Sur la prescription de l'action en déceptivité et la réparation de la contrefaçon de marque

Publié le : 05/09/2017 05 septembre sept. 09 2017

L’interdiction d’usage suffit désormais comme réparation intégrale du préjudice de contrefaçon, en l’absence de toute preuve de préjudice spécifique, voire même absence de preuve d’un enrichissement du contrefacteur au détriment du demandeur, et en l’absence de toute preuve sur un affaiblissement du caractère distinctif, de la notoriété et du prestige de la marque, en l’espèce la marque notoire Cheval Blanc.

Cheval blanc ne peut déroger aux règles


La société Château Cheval Blanc est propriétaire de la célèbre marque de vin « Cheval blanc » : cette marque - dûment renouvelée depuis son dépôt en 1933 -est exploitée pour un vin d’AOC grand cru Saint-Émilion, dont le prestige est attesté par le rang de « Premier Grand Cru classé A », rang qu’elle dit détenir dès 1954[1].
 
A partir de 2005, la société Château Cheval Blanc entame une série d‘actions judiciaires (devant les juridictions de Bordeaux) et d’actions administratives (auprès de l’INPI), pour s’opposer à des marques déposées, dont elle estime qu’elles sont trop proches de la sienne au point de créer un risque de confusion dans l’esprit du consommateur et/ou trompeuses sur la provenance géographique du vin.
 
De fait, la société Château Cheval Blanc obtient régulièrement des succès. L’INPI fait droit à des oppositions en rejetant plusieurs demandes de marques françaises : Le cheval du roi (2016), Cheval rose (2014), Cheval royal (2013), Chevall bianco (2012) et Cheval d’or (2011) …
 
Par ailleurs, la renommée mondiale de la marque a été admise plusieurs fois par les juges, par exemple dans les affaires judiciaires gagnées contre le Domaine Cheval-Blanc Signé en 2011 (reconnue contrefaisante par imitation, et radiée), et contre la marque Château Guiraud - Cheval Blanc en 2010 (annulation de la marque pour son caractère déceptif).  
 

Dura lex, sed lex

 
Dans cette dernière affaire Chaussié du Cheval Blanc, la société Château Cheval Blanc tente de contester une marque Domaine du Cheval Blanc de 1973, une marque figurative de 2003 , ainsi que la dénomination sociale de la société qui exploite ces marques pour du vin. Elle assigne donc en avril 2008[2], l’EARL Chaussié du Cheval blanc, propriété viticole et Mr Chaussié (titulaire des marques), pour voir prononcer la nullité de ces marques pour cause de déceptivité, et à titre subsidiaire, pour contrefaçon par imitation de sa marque Cheval Blanc.
 
Dans son arrêt du 5 mai 2015, la Cour de Bordeaux, statuant sur renvoi[3], déclare la société Château Cheval Blanc irrecevable à demander la nullité de la marque Domaine du Cheval Blanc de 1973 pour cause de prescription trentenaire.
 
La Cour d’appel de Bordeaux estime en effet que l’action en nullité fondée sur la déceptivité, n’est pas une action en contrefaçon ni une action en revendication et qu’elle est soumise de ce fait à la forclusion de droit commun, qui était de trente ans au moment de l’assignation.
 
Dans ce même arrêt de 2015 , la Cour de renvoi déboute la société Château Cheval Blanc de sa demande en déceptivité de la marque adverse de 2003 . Si en l’espèce, elle était dans les temps pour son action en nullité, il lui manquait cependant de pouvoir produire des droits antérieurs suffisamment proches de cette marque : la Cour indique notamment que le « simple dessin de la tête de cheval harnachée, en soi tout à fait commune », ne crée pas à lui seul « un risque de confusion pour le consommateur de vin moyennement averti » avec le Premier grand cru classé A Château Cheval blanc ; et elle relève également que cette AOC n’a jamais été exploitée sous un signe représentant un cheval ni dans son étiquetage, ni dans les illustrations du guide Féret[4].
 
Toutefois, tout n’est pas perdu dans cette affaire puisque la société Château Cheval Blanc obtient de la Cour de Bordeaux en 2015 qu’elle prononce une interdiction pour la société adverse d’employer le vocable « Cheval Blanc » dans sa dénomination sociale, en considérant que cette dernière induisait un risque de confusion avec la marque Cheval blanc, l’EARL Chaussié de Cheval Blanc étant ainsi la contrefaçon de la marque Cheval Blanc : « la très grande notoriété attachée à la marque Cheval blanc induit un risque de confusion pour le consommateur moyennement attentif et compétent, lequel sera amené à penser, en achetant du vin portant la dénomination sociale EARL Chaussié de Cheval Blanc qu’il s’agit d’un vin ayant une relation directe avec la production prestigieuse de la société civile Château Cheval blanc, de nature à lui assurer une garantie de qualité, de provenance et de réputation. »
 

Le pourvoi 15-21.357

 
Pourtant, ne s’estimant pas satisfaite, la société Château Cheval Blanc reproche à la Cour de Bordeaux dans son dernier pourvoi d’avoir déclaré d’une part, « irrecevable comme prescrite sa demande d’annulation de la marque « Domaine du Cheval blanc » sur le fondement de la déceptivité. ». La société Château Cheval Blanc soutient en particulier devant la haute juridiction que « le vice de déceptivité doit pouvoir être invoqué par tout tiers, à tout moment, tant que le titulaire maintient sa marque en vigueur », puisque ce vice ne peut « être purgé ni par le temps ni par l’usage », que, de ce fait, « ce vice perdure », et ainsi le délai de prescription trentenaire ne peut « commencer à courir dès le dépôt de la marque » contestée  ; aussi, la Cour de Bordeaux aurait violé les dispositions du code de la propriété intellectuelle et l’article 2262 ancien du code civil[5].
 
Par arrêt du 8 juin 2017[6], la chambre commerciale de la Cour de Cassation écarte ce premier moyen qui « manque en droit » : « le fait que le vice de déceptivité, dont une marque est entachée, ne puisse être purgé ni par l’usage ni par le temps n’est pas de nature à rendre imprescriptible l’action, par voie principale, en nullité de la marque fondée sur ce vice et n’a pas pour effet de suspendre le délai de prescription tant que la marque demeure inscrite au registre national des marques. »
 
D’autre part, la société Château Cheval Blanc fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes d’expertise et de provision ainsi que ses demandes de publication et de dommages-intérêts.
 
Rejetant ce second moyen, la réponse de la chambre commerciale de la Cour de Cassation est également limpide sur l’application du principe que « le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties » : elle conforte la Cour d‘Appel de Bordeaux qui avait retenu que – « dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, notamment quant aux situations économiques et financières respectives des parties -, la société Cheval Blanc ne justifiait d’aucun préjudice spécifique résultant de l’usage du vocable « cheval blanc » dans la dénomination sociale de la société Chaussié, seul retenu comme constituant une atteinte à son image de marque », et que la société Cheval blanc « ne démontrait pas ni même n’alléguait que cet usage avait permis l’enrichissement de M. X… et de la société Chaussié à son détriment et qu’elle n’établissait pas davantage que le caractère distinctif, la notoriété et le prestige de sa marque « cheval blanc » avaient été affaiblis par un tel usage », aussi la Cour [de Bordeaux] a pu considérer que « l’interdiction faite sous astreinte à M. X… et à la société Chaussié d’employer le vocable « cheval blanc » dans la dénomination sociale de celle-ci sous quelque forme et en quelque lieu » était suffisante pour « assurer la réparation intégrale du préjudice résultant de la contrefaçon de marque subi par la société Cheval blanc. » 
 
A retenir que l’interdiction d’usage (sous astreinte) suffit désormais comme réparation intégrale du préjudice de contrefaçon, en l’absence de toute preuve de préjudice spécifique, voire même absence de preuve d’un enrichissement du contrefacteur au détriment du demandeur, et en l’absence de toute preuve sur un affaiblissement du caractère distinctif, de la notoriété et du prestige de la marque, en l’espèce la marque notoire Cheval Blanc.
 
Cet arrêt est publié au bulletin.
 

Cet article n'engage que son auteur.
 
[1] Et depuis conservé, selon le site officiel du cru https://www.chateau-cheval-blanc.com/fr/histoire
[2] Avant l’entrée en vigueur, le 19 juin 2008, de la Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile
[3] Après cassation d’un arrêt de cette même Cour rendu le 10 septembre 2012 - Ch.com, 7 janvier 2014, n° Pourvoi C 12-28.041
[4] Le guide Féret est considéré comme un guide de référence pour les amateurs de vins de Bordeaux, depuis plus de 150 ans
[5] Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.
[6] Cour de cassation - Chambre commerciale, financière et économique, arrêt n° 878 du 8 juin 2017 15-21.357 FS-P+B+R   http://bit.ly/2wfxLoq

Cet article a été rédigé par Me Marie PASQUIER. Il n'engage que son auteur.
 

Historique

<< < ... 35 36 37 38 39 40 41 ... > >>
Navigateur non pris en charge

Le navigateur Internet Explorer que vous utilisez actuellement ne permet pas d'afficher ce site web correctement.

Nous vous conseillons de télécharger et d'utiliser un navigateur plus récent et sûr tel que Google Chrome, Microsoft Edge, Mozilla Firefox, ou Safari (pour Mac) par exemple.
OK