Covid-19 et directives anticipées : comment apprécier la volonté du patient dans un tel contexte de crise sanitaire ?
Publié le :
22/04/2020
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L'article R. 4127-37-1 du code de la santé publique, dispose que :
« I. Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin en charge du patient est tenu de respecter la volonté exprimée par celui-ci dans des directives anticipées, excepté dans les cas prévus aux II et III du présent article.
II. En cas d'urgence vitale, l'application des directives anticipées ne s'impose pas pendant le temps nécessaire à l'évaluation complète de la situation médicale.
III. Si le médecin en charge du patient juge les directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale, le refus de les appliquer ne peut être décidé qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1111-11. Pour ce faire, le médecin recueille l'avis des membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et celui d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant, avec lequel il n'existe aucun lien de nature hiérarchique. Il peut recueillir auprès de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient.
IV. En cas de refus d'application des directives anticipées, la décision est motivée. Les témoignages et avis recueillis ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient.
La personne de confiance, ou, à défaut, la famille ou l'un des proches du patient est informé de la décision de refus d'application des directives anticipées ».
Puis l’article R. 4127-37-2 du même code, dispose que :
« I. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu'a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient (…) ».
En cette période particulière, l’ensemble des professionnels de santé et notamment les médecins généralistes traitant des patientelles en EHPAD, ou bien les médecins coordinateurs de ces mêmes EHPAD, doivent s’entourer de précautions particulières dans la prise en charge des personnes âgées à risque.
Le 14 mars 2020, le haut conseil pour la santé publique, après avoir auditionné des professionnels concernés a émis un avis relatif à la prise en charge des patients à risque de forme sévère de Covid-19.
Dans le même sens, un groupe de travail de 10 oncologues a été créé, afin d’apprécier les mesures à appliquer aux patients porteurs de cancer.
Ces recommandations du 14 mars 2020 rappellent que les personnes âgées en EHPAD sont particulièrement à risque de forme grave de covid-19 du fait « de leur âge, des comorbidités souvent multiples à l’origine de (leurs) dépendances ».
Ces recommandations listent ensuite les mesures qui doivent être appliquées de façon rigoureuse durant la période épidémique. Elles précisent ainsi :
« Préparation d’une fiche LATA (limitation et arrêt de thérapeutiques actives) pour chaque résident afin d’établir le niveau de soins en fonction de la gravité. Cette fiche doit être créée avec l’aide des médecins traitants et des médecins coordinateurs de l’EHPAD ».
Cette fiche doit donc reprendre le cas échéant les volontés exprimées par les patients, notamment par l’intermédiaire des directives anticipées, au sens des dispositions de l’article R. 1111-17 du code de la santé publique, qui prévoient que :
« Les directives anticipées mentionnées à l'article L. 1111-11 s'entendent d'un document écrit, daté et signé par leur auteur dûment identifié par l'indication de ses nom, prénom, date et lieu de naissance ».
L’article L. 1111-11 du même code, dispose quant à lui que :
« Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l'arrêt ou du refus de traitement ou d'acte médicaux (…) ».
Le Conseil d’Etat a posé dans l’arrêt n° 408146 du 8 mars 2017, les éléments d’appréciation des conditions posées par ces dispositions, en détaillant que :
« 13. Il résulte des dispositions précédemment citées que toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans que les actes de prévention, d'investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent toutefois pas être poursuivis par une obstination déraisonnable et peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu'ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que le patient soit ou non en fin de vie. Le législateur a ainsi déterminé le cadre dans lequel peut être prise par un médecin, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté à l'issue d'une procédure collégiale après consultation de la personne de confiance, de la famille ou d'un proche, une décision de limiter ou d'arrêter un traitement dans le cas où sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Si le médecin décide de prendre une telle décision en fonction de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs.
14. Pour l'application de ces dispositions, la ventilation mécanique et l'alimentation et l'hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d'être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Cependant, la seule circonstance qu'une personne soit dans un état irréversible d'inconscience ou, à plus forte raison, de perte d'autonomie la rendant tributaire d'un tel mode de suppléance des fonctions vitales ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable.
15. Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Outre les éléments médicaux, qui doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique, le médecin doit accorder une importance toute particulière à la volonté que le patient peut avoir, le cas échéant, antérieurement exprimée, quels qu'en soient la forme et le sens. A cet égard, dans l'hypothèse où cette volonté demeurerait inconnue, elle ne peut être présumée comme consistant en un refus du patient d'être maintenu en vie dans les conditions présentes. Le médecin doit également prendre en compte les avis de la personne de confiance, dans le cas où elle a été désignée par le patient, des membres de sa famille ou, à défaut, de l'un de ses proches, en s'efforçant de dégager une position consensuelle. En particulier, comme le prévoient les dispositions de l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique s'agissant d'un enfant mineur, il doit prendre en compte l'avis des parents ou des titulaires de l'autorité parentale. Il doit, dans l'examen de la situation propre de son patient, être avant tout guidé par le souci de la plus grande bienfaisance à son égard (…) ».
Cet arrêt apparaît juridiquement didactique dans la sagacité que doit mobiliser le praticien, qui fait face à chaque unique.
Ainsi et dans tous les cas, la volonté du patient doit être recherchée et il appartient au praticien d’apprécier la rédaction des directives anticipées, afin de vérifier qu’elles sont adaptées et appropriées au cas clinique qui se présente.
La célérité de la propagation du virus notamment en EHPAD, impose de réagir vite dans la préparation des fiches LATA. C’est toute la difficulté de la période actuellement vécue par les professionnels de santé, confrontés au recueil et à l’appréciation des volontés des résidents dans un tel contexte.
Lorsque le praticien est confronté à une décision de limiter ou d'arrêter un traitement dans le cas où sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable, il doit donc par tous moyens rechercher le consentement du patient et mettre en œuvre le cas échéant, les procédures qui s’imposent.
Mais l’arrêt précité du Conseil d’Etat n° 408146 du 8 mars 2017 précise que le praticien doit être avant tout guidé par le souci de la plus grande bienséance à l’égard de son patient.
Cette obligation morale de bienséance à l’égard du patient, apparaît donc comme un prérequis dans l’appréciation de la volonté du patient et la limitation ou l’arrêt des soins. Elle n’est pas que purement juridique et revêt une acception déontologique particulièrement prégnante.
La chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a considéré dans la décision n° 12900 du 27 avril 2017, soit postérieurement à l’arrêt du Conseil d’Etat précité du 8 mars 2017, que :
« 4. Considérant que, ni dans l'élaboration de son diagnostic ni dans les préconisations qu'il a faites en accord avec les autres médecins ayant en charge Mme C jusqu'à son décès et notamment le Dr E, le Dr A n'a méconnu les exigences des articles R. 4127-9, -32 et -33 du code de la santé publique ; qu'en refusant de déférer aux exigences de Mme B et de faire subir à une patiente en extrême fin de vie un examen invasif et une intervention chirurgicale inutiles, il n'a fait que s'abstenir légitimement d'un acharnement thérapeutique déraisonnable, prohibé par l'article R. 4127-37 du code de la santé publique ;
5. Considérant, d'autre part, qu'eu égard à l’âge et à l'état très dégradé de Mme C, sa fille ne saurait raisonnablement soutenir qu'elle ignorait que son pronostic vital fût engagé ; qu'il ressort du dossier que le Dr A s'est entretenu longuement avec elle pour lui faire comprendre que l'état de santé très altéré de sa mère ne justifiait plus que des soins palliatifs ou de confort ; qu'aucun manquement à son devoir d'information ne saurait lui être reproché ».
Dans cette affaire, le praticien a clairement été guidé par le souci de la bienséance envers sa patiente et ce, en opposition aux volontés de Madame B, la fille de la patiente.
Le praticien doit avant tout être guidé par ce souci de bienséance, notamment quand les circonstances sont compliquées ou quand elles présentent des interprétations de volontés contraires, ambigües ou manifestement inappropriées aux circonstances de l’espèce.
Ainsi, pour résumer, le praticien doit avant tout rechercher la volonté du patient, exprimée par tous moyens. Lorsque des directives anticipées existent, elles s’imposent par principe.
Néanmoins, par exception, elles ne sont pas opposables pendant le temps nécessaire à l’évaluation de la situation médicale en cas d’urgence vitale, ni lorsqu’elles sont manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale.
Le refus de les appliquer ne peut être décidé qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1111-11 et le praticien doit être systématiquement guidée par le souci de la plus grande bienfaisance à l’égard de son patient, dans sa prise de décision.
Ainsi, pendant la période d’état d’urgence de crise sanitaire que le pays traverse et que les praticiens éprouvent au quotidien, les solutions compliquées apparaissent nombreuses. Dans la gestion de ces difficultés, la mise en œuvre des obligations déontologique doit être guidée par le respect des grands principes fondamentaux, qui guideront toujours l’exercice de ces professions, au nombre desquels le souci de la bienséance à l’égard du patient.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Thomas PORCHET
Avocat
1927 AVOCATS - Poitiers, 1927 AVOCATS - La-Roche-Sur-Yon, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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