Convention d’occupation précaire et notion de clause exorbitante

Convention d’occupation précaire et notion de clause exorbitante

Publié le : 01/03/2012 01 mars mars 03 2012

Le contentieux des conventions d’occupation précaire du domaine privé des personnes publiques aurait-il pleinement conquis le « domaine réservé » de compétence du juge judiciaire ?

Conventions d’occupation précaire du domaine privé des personnes publiquesLa question est légitime au regard des développements récents de la jurisprudence qui font apparaître en la matière la réduction comme « une peau de chagrin » (1) des clauses exorbitantes du droit commun.

Si les conventions d’occupation précaire du domaine privé des personnes publiques sont par principe des contrats de droit privé, dont le contentieux relève de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire (2) , elles sont en effet susceptibles de recevoir la qualification de contrats administratifs, dont les litiges ressortent de la compétence de la juridiction administrative, dans la mesure où elles renferment une clause exorbitante du droit commun. (3)

Consacrées implicitement en 1912 par le grand arrêt du Conseil d’État Société des granits porphyroïdes des Vosges (4), les clauses exorbitantes sont traditionnellement définies comme celles « ayant pour objet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales » (5) ; plus généralement, la clause exorbitante est celle qui est « inusuelle » dans les rapports entre particuliers. (6)

Ont par exemple été jugées comme inusuelles les clauses imposant un contrôle de la personne publique sur le personnel employé par son cocontractant (7), sur l’activité de son cocontractant (8), et sur les prix pratiqués par ce dernier (9), ou encore, les clauses conférant à la personne publique le pouvoir de suspendre l’exécution du contrat (10), de le modifier unilatéralement, ou, de le résilier de façon unilatérale en l’absence même de tout manquement du titulaire du contrat à ses obligations contractuelles (11).


La reconnaissance du caractère exorbitant d’une clause ne dépend toutefois pas uniquement de sa nature mais également de celle du contrat au sein duquel elle est insérée ; à ce titre, le contentieux des conventions d’occupation précaire du domaine privé des personnes publiques illustre un niveau d’exigence du juge plus fort.

Ainsi, alors que la clause de résiliation unilatérale sans faute du cocontractant est usuellement considérée comme l’« archétype de la clause exorbitante » (12), le Tribunal des Conflits a jugé non exorbitantes du droit commun deux clauses contenues dans une convention d’occupation temporaire par laquelle la Communauté Urbaine de Lyon a mis à la disposition d’une entreprise de plomberie, pour une durée de deux ans, un immeuble à usage d’entrepôt et de bureaux appartenant à son domaine privé, la première permettant au propriétaire de reprendre la jouissance de l’immeuble, à tout moment et pour tout motif, sans indemnité, sous réserve d’un préavis d’un mois, la seconde prévoyant que le preneur renonce à tout recours contre la COURLY, pour quelque cause que ce soit (13).

Dans cette lignée, le Conseil d’État avait précédemment énoncé, dans un arrêt Commune du Lamentin du 12 décembre 2003, que la clause d’une convention de mise à disposition d’un logement communal prévoyant, au profit de la personne publique contractante, un pouvoir de résiliation unilatérale du contrat même en l’absence de tout manquement du titulaire de ce dernier à ses obligations contractuelles, n’est pas exorbitante du droit commun, « eu égard aux caractéristiques [ du ] contrat et, en particulier, au caractère gratuit de la mise à disposition [ des ] locaux par la commune » (14).

Y faisant suite, la Cour Administrative d’Appel de Versailles a jugé non exorbitante du droit commun, « eu égard en particulier au caractère gratuit de la mise à disposition des lieux », la clause, insérée dans une convention par laquelle un département autorisait l’occupation temporaire d’une propriété à usage d’habitation faisant partie de son domaine privé, stipulant que la personne publique contractante pouvait mettre fin au contrat à tout moment (15).

Dans une décision récente en date du 12 décembre 2011, le Tribunal des Conflits a précisé que la clause organisant la possibilité, pour chacune des parties, de mettre un terme au contrat en prévenant l’autre deux mois à l’avance, et prévoyant, pour la personne publique contractante, le droit de récupérer à tout moment, moyennant le même préavis, tout ou partie de son bien pour la réalisation de projets d’intérêt communal et/ou d’utilité publique, ne constitue pas une clause exorbitante du droit commun ; en l’espèce, la commune de Nouméa avait conclu une convention d’occupation précaire portant sur la location d’une parcelle de terrain appartenant au domaine privé communal (16).

Le Tribunal des Conflits a par ailleurs considéré dans cette même affaire que la clause, prévoyant le réajustement du prix du loyer à compter de l’entrée en vigueur de la délibération du conseil municipal modifiant les tarifs de location municipaux, ne constituait pas plus une clause exorbitante du droit commun.

La Cour de cassation n’est pas en reste dans l’appréciation de la notion de clause exorbitante en matière de conventions d’occupation précaire; ainsi, elle a notamment jugé, dans une décision du 2 février 2005, que la clause dérogeant au statut des baux commerciaux en conférant un caractère précaire au droit concédé à l’occupant, enfermée en l’espèce dans un contrat par lequel l’Office National des Forêts (ONF) a autorisé l’occupation, sur une parcelle de terre incorporée au domaine privé de l’État, d’un emplacement destiné à recevoir un stand de restauration pour une durée limitée, ne suffisait pas à lui seul à la qualifier de clause exorbitante du droit commun, alors même que le caractère précaire du droit concédé était justifié « par la protection de la forêt ou les nécessités de sa gestion » (17).

Il en résulte que la précarité de l’occupation du preneur, même fondée sur des considérations d’intérêt général, n’est pas exorbitante du droit commun (18).

L’ensemble de ces solutions jurisprudentielles se justifieraient par le fait que le type de contrat considéré baignerait « naturellement dans une ambiance de droit privé » (19); il est vrai que, en particulier, les clauses de résiliation unilatérale ne sont pas étrangères à tous les baux précaires, y compris à ceux conclus entre des personnes privées.

Ce mouvement traduit néanmoins une sorte de retour au statu quo ante dans la mesure où, à l’origine, les conventions d’occupation précaire du domaine privé des personnes publiques étaient considérées comme des contrats de droit privé par leur objet même, et ce, quelles que soient leurs clauses (20).

Il n’en demeure pas moins que la notion de clause exorbitante du droit commun conserve aujourd’hui encore une certaine vigueur dans ce domaine.

En effet, à travers une décision ONF en date du 19 novembre 2010, le Conseil d’État a retenu l’existence de plusieurs clauses exorbitantes du droit commun dans une convention par laquelle l’ONF avait autorisé l’occupation d’une parcelle du domaine forestier privé de l’État pour l’exploitation d’un centre équestre ; ces clauses stipulaient précisément que l’Office National des Forêts disposait d’un pouvoir de contrôle direct sur l’ensemble des documents comptables du titulaire, que l’Office pouvait exécuter des travaux sur la voie publique ou sur des immeubles voisins pour lesquels « quelque gêne qu’il puisse en résulter pour lui, le titulaire n’aura aucun recours contre l’ONF et ne pourra prétendre à aucune indemnité, ni diminution de loyer », et qu’il était imposé au cocontractant « d’observer les instructions que pourraient lui donner » les agents assermentés de l’Office pour constater les contraventions et délits dans les forêts et terrains soumis au régime forestier (21).

Cette dernière décision ne permet assurément pas de répondre par l’affirmative à la question introductive ; il apparaît cependant que le contentieux des conventions d’occupation précaire du domaine privé des personnes publiques évolue à tout le moins dans un régime exorbitant du droit des contrats administratifs.


Index:

(1) Une peau de chagrin : la clause exorbitante dans les contrats d’occupation du domaine privé, Philippe Yolka, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 19, 5 mai 2008, 2117
(2) TC, 15-01-1979, Pavan : n° 02109
(3) TC, 17-11-1975, Leclert : n° 02011 ;TC, 17-10-1988 : n° 02530
(4) CE, 31-07-1912 : n° 30701
(5) CE, 20-10-1950, Stein : Rec. CE 1950, p. 505 ; cf. pour une confirmation TC, 15-11-1999, Commune de Bourisp : n° 03144
(6) TC, 14-11-1960, Société coopérative agricole de stockage de la région d’Ablis : Rec. CE 1960, p. 867
(7) TC, 07-07-1980, Société d’exploitation touristique de la Haute-Maurienne : n° 02165
(8) CE, 26-02-1965, Société du Vélodrome du Parc des Princes : n° 65549
(9) Cass 1ère civ., 18-11-1992, Commune de Pantin : n° de pourvoi 91-12621
(10) CE, 08-01-1965 : n° 60450
(11) TC, 05-07-1999, Union des groupements d’achats publics : n° 03167
(12) Précisions sur la notion de clause exorbitante, Fabrice Melleray, Droit administratif n° 5, mai 2008, comm. 64
(13) TC, 20-02-2008, Verrière c/ COURLY : n° 3623
(14) CE, 12-12-2003 : n° 256561
(15) CAA Versailles, 13-10-2005, Époux Bourjac : n° 05VE00995 et 05VE00996
(16) TC, 12-12-2011 : n° 3824
(17) Cass 3ème civ., 02-02-2005 : n° de pourvoi 03-18199
(18) Cf. en ce sens un article de Guylain Clamour, L’occupation précaire du domaine privé dans l’intérêt général n’est pas exorbitante du droit commun, AJDA 2005, p. 1125
(19) Qualification jurisprudentielle du contrat administratif, François Brenet, JurisClasseur Administratif, Fascicule 603
(20) CE, 26-01-1951, SA Minière : Rec. CE 1951, p. 49
(21) CE, 19-11-2010 : n° 331837





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © Bruce Shippee - Fotolia.com

Auteur

COUDERC Claire

Historique

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