue un acte anormal de gestion l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt, et qu’en démontrant l’existence d’un écart significatif entre la valeur vénale du bien et le prix auquel il est cédé, l’administration fiscale établit le caractère anormal de la transaction de façon assez consistante pour que soit transférée au contribuable la charge d’apporter la preuve du contraire.
Ce faisant, le Conseil d’État dégage une nouvelle présomption à la faveur de l’administration fiscale : celle-ci est désormais réputée avoir apporté la preuve du caractère anormal de l’acte dès lors que le contribuable n’est pas en mesure de justifier que l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise.
L’arrêt précise en outre que cet intérêt peut être démontré par la preuve soit de la nécessité pour l’entreprise de procéder à la cession pour un tel prix, soit de la contrepartie que d’une manière ou d’une autre elle a pu tirer de cette opération.
Sur ce point, le rapporteur public de cette instance, Aurélie Bretonneau, prend soin d’indiquer dans ses conclusions qu’il est notamment possible pour le contribuable de justifier que l’appauvrissement n’est pas anormal en démontrant qu’il s’inscrivait bien dans l’intérêt de l’entreprise, pour laquelle il constitue un moindre mal par comparaison à des perspectives plus funestes, telles qu’une faillite.
Il semblerait donc que l’administration fiscale soit désormais dispensée d’avoir à apporter la preuve du caractère délibéré de l’acte anormal de gestion s’agissant d’une cession d’actif immobilisé à prix minoré, comme le retenait déjà le Conseil d’État dans d’autres circonstances[2].
L’administration fiscale agissant sur le fondement de l’acte anormal de gestion n’est ainsi plus tenue que d’apporter la preuve d’un écart significatif entre le prix stipulé dans l’acte et la valeur vénale du bien.Dans l’hypothèse d’une cession d’actif immobilisé à prix minoré, le contribuable faisant l’objet d’un contrôle fiscal est dorénavant fixé quant aux éléments de preuve qu’il peut apporter pour démontrer qu’il a agi dans l’intérêt de l’entreprise.
En revanche, quelques précisions quant à l’étendue du caractère « significatif » que doit présenter l’écart dont la preuve revient à l’administration fiscale seraient les bienvenues.
Cession à prix symbolique et inopposabilité de la qualification juridique de l’acte
Cour d’appel de Paris, 18 mars 2019, numéro 17/02187Sur un tout autre sujet, il est admis que l’administration fiscale peut écarter comme lui étant inopposable la qualification juridique donnée à un acte dont la portée réelle n’est en définitive pas celle dont il prétend se parer.
Au cas particulier, elle n’est pas tenue par la qualification de vente donnée par les parties à un acte translatif de propriété conclu pour un prix symbolique, ou à tout le moins minoré à l’extrême par comparaison avec la valeur réelle du bien transmis.
Dans un tel cas de figure en effet, il y a fort à parier qu’aucun impôt ne sera acquitté par le prétendu vendeur dès lors qu’un prix dérisoire écarte toute possibilité de réaliser une plus-value, alors en revanche que l’acquéreur aurait à acquitter des droits susceptibles d’atteindre jusqu’à 60% de la valeur du bien dans l’hypothèse d’une donation, dont il est indéniable que se rapproche un acte de vente dont le prix est quasi-inexistant.
Sans malgré tout pouvoir obtenir la requalification juridique de l’acte, l’administration fiscale est cependant admise en pareilles circonstances à l’ignorer, pour lui substituer la qualification qu’une telle opération doit selon elle recevoir.
Dans un arrêt du 18 mars dernier, la Cour d’appel de Paris s’attelle à le rappeler.
Plusieurs cessions de titres sont consenties au prix d’un euro symbolique au dirigeant d’un groupe de sociétés par son père, quelques jours à peine avant son décès. Assimilées à des donations déguisées, elles font l’objet d’un redressement mis en œuvre par l’administration fiscale sur le fondement de l’abus de droit.
Saisi par le contribuable, le comité de l’abus de droit fiscal rend un avis défavorable à l’administration fiscale en écartant la qualification de donation déguisée pour lui substituer celle de donation indirecte, qui se distingue de la première par l’absence de dissimulation mensongère. La donation indirecte se borne alors à un avantage sans contrepartie, mais qui n’entend pas revêtir la qualification d’un acte qu’elle n’est pas[3].
Le Tribunal de grande instance et la Cour d’appel de Paris à sa suite rejettent la demande en annulation de la procédure d’abus de droit fiscal déposée par le contribuable.
La Cour rappelle que la donation déguisée est celle qui est faite sous l’apparence d’un contrat à titre onéreux, et que si juridiquement l’opération est régulière, l’administration a cependant la faculté d’établir le véritable caractère de l’acte. Parmi les circonstances permettant de caractériser une donation déguisée, figure ainsi la stipulation d’un prix dérisoire.
Cet article n'engage que son auteur.
[1] Sa jurisprudence en la matière ayant été initiée par son arrêt SA Renfort Services, rendu le 27 juillet 1984 par les 7ème, 8ème et 9ème sous-sections réunies, sous le numéro 34588.
[2] Voir par exemple un autre arrêt du Conseil d’État, SAS Hôtels et casinos de Deauville, rendu le 10 février 2016 sous le numéro 371258 par les 9ème et 10ème sous-sections réunies. Il était alors question de la renonciation à obtenir une contrepartie financière en matière de concession de licence de marque.
[3] Il peut s’agir d’une remise de dette, d’un prêt familial sans intérêt, etc.
Auteur
Bastien CONTAT
Avocat
1927 AVOCATS - Poitiers
POITIERS (86)
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