Rupture conventionnelle : elle vaut démission si le consentement de l’employeur est vicié

Publié le : 12/08/2024 12 août août 08 2024

La rupture conventionnelle est un mode de rupture de plus en plus utilisé. En 2023, plus de 515.000 conventions de rupture conventionnelle ont été conclues dans le secteur privé (hors agriculture et particuliers employeurs). [1]
Compte tenu du commun accord induit par cette rupture, du délai de rétractation et d’un contrôle de l’administration, le contentieux tenant à la remise en cause d’une rupture conventionnelle demeure occasionnel en comparaison du contentieux relatif au licenciement.

Lorsqu’un tel litige survient, la contestation provient habituellement du salarié.
Le 19 juin 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur la demande en nullité de la rupture conventionnelle faite par l’employeur.

Décryptage de cet arrêt : Cass. Soc., 19 juin 2024, n° 23-10.817

Les faits 

La Société partie au litige est spécialisée dans la conception et la fabrication d’interface de communication dans le secteur de l’automobile. La convention collective applicable est celle des services de l’automobile.

En juillet 2018, 8 ans après son embauche, le responsable commercial de ladite Société fait part de son souhait de mettre un terme à son contrat.

La Société ne souhaite pas que le salarié quitte l’entreprise et lui propose d’acheter des parts.

Après le refus du salarié, les parties concluent une rupture conventionnelle le 20 novembre 2018. Le contrat est rompu le 31 décembre 2018.

Le 3 mai 2019, le salarié en question crée une société dans le même secteur d’activité.
Le 23 décembre 2019, la société saisit le Conseil de Prud’hommes d’Albi en nullité de la rupture conventionnelle.

L’employeur demande :
 
  • La nullité de l’acte de rupture conventionnelle du fait de manœuvres dolosives du salarié
  • Que cette rupture emporte les effets d’une démission.
  • Que le salarié soit condamné au remboursement des indemnités de rupture et de préavis perçues à tort.

L’argumentation des parties 

L’employeur fait valoir que le salarié a vicié son consentement car :
 
  • Il a créé une société dont l’activité est directement concurrente à celle de son ancien employeur
  • Le projet de création d’entreprise et l’identité des associés étaient connus antérieurement à la signature de la rupture conventionnelle
  • Le salarié a délibérément gardé le silence
  • La Société n’aurait jamais accepté de conclure la convention de rupture si ces informations lui avaient été communiquées.
  • Le dol est constitué en ce que le salarié a caché des informations déterminantes au consentement de l’employeur
Le salarié rétorque que :
 
  • L’employeur avait un ressentiment envers lui depuis son refus de s’associer
  • Il n’avait aucune intention de tromper la Société
  • La création de sa Société avait lieu 5 mois après son départ
  • Il n’était pas soumis à une clause de non-concurrence
  • Il a usé de sa liberté d’entreprendre en créant une société après la rupture de son contrat de travail
  • L’éventuelle nullité de la rupture conventionnelle n’emporte pas les effets d’une démission à défaut d’une intention claire et non équivoque du salarié de mettre fin à son contrat de travail

Les éléments de preuve 

Parallèlement à l’action prud’homale, la Société a exercé une action au fond en concurrence déloyale. Elle a procédé à la saisie de divers supports informatiques sur l’ancien ordinateur professionnel du salarié en question.

Ont notamment été trouvés :
 
  • Un dossier daté du 23 juillet 2018 (soit avant la rupture du contrat) relatif à la création de la nouvelle Société
  • L’équipe de départ de la nouvelle société, à savoir 2 anciens salariés de la Société partie au litige.
  • Une étude financière prévisionnelle sur 3 ans
  • Une fiche de demande d’entretien individuel auprès de la CCI de Toulouse mentionnant une date de début d’activité pour la nouvelle société au 1er décembre 2018.
Des témoignages font également valoir que la Société avait connaissance du souhait du salarié de se reconvertir dans le management.

La position des juges du fond 

Après un rapide rappel sur la présomption de la nature professionnelle de fichiers retrouvés dans un ordinateur professionnel, la Cour d’appel de Toulouse[2] retient que le salarié « avait de façon concrète et concertée avec deux personnes issues du même groupe de sociétés, procédé à des démarches, non seulement administratives mais de rentabilité avec analyse de la concurrence, en vue de la création d'une société dans un même secteur d'activité ».

La Cour d’appel rappelle que le salarié n’était « soumis contractuellement à aucune clause de non-concurrence ni d'exclusivité, le seul fait de préparer la création d'une entreprise potentiellement concurrente de celle de l'employeur ou d'une autre société du groupe auquel il appartient et dont l'exploitation n'a débuté qu'après la rupture du contrat de travail n'est pas constitutif d'un comportement fautif. »

Bien que le fait de préparer la création d’une société potentiellement concurrente ne soit pas fautif, la Cour d’appel considère que la dissimulation intentionnelle du salarié caractérise un dol en vue d’obtenir la rupture conventionnelle ; et ainsi un avantage financier dont il n’aurait pas pu bénéficier en démissionnant.

L’intention dolosive du salarié se manifeste en l’espèce par un SMS du salarié indiquant : « Honnêtement je suis sûr que tu m’aurais fait la morale et que mon association ne t’aurait pas convenue de toute façons ».

Les juges du fond donnent raison à l’employeur en décidant que la rupture conventionnelle est nulle et emporte les effets de démission, ce qui implique pour le salarié le remboursement des sommes perçues.

Le salarié se pourvoit en cassation.

La position de la Cour de cassation 

La Cour suprême rejette le pourvoi et confirme la solution des juges du fond.
La Cour rappelle la deuxième définition du dol posée par l’article 1137 du Code civil :
« Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. »

De ce fait, la Cour de cassation décide que :

« Par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, de la portée des éléments de preuve produits, la cour d'appel a constaté que le salarié avait volontairement dissimulé des éléments dont il connaissait le caractère déterminant pour l'employeur afin d'obtenir le consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle. »

Concernant les effets de cette nullité, la Cour pose le principe selon lequel « lorsque le contrat de travail est rompu en exécution d’une convention de rupture ensuite annulée en raison d’un vice du consentement de l’employeur, la rupture produit les effets d’une démission ».
 

Enseignements 

Un arrêt inédit

Le contentieux relatif à la nullité d’une rupture conventionnelle est usuellement relatif au vice du consentement du salarié, par exemple en cas de :
 
  • Harcèlement subi par le salarié, [3]
  • Menace et pression exercée par l’employeur pour signer la convention, [4]
  • Troubles mentaux du salarié.[5]
Toutefois en 2022, la Cour de cassation avait commencé à poser les jalons de sa décision 19 juin 2024.

Elle indiquait qu’une cour d'appel ne peut pas annuler une rupture conventionnelle du contrat de travail pour dol, au motif que le salarié avait invoqué un projet fallacieux de reconversion professionnelle pour obtenir l'accord de l'employeur à la rupture, sans constater que ce projet a déterminé le consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle.[6]

Dès lors, pour obtenir la nullité de la rupture conventionnelle, l’employeur doit démontrer que les agissements du salarié sont déterminants dans son consentement à signer une rupture conventionnelle.

C’est ce qu’a réussi à démontrer l’employeur dans l’arrêt du 19 juin dernier.
La Cour de cassation retient que l’employeur avait signé la rupture conventionnelle au regard du souhait de reconversion professionnelle dans le management invoqué par le salarié.

Conformément à la jurisprudence civile, l’intention dolosive doit également être démontrée, ce qui est le cas selon la Cour de cassation.

Il en résulte selon les conseillers un vice du consentement de l’employeur, et ce sans faire peser sur le salarié une obligation d’information contractuelle ou porter atteinte à sa liberté d’entreprendre.

La Cour balaye d’une phrase l’argument de la liberté d’entreprendre avancé par le salarié.
Pour rappel, la liberté d’entreprendre est un principe général ayant une valeur constitutionnelle.

Un vice du consentement pour dol ne peut donc être légitimé par la liberté d’entreprendre, même en l’absence de clause de non-concurrence.

Il résulte de cette décision que ce n’est pas le fait d’avoir créé une société qui est reproché au salarié, mais bien d’avoir dissimulé cette information pour conclure une convention de rupture.

Ce n’est pas la première fois que le dol est utilisé dans un contentieux sur la validité d’une rupture conventionnelle.

La réticence dolosive avait déjà pu être reconnue au profit d’un salarié dans le cas où un employeur avait caché qu’il préparait un plan de sauvegarde de l’emploi incluant le poste du salarié au moment de la signature de la convention de rupture conventionnelle.[7]

En revanche, il s’agit à notre connaissance de la première fois que la Cour de cassation décide que le vice du consentement de l’employeur lors de la signature d’une rupture conventionnelle fait produire les effets d’une démission.

Les conséquences pour les parties

En cas de vice du consentement du salarié, la nullité de la convention de rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.[8] 
La question se posait alors des conséquences en cas de vice du consentement de l’employeur.

Le salarié faisait valoir que les effets d’une démission ne pouvaient pas lui être opposés à défaut de volonté claire et non équivoque de rompre son contrat. 

La Cour de cassation tranche : la nullité de la rupture conventionnelle en cas de consentement vicié de l’employeur produit les effets d’une démission.

Concrètement, cela signifie que le salarié doit rembourser l’indemnité de rupture.

Il est également condamné à une indemnité compensatrice au titre du préavis de démission non effectué.
Bien que ce sujet ne soit pas traité dans l’arrêt, le droit aux éventuelles allocations chômage pourrait également être remis en cause par les services de France Travail.

La rupture conventionnelle : un contrat qui obéit aux règles de droit commun

Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que la rupture conventionnelle est un mode de rupture amiable qui résulte d’une convention signée par les parties au contrat.
Comme tout contrat, elle doit dès lors respecter les conditions de validité posées par le droit commun, à savoir :
 
  • Le consentement des parties ;
  • Leur capacité de contracter ;
  • Un contenu licite et certain[9]

Par ailleurs, la question de la prescription de l’action ne s’est pas posée en l’espèce mais pourrait se présenter dans des cas similaires.

Conformément au Code du travail, le recours juridictionnel concernant la convention de rupture conventionnelle doit être formé avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date d’homologation de la convention[10].

Or, en droit commun, le délai de l'action en nullité ne court, en cas d'erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé[11].

Le délai de prescription commence-t-il à courir à compter de l’homologation de la rupture conventionnelle, ou à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de l’information dissimulée par le salarié ?

Une jurisprudence de la Cour de cassation apporte une réponse à cette question. Le salarié demandait l’annulation de la rupture conventionnelle compte tenu d’une fraude de l’employeur.
Selon la Cour, la fraude a pour effet de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où celui qui l’invoque en a eu connaissance.[12]

Dans le cas d’espèce, le délai de prescription a semble-t-il commencer à courir uniquement au jour où la Société avait connaissance de l’activité concurrente du salarié, ou à tout du moins de son intention de l’exercer.

Conclusion


Cet arrêt inédit ouvre pour les employeurs une possibilité peu utilisée jusqu’ici : celle de remettre en cause des ruptures conventionnelles s’ils apprennent que leurs salariés ont dissimulé une information essentielle à leur consentement.

Le cas d’un acte de concurrence postérieur à la rupture, même en l’absence de clause de non-concurrence, semble être le plus propice à une telle action.

La vigilance est donc de rigueur pour les salariés sollicitant une rupture conventionnelle pour changer d’entreprise et/ou créer une société dans un secteur d’activité similaire.

Sur plus de 500.000 ruptures conventionnelles conclues chaque année, nul doute que cette hypothèse concerne un nombre non négligeable de salariés...


Cet article n'engage que son auteur.
 
 
[1] Source : DARES : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/les-ruptures-conventionnelles
[2] CA Toulouse, 18 novembre 2022, n°21/02902
[3] Cass. Soc., 29 janv. 2020, n°18-24.296
[4] Cass. Soc., 25 mai 2013, n°12-13.865
[5] Cass. Soc., 16 mai 2018, n°16-25.852
[6] Cass. Soc., 11 mai 2022, n°20-15.909
[7] Cass. Soc., 6 janv. 2021, n°19-18.549
[8] Cass. Soc., 30 janv. 2013, nº 11-22.332
[9] C. Civ., art. 1128.
[10] C. Trav., art. L1237-14 et Cass. Soc., 10 avril 2013, n°11-15.651
[11] C. Civ., art. 1144
[12] Cass. Soc., 22 juin 2016, n°15-16.994

Auteur

Antoine LOSSE
Avocat
CORNET, VINCENT, SEGUREL BORDEAUX
BORDEAUX (33)
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