Procédure pénale

Lorsqu’un prévenu comparant n’a pas eu l’initiative d’exposer sa situation, il appartient à la juridiction de l’interroger sur celle-ci

Publié le : 03/03/2025 03 mars mars 03 2025

Le 28 novembre 2012, un salarié qui faisait l'objet d'un prêt de main-d’œuvre par son employeur à une autre société pour travailler sur un chantier, a fait une chute entraînant une incapacité totale de travail de moins de trois mois. La société a été renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de moins de trois mois par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence. 
Le tribunal a requalifié les faits en contravention de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de moins de trois mois et a fait droit à l'exception de prescription de l'action publique.
Le ministère public a relevé appel de cette décision.

La cour d’appel de Paris a infirmé la décision en rejetant l'exception de prescription soulevée et a déclaré la société coupable des faits de blessures involontaires par personne morale avec incapacité n'excédant pas trois mois par la violation manifestement délibéré d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail et l'a condamnée à une amende de 20 000 euros.
La société a alors formé un pourvoi contre cet arrêt.

Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société à une amende de 20 000 euros, alors :
« qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; qu'en prononçant une peine d'amende de 20.000 euros, sans s'expliquer sur les ressources et charges de la société, au besoin en sollicitant et recueillant les informations nécessaires lors des débats, son représentant légal étant présent à l'audience, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 130-1, 132-1, 132-20, alinéa 2, et 132-24, alinéa 1er, du code pénal, ensemble les articles 485, 485-1, 512 et 593 du code de procédure pénale. »

La Haute juridiction valide cette argumentation en considérant au visa de l’article 485-1 du code de procédure pénale que :
« Si la prévenue, comparante en la personne de son représentant légal, n'a pas d'initiative exposé sa situation, ni produit de justificatifs de celle-ci, il appartenait à la juridiction de l'interroger sur cette situation, notamment ses ressources et charges, et de faire mention dans sa décision tant de cette interrogation que des réponses apportées. »

Pour rappel l'article 485-1 du code de procédure pénale précise qu’en matière correctionnelle, le choix de la peine doit être motivé au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, sauf s'il s'agit d'une peine obligatoire ou de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction. 

Il en résulte que l'amende doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, dont ses ressources et charges.

En l’espèce, la Haute juridiction relève que, pour condamner la société à une peine de 20 000 euros d'amende, l'arrêt attaqué énonce :

- que celle-ci a été immatriculée le 23 mars 1993, qu'elle a pour objet social les travaux de plomberie ;
- qu'aucun élément n'est communiqué sur les résultats de la société ;
- que son casier judiciaire ne porte mention d'aucune condamnation ;
- que les faits sont graves, en ce qu'ils ont été commis dans le cadre du travail et concernent la sécurité des salariés.

Ainsi la cour d’appel semble avoir tenu compte de la gravité des faits mais également de la situation personnelle de la prévenue notamment en rappelant que son casier judiciaire était vierge.
Cependant aucune mention n’était faite quant à l’interrogation du représentant légal de la société sur les ressources et charges de celle-ci. 
Or il s’avère qu’une amende de 20 000 € peut constituer un gouffre financier pour une société et entraîner de fâcheuses conséquences. 
C’est sans doute ce qui a motivé le pourvoi, d’autant qu’avec un casier judiciaire vierge, la société pouvait espérer, en fonction de sa situation financière, que l’amende prononcée soit moindre ou bien qu’elle soit a minima partiellement assortie du sursis.

En tout état de cause, selon la Haute Cour, les juges du fond auraient dû questionner l’intéressée sur sa situation et faire mention dans la décision tant de cette interrogation que des réponses apportées. 

C’est donc une double exigence qui leur est imposée : non seulement les juges doivent se monter particulièrement entreprenant lors de l’audience en interrogeant le prévenu sur sa situation financière mais ils sont également tenus d’en faire mention dans le jugement. 

La mention de cette interrogation et des réponses apportées permettra de s’assurer que le juge a fondé sa décision au regard de la situation personnelle de l’intéressé et ainsi satisfaire à l’exigence de motivation édictée par l’article 485-1 du code de procédure pénale.  

Cette décision s’inscrit dans la lignée de deux précédents arrêts :

- Sur l'établissement de la situation du prévenu et la production éventuelle de justificatifs, à la demande du juge ou à l'initiative du prévenu : Crim., 27 juin 2018, pourvoi n° 16-87.009, Bull. crim. 2018, n° 128 ;

- Sur la nécessité pour les juges de s'expliquer sur le montant des ressources et charges de la personne morale prévenue représentée à l'audience à laquelle ils infligent une amende : Crim., 18 octobre 2022, pourvoi n° 21-86.965 

Cette exigence accrue de motivation des peines en matière correctionnelle apparaît comme une garantie supplémentaire pour la défense et favorise également la bonne compréhension par le justiciable des décisions de justice.  
On ne peut donc que s’en féliciter. 


Cass. crim., 14 janv. 2025, n° 24-81.076


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Frédéric LETANG
Avocat Associé
CDMF avocats
GRENOBLE (38)
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