Requalification en bail commercial : la prescription biennale confirmée par la Cour de cassation
Publié le :
03/02/2023
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2023
Une action, par nature imprescriptible, sur le fondement de l'article L. 145-15 du Code de commerce, réputant non écrites certaines clauses d'un bail, ne permet pas de déjouer la prescription biennale applicable en matière de requalification en bail commercial. C’est ainsi que s’est prononcée la Cour de Cassation dans un arrêt récent (Cour de Cassation, 3ème Chambre Civile, 7 décembre 2022 n° 21-23.103) portant sur une demande indirecte de requalification en bail commercial. Décryptage.
Les faits d'espèce
Au titre d’une convention de location conclue le 16 juillet 2009, un bailleur a mis en location une parcelle de terrain supportant une station de lavage pour une durée de sept années expirant le 30 juin 2016.Les rédacteurs de l’acte avaient pris soin de préciser expressément que ce contrat n’était pas soumis au statut des baux commerciaux et que le locataire ne disposait pas de la propriété commerciale.
Le 24 novembre 2015, conformément aux termes contractuels, le bailleur a donné congé au locataire pour le 30 juin 2016.
Le 27 juin 2017, le bailleur a assigné le locataire en expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation.
A titre reconventionnel, le locataire, souhaitant se maintenir dans les lieux, a contesté le congé délivré par le bailleur.
Pour soutenir sa demande, le locataire avançait que la clause de durée de 7 années contenue dans son contrat de bail devait être réputée nulle (1) sur le fondement de l'article L. 145-15 du Code de commerce aux termes duquel :
« Sont réputées non écrites […] les clauses […] qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement ».
Cette disposition, qui tend à voir réputer non écrite une clause du bail, relève du statut des baux commerciaux. Elle est applicable aux baux en cours, quelle que soit la date de leur conclusion et n’est donc pas soumise à prescription.
Les juges de première instance ont considéré que le contrat du 16 juillet 2009 était un contrat de bail soumis au statut des baux commerciaux et qu'en conséquence le congé délivré par le bailleur était nul.
Appel a été interjeté par le bailleur. Les juges d’appel ont infirmé la décision de première instance et ont fait droit aux demandes du bailleur.
L’affaire a alors été portée devant la Cour de cassation.
La question juridique
Dans cette affaire, un locataire sollicitait donc le bénéfice du droit au renouvellement de son bail, conclu pour une durée de 7 ans et non soumis contractuellement au statut des baux commerciaux.La demande du locataire, qui tendait à solliciter l’application d’une disposition du statut des baux commerciaux à un contrat qui excluait expressément l’application de ce régime, visait en réalité à demander indirectement la requalification du contrat en bail commercial.
La stratégie du bailleur a donc consisté à opposer à la demande de requalification en bail commercial la prescription biennale sur le fondement de l’article 145-10 du Code de commerce, le contrat ayant été conclu le 16 juillet 2009.
Or, l’action fondée sur l’article L.145-15 du Code de commerce n’est pas soumise à prescription. C’est pourquoi le locataire affirmait que sa demande de requalification en bail commercial, réalisée par le truchement de l’article L.145-15 précité, n’était pas prescrite.
La Cour de cassation a donc eu à trancher la question suivante : l’article L.145-15 du Code de commerce réputant non écrites certaines clauses d’un bail, est-il applicable à une demande en requalification d’un contrat en bail commercial ?
Cette question pourrait également être formulée de la manière suivante : peut-on utiliser le jeu de l’article L.145-15 du code commerce (dont l’action n’est pas soumise à prescription) pour contourner la prescription biennale d’une demande en requalification en bail commercial ?
La Cour de cassation a répondu par la négative, confirmant ainsi la décision de la Cour d’appel (Cour d'appel, Pau, 2e chambre, 1re section, 29 juillet 2021 – n° 19/03523) :
« La Cour d’appel a énoncé, à bon droit, que l’article L.145-15 du code de commerce réputant non écrites certaines clauses d’un bail, n’est pas applicable à une demande en requalification d’un contrat en bail commercial.
Elle a exactement retenu que la demande de la locataire, qui tendait à la requalification en bail statutaire de la convention de location de terrain nu signée le 16 juillet 2009, était soumise à la prescription de deux ans commençant à courir à compter de la conclusion de la convention »
Le raisonnement juridique
La Cour de cassation a considéré que l’article L.145-15 du Code de commerce n’était pas applicable à une demande de requalification en bail commercial.Cette position est difficilement contestable.
En effet, l’action reconventionnelle du locataire, qui demandait l’application de l’article L.145-15 du Code de commerce, constituait une action exercée en vertu du chapitre du Code de commerce intitulé « Le bail commercial ». Cette action relevait donc en réalité du statut des baux commerciaux.
Or, selon les termes du contrat de location, ce dernier n’était pas soumis au statut.
Dès lors, avant toute mise en jeu de l’article L.145-15 précité, il fallait donc passer par l’étape intermédiaire de déterminer si cette disposition, relavant du statut des baux commerciaux, était applicable en l’espèce et donc déterminer si le contrat litigieux était – ou non – soumis au statut des baux commerciaux.
Le contrat n’étant pas expressément soumis au statut, la demande du locataire visait en réalité, sous-couvert de solliciter la nullité d’une clause du contrat, à requalifier le contrat en bail commercial
Les juges se sont donc appliqués à déterminer si le contrat était soumis au statut ou non au statut des baux commerciaux et donc si le contrat pouvait être requalifier en bail commercial.
Ce raisonnement répond à une logique juridique : il serait en effet juridiquement faux et parfaitement incohérent d’appliquer une disposition relevant du régime des baux commerciaux (article L.145-15) à un bail qui n’est pas soumis au statut.
Or, une telle demande de requalification est nécessairement encadrée dans un délai strict fixé par l’article 140-60 du code de commerce : deux années à compter de la date de conclusion du contrat.
En l’espèce, la demande en requalification formulée, de manière indirecte, par le locataire, était hors délai. Son action en reconnaissance du statut des baux commerciaux a donc été jugée irrecevable car prescrite.
C’est donc, en toute logique, la prescription biennale de l’action en requalification qui était applicable en l’espèce et non celle de l’article L.145-15 du Code de commerce, comme le soutenait le locataire.
Dès lors, l’action en nullité d'une clause contraire au statut des baux commerciaux est nécessairement soumise, si le bail n’est pas soumis expressément au statut, à la prescription de deux ans édictée par l'article L. 145-60 du Code de commerce.
Focus sur la pratique consistant à adapter la rédaction contractuelle en vue de soustraire le contrat au statut des baux commerciaux
L’arrêt de la Cour d’appel apporte également un éclaircissement intéressant sur les pratiques des bailleurs consistant à exclure l’application du statut des baux commerciaux par le recours à une rédaction contractuelle particulièrement bien choisie (clause précisant expressément le caractère non-applicable du statut, multiples références dans le contrat à l’absence de propriété commerciale du locataire, durée du contrat inférieure à celle prévue au statut, référence dans le préambule à l’absence de clientèle propre du locataire, etc.).En l’espèce, afin de faire échec au jeu de la prescription biennale, le locataire a eu recours à une stratégie classique consistant à se placer sur le terrain de la fraude. Le locataire a ainsi invoqué la fraude du bailleur dans la conclusion du contrat, qui, si caractérisée, lui permettrait d’interrompre la prescription biennale et ainsi de demander l’application de l’article L.145-15 du code de commerce, action qui elle, n’est pas soumise à prescription.
L’un des arguments soulevés par le locataire – avec pour objectif d’interrompre la prescription biennale - consistait ainsi à avancer que l’ensemble des « précautions de rédaction » prises par le bailleur tant sur la durée du bail (7 ans) que sur l'absence de droit à indemnisation, constituaient des preuves de la volonté du bailleur de soustraire frauduleusement le contrat au statut des baux commerciaux. A cet égard, le locataire invoquait notamment la clause selon laquelle la location ne pouvait lui conférer de propriété commerciale.
Le locataire estimait que l’acte de faire signer une telle clause à un tiers non assisté d'un conseil caractérisait la fraude du bailleur, ce dernier souhaitant ainsi cacher au locataire une situation de droit favorable au locataire quant au régime applicable au contrat.
Cet argument a été balayé par la Cour d’appel qui rappelle que la fraude doit être caractérisée par l'utilisation de moyens déloyaux destinés à surprendre le consentement. La charge de la preuve pèse donc sur le locataire qui doit démontrer que son consentement a été surpris ou vicié. Or, un locataire ne peut utilement invoquer l'absence d'assistance d'un conseil juridique alors même que ce dernier avait toute liberté pour recourir à un conseil.
La Cour d’appel insiste par ailleurs sur le fait que le locataire a toujours su qu'il ne possédait pas la propriété commerciale : il ne pouvait donc venir par la suite invoquer la fraude du bailleur sur ce fondement.
Les juges d’appel concluent sur ce point en précisant que toute notion de fraude est exclue dès lors que « les termes parfaitement clairs du contrat […] stipulent une convention de location et visent expressément, dès le préambule, la non-application du statut des baux commerciaux ».
Cette position des juges s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence constante qui vise à sanctionner le locataire qui, des années après la conclusion du contrat dont il connaissait parfaitement les termes, tente d’obtenir le bénéfice d’un bail commercial alors même qu’un accord entre les parties visant à exclure l’application du statut est intervenu.
Encore faudra-t-il prouver que la volonté des parties – et surtout du bailleur – lors de la qualification juridique du contrat ne visait pas exclusivement à faire échec au statut des baux commerciaux mais reposait bien sur des raisons objectives.
Index:
(1) Droit antérieur à la loi du 18 juin 2014
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Perle PASCAUD-BLANDIN
Avocate
CORNET, VINCENT, SEGUREL BORDEAUX
BORDEAUX (33)
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