Droit alimentaire, sécurité des produits et responsabilités

Droit alimentaire, sécurité des produits et responsabilités

Publié le : 11/06/2018 11 juin juin 06 2018

Les échos médiatiques liés aux obligations des opérateurs du secteur alimentaire (producteurs, fabricants, distributeurs…), de la fabrication du produit à sa mise sur le marché et sa surveillance postérieure, peuvent être source d’incompréhensions.
 
Les crises alimentaires traversées par l’Europe à la fin des années 1990, ont conduit les dirigeants européens à s’interroger sur les conséquences de l’alimentation sur la santé publique.
  
En 2000, dans son livre blanc sur la sécurité alimentaire, la Commission européenne avait émis le souhait de proposer au consommateur un cadre juridique amélioré couvrant tous les aspects liés aux produits alimentaires, « de la ferme à la table ».
  
C’est avec l’adoption du Règlement n°178/2002 du 28 janvier 2002 que l’Europe a entendu mettre en place un véritable corpus juridique en droit alimentaire.
 
Ce premier texte, général, fixe un certain nombre de principes ayant vocation à irriguer l’ensemble du droit alimentaire, en Europe mais également dans chaque Etat membre.
 

 C’est ainsi qu’il est rappelé à l’article 14 dudit Règlement que

 « 1.  Aucune denrée alimentaire n'est mise sur le marché si elle est dangereuse.
2.  Une denrée alimentaire est dite dangereuse si elle est considérée comme:
a) préjudiciable à la santé;
b) impropre à la consommation humaine.
3.  Pour déterminer si une denrée alimentaire est dangereuse, il est tenu compte:
a) des conditions d'utilisation normales de la denrée alimentaire par le consommateur à chaque étape de la production, du traitement et de la distribution; et
b) de l'information fournie au consommateur, y compris des informations figurant sur l'étiquette, ou d'autres informations généralement à la disposition du consommateur, concernant la prévention d'effets préjudiciables à la santé propres à une denrée alimentaire particulière ou à une catégorie particulière de denrées alimentaires.
4.  Pour déterminer si une denrée alimentaire est préjudiciable à la santé, il est tenu compte:
a) de l'effet probable immédiat et/ou à court terme et/ou à long terme de cette denrée alimentaire sur la santé non seulement d'une personne qui la consomme, mais aussi sur sa descendance;
b) des effets toxiques cumulatifs probables;
c) des sensibilités sanitaires particulières d'une catégorie spécifique de consommateurs lorsque la denrée alimentaire lui est destinée.
5.  Pour déterminer si une denrée alimentaire est impropre à la consommation humaine, il est tenu compte de la question de savoir si cette denrée alimentaire est inacceptable pour la consommation humaine compte tenu de l'utilisation prévue, pour des raisons de contamination, d'origine externe ou autre, ou par putréfaction, détérioration ou décomposition ».
 
 
Les obligations découlant de ce premier texte ont été enrichies par l’adoption de nouveaux textes, notamment le Règlement n°852/2004 du 29 avril 2004 relatif à l'hygiène des denrées alimentaires.
  

La première problématique à résoudre est celle de savoir qui est responsable de la sécurité des produits ?

En effet et lorsqu’une crise sanitaire débute, les différents acteurs ont tendance à se renvoyer une telle responsabilité. Le fabricant fait grief aux distributeurs de n’avoir pas mis en œuvre les consignes nécessaires, le distributeur reproche un défaut de lisibilité des consignes, les autorités critiquent les opérateurs économiques qui eux-mêmes pointent la carence de l’Administration dans la réalisation de ses obligations…
  
Très clairement et depuis 2002, les considérants et les dispositions de l’article 17 alinéa 1 du Règlement n°178/2002 posent le principe d’une responsabilité première de l’opérateur économique :
 
« Un exploitant du secteur alimentaire est le mieux à même d'élaborer un système sûr de fourniture de denrées alimentaires et de faire en sorte que les denrées alimentaires qu'il fournit sont sûres. Il y a lieu par conséquent que la responsabilité juridique primaire de veiller à la sécurité des denrées alimentaires lui incombe ».
 
« Les exploitants du secteur alimentaire et du secteur de l'alimentation animale veillent, à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution dans les entreprises placées sous leur contrôle, à ce que les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux répondent aux prescriptions de la législation alimentaire applicables à leurs activités et vérifient le respect de ces prescriptions ».
  
Il sera toutefois relevé que la responsabilité secondaire est immédiatement fixée à la charge de l’Etat et de ses administrations :
 
« Les États membres assurent l'application de la législation alimentaire; ils contrôlent et vérifient le respect par les exploitants du secteur alimentaire et du secteur de l'alimentation animale des prescriptions applicables de la législation alimentaire à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution.
À cette fin, ils maintiennent un système de contrôles officiels et d'autres activités appropriées selon les circonstances, y compris des activités de communication publique sur la sécurité et les risques des denrées alimentaires et des aliments pour animaux, de surveillance de la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux et d'autres activités de contrôle couvrant toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution » (article 17, alinéa 2, Règlement n°178/2002).
 
 
Dans le cadre de leurs activités et pour s’assurer préalablement de la mise sur le marché d’un produit sûr, les opérateurs économiques doivent respecter des procédures permanentes fondées sur les principes HACCP (identifier tout danger qu'il y a lieu de prévenir, d'éliminer ou de ramener à un niveau acceptable ; identifier les points critiques aux niveaux desquels un contrôle est indispensable ; établir, aux points critiques de contrôle, les limites critiques qui différencient l'acceptabilité de l'inacceptabilité ; établir et appliquer des procédures de surveillance efficace des points critiques de contrôle, établir les actions correctives à mettre en œuvre lorsque la surveillance révèle qu'un point critique de contrôle n'est pas maîtrisé ; établir des procédures exécutées périodiquement pour vérifier l'efficacité des mesures ; établir des documents et des dossiers en fonction de la nature et de la taille de l'entreprise pour prouver l'application effective des mesures).
 
 
C’est au regard de ces obligations qu’il appartient aux opérateurs économiques de mettre en œuvre des plans d’autocontrôles qui peuvent prévoir des analyses des produits.
  
Sauf à méconnaitre l’activité économique et le coût inhérent à de telles analyses, il doit être rappelé que les contrôles ne peuvent raisonnablement s’opérer que par échantillonnage… ce qui peut évidemment conduire à la mise sur le marché de produits non testés…
 
Contrairement à ce qu’on peut laisser parfois entendre, le risque zéro n’existe pas ou présente un coût tel qu’il n’est pas acceptable pour les consommateurs… 
 
Partons donc de l’hypothèse où un produit manufacturé est mis sur le marché, sans qu’il n’ait été préalablement contrôlé par l’opérateur économique.
 
 Or, il s’avère ultérieurement que le produit est identifié, par le retour de consommateurs ou des analyses de l’Administration, comme présentant une non-conformité voire même un risque pour santé publique. 
 

Quelles sont alors les réactions attendues des opérateurs économiques ou de l’Administration ?

Conformément aux dispositions de l’article 14 du Règlement n°178/2002, il est tout d’abord présumé que l’ensemble du lot auquel appartient le produit déterminé est susceptible de présenter la même problématique :
 
« Lorsqu'une denrée alimentaire dangereuse fait partie d'un lot ou d'un chargement de denrées alimentaires de la même catégorie ou correspondant à la même description, il est présumé que la totalité des denrées alimentaires de ce lot ou chargement sont également dangereuses, sauf si une évaluation détaillée montre qu'il n'y a pas de preuve que le reste du lot ou du chargement soit dangereux ».
 
Il appartient alors à l’opérateur économique d’engager sans délai et spontanément les mesures de retrait du marché et de rappel des produits commercialisés, d’en informer effectivement les consommateurs et d’en informer les autorités (article 19, alinéa 1, du Règlement n°178/2002).
 
Cette obligation pèse également sur les seuls distributeurs qui sont, en outre, tenus d’une obligation de coopération renforcée à l’égard de l’opérateur économique primaire et de l’Administration, pour s’assurer de l’effectivité des mesures (article 19, alinéa 2, du Règlement n°178/2002).
 
Le principe de traçabilité, tel que défini par l’article 18 du Règlement n°178/2002 permet d’ailleurs à chaque opérateur de reconstituer, à son niveau, la chaîne de commercialisation, ce « à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution ».
 
 Ces dispositions sont donc censées éviter que des produits manufacturés faisant l’objet de mesures de rappel, fortement médiatisées, restent présents dans les étals des grandes surfaces, des pharmacies, des hôpitaux…plus d’un mois après le déclenchement des mesures…
 
En principe donc, l’autorité administrative n’a pas vocation à intervenir directement puisque la responsabilité liée à la mise en place des mesures de rappel ou de retrait incombe aux différents opérateurs économiques.
 
S’emparant de l’émotion, fort légitime, suscitée par les récents événements, le Gouvernement a annoncé le renforcement des mesures liées au retrait et au rappel des marchandises.
 
Pourtant, l’arsenal législatif existant apparaît adapté aux objectifs poursuivis sous réserve, il est vrai, qu’il soit correctement mis en œuvre.
  

Il convient de rappeler que la surveillance et le contrôle des opérateurs économiques exerçant dans le domaine de l’alimentaire ressortent de la compétence des Directions Départementales de la Protection des Population (DDPP), sous l’autorité du Préfet du Département. La Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) pouvant également intervenir sur le territoire national.
  
Dans le cadre de leur activité, les agents de la DDPP disposent de pouvoirs étendus pour la recherche et la constatation des pratiques illicites, trompeuses ou dangereuses.
  
A ce titre, ils sont habilités à prélever des échantillons et à faire réaliser des analyses (article L 512-23 du Code de la consommation).
  
Dans l’attente des résultats, les agents de la DDPP sont légitimes à consigner les produits pour une durée d’un mois (L 512-26 et suivants du Code de la consommation).
  
Ils peuvent également procéder à la saisie des marchandises notamment lorsque les produits sont reconnus impropres à la consommation (article L 512-29 du Code de la consommation).
  
Bien évidemment, ils sont habilités à dresser des procès-verbaux d’infraction à transmettre à l’autorité pénale pour l’engagement de poursuites judiciaires.
 
Mais encore, les agents disposent d’une possibilité d’action administrative qui, après le respect d’une procédure contradictoire, leur permet d’enjoindre à un professionnel de se conformer à ses obligations dans un délai déterminé (articles L 521-1 et suivants du Code de la consommation).
 
Ils peuvent également faire assurer, aux frais de l’opérateur économique, la publicité par voie de presse, électronique ou d’affichage de la mesure d’injonction administrative.
 
Etant précisé que le non-respect de la mesure d’injonction expose l’opérateur notamment à une peine de prison de deux ans et 30 000 euros d’amende (article L 532-2 du Code de la consommation).
  
S’agissant du champ des mesures, l’autorité administrative peut ordonner en cas de danger pour la santé la suspension de la mise sur le marché, le retrait, le rappel et la destruction des marchandises, le tout à la charge de l’opérateur économique visé par la mesure (article L 521-7 du Code de la consommation).
 
Le Ministre chargé de la consommation, actuellement Monsieur le Ministre LE MAIRE, est également fondé en cas de danger grave ou immédiat de suspendre pour une durée d’un an la fabrication, l’importation, l’exportation, la mise sur le marché d’un produit et de faire procéder au retrait / rappel du produit (article L 521-17 du Code de la consommation).
 
Il est prévu, dans ce cadre, que le Ministre auditionne l’opérateur économique dans un délai maximum de 15 jours après l’adoption de la mesure, ainsi que les associations nationales agréées de défense des consommateurs.
  
En cas de non-respect, l’opérateur économique s’expose à une peine d’emprisonnement de deux années, une amende pénale d’un montant de 30 000 euros, voire 150 000 euros pour la personne morale.
 
Les agents de la DDPP peuvent également prononcer une amende administrative (article L 522-1 du Code de la consommation).
  
A l’évidence, le dispositif légal apparaît aujourd’hui complet pour éviter ou faire face à une crise sanitaire dans le domaine alimentaire dans la mesure où :
 
  • Les obligations à la charge des opérateurs économiques avant la commercialisation sont importantes,
  • L’Administration est responsable du contrôle du respect de ces obligations,
  • Les opérateurs économiques sont responsables des mesures de retrait/rappel des produits,
  • L’Administration est responsable de la surveillance de ces mesures et dispose d’un pouvoir coercitif en cas de carence des opérateurs économiques.
  
Riche d’une solide expérience en la matière, le Cabinet LEXCAP se tient à votre disposition pour vous assister dans le cadre de l’application du Code de la consommation.


Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © val_iva - Fotolia.com


 

Auteur

Flavien MEUNIER
Avocat Associé
LEXCAP NANTES
NANTES (49)
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