Rupture des relations commerciales : l’appel d’offres permet-il une application plus souple des dispositions de l’article L. 442 6 I 5° du Code de commerce ?

Rupture des relations commerciales : l’appel d’offres permet-il une application plus souple des dispositions de l’article L. 442 6 I 5° du Code de commerce ?

Publié le : 02/02/2018 02 février févr. 02 2018

La Cour de cassation (Com, 18 oct. 2017, n°16-15.138) vient de confirmer qu’une relation commerciale basée sur des appels d’offres (ou « consultations ») peut permettre d’exclure l’application des dispositions de l’article L. 442 6 I 5° en cas de rupture.

Désormais, au regard de la jurisprudence, semble se dessiner un droit spécifique de la rupture brutale en présence de ce type de procédure.

Dès lors, le recours à un appel d’offres, entraînant une mise en concurrence, modifie le rapport juridique entre les partenaires commerciaux. La singularité de la relation commerciale par appel d’offres appelle donc plusieurs questions.

1- Quelles précautions faut-il prendre lors de l’annonce d’un appel d’offres à un partenaire commercial avec qui l’on entretenait une relation commerciale établie ?

Lorsqu’un partenaire commercial annonce à un autre qu’il entend soumettre celui-ci à un appel d’offres pour déterminer la poursuite de la relation, cette notification déclenche le point de départ du préavis mentionné à l’article L. 442 6 I 5° du Code de commerce (Com, 22 octobre 2013, 12-25.992).

Une telle annonce doit répondre aux critères prévus par ce texte. On conseillera donc d’annoncer l’appel d’offres par écrit en respectant le préavis exigé aux dispositions de l’article L. 442 6 du Code de commerce.

Cette annonce doit alors tenir compte notamment de l’ancienneté de la relation, de la dépendance économique, de l’existence d’un produit sous marque de distributeur, d’une éventuelle faute grave… etc.

En ce sens, l’annonce d’un appel d’offres réduit substantiellement l’impact relationnel entre les parties par rapport à l’annonce ordinaire d’une rupture. En effet, en cas d’appel d’offres, le partenaire conserve une chance de continuer la relation s’il remporte le marché.

2- Quel est le régime juridique d’une relation commerciale qui fonctionne exclusivement par appel d’offres ?

La jurisprudence apparaît désormais relativement claire pour considérer qu’une relation commerciale établie sur la base d’appels d’offres systématiques et réguliers est par nature précaire (Paris, 29 janvier 2016, 14/22162 ; 7 avril 2016, 14/09847 ; 7 octobre 2016, 13/19175 ; et 5 juillet 2017, 17/08926). L’arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2017 consacre donc fermement cette solution.
La seule décision qui existait en sens contraire (Paris, 5 mai 2017, 15/13369) semble désormais écartée.

Toutefois, la lecture de la jurisprudence laisse aussi apparaître que le recours à un appel d’offres doit être « régulier ». Autrement dit, un seul appel d’offres ne permet pas d’exclure une rupture brutale de la relation commerciale établie.

En conséquence, une entreprise qui a usuellement recours à l’appel d’offres devra justifier de la réalité des précédentes consultations. C’est pourquoi elle aura intérêt à archiver les traces des appels d’offres antérieurs. A ce titre, les documents internes à l’entreprise (cahier des charges…), pourraient constituer des preuves à soi-même et donc ne pas suffire. Il est donc utile de garder les candidatures des entreprises évincées et signées de leur main.

3- Quelles sont les règles que l’acheteur doit suivre dans le processus d’appel d’offres ?

La jurisprudence actuelle laisse peu de place au doute : les entreprises n’ont pas à suivre le modèle administratif (Paris, 30 juin 2016, 14/24502). 

De même, la jurisprudence a déjà considéré que les critères de sélection n’ont pas à être révélés aux candidats mêmes évincés (Paris, 30 juin 2016, 14/24502 ; 12 juin 2015, 13/00396). Mais il est nécessaire que les participants se trouvent sur un pied d’égalité.

4- Que faire si un candidat évincé soutient que l’appel d’offres n’était pas sincère ?

Il va de soi que certains partenaires évincés reprocheront facilement à l’auteur d’avoir prétexté l’appel d’offres pour cacher une rupture brutale. Le plaider est envisageable, mais la preuve est compliquée à rapporter. Le fait que l’acheteur ne soit pas soumis à des règles de passation comme en droit public milite en ce sens.

En outre, de manière générale, de simples soupçons sur la régularité de l’appel d’offres ne suffisent pas. La jurisprudence exige des preuves flagrantes.

Par exemple, il n’importe pas que la même entreprise gagne systématiquement tous les ans (Paris, 7 octobre 2016, 13/19175, Com, 18 oct. 2017, n°16-15.138). Ni même que le client avait au préalable réalisé une étude sur l’un des candidats (Paris, 6 mars 2014, 12/00206).

Par contre, si la victime de la rupture prouve l’intention dolosive de celui qui recourt à l’appel d’offres, on ne pourra plus lui opposer que la relation commerciale était précaire.

Un arrêt a pu, en ce sens, (Paris, 24 mars 2011, 07/07337) sanctionner un appel d’offres fictif. Dans cette espèce, la tricherie était manifeste. Tous les candidats n’avaient pas reçu le même cahier des charges et le contrat signé n’était pas celui proposé à la concurrence.

Les acheteurs doivent cependant guetter un éventuel revirement de jurisprudence. Aussi, la conservation des preuves de la réalité de l’appel d’offres ne nuit jamais.
En conclusion, il convient de dire que ce régime juridique de la relation par appel d’offres pourrait inviter les entreprises à repenser le mode opératoire de leur relation avec les fournisseurs. Non que l’appel d’offres soit approprié à toute situation, mais l’intérêt qu’il emporte au niveau du risque juridique demeure appréciable.


Cet article n'engage que son auteur.
 

Crédit photo : © Mimi Potter - Fotolia.com

Auteur

Cyril BRIEND

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