Urbanisme : les dispositions du projet de loi « ELAN » relatives à la procédure contentieuse

Urbanisme : les dispositions du projet de loi « ELAN » relatives à la procédure contentieuse

Publié le : 30/05/2018 30 mai mai 05 2018

Décidément, le contentieux des autorisations d’urbanisme ne cesse de subir limitations et restrictions.
Le projet de loi « portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » dit « ELAN » - qui a été présenté le 4 avril 2018 en conseil des ministres, dans le cadre d’une procédure accélérée – ne déroge pas à cette évolution. Il est actuellement en discussion devant l’Assemblée nationale.

Nouvel "ELAN" pour le recul du contentieux de l'urbanisme


Pourtant, il résulte des travaux préparatoires que sur le nombre de décisions relatives à l’occupation du sol délivrées chaque année (969.633 en 2013, 1.046.187 en 2016), seul 1,2 à 1,6 % de l’ensemble fait l’objet de recours, et les trois-quarts de ces recours portent sur des constructions isolées et non sur des programmes d’ensemble.

Louable du point de vue de la nécessité de production de logements, la canalisation excessive du droit au recours - dont l’objet est tout de même de voir sanctionné le non-respect des règles d’urbanisme - n’est peut-être pas toujours la meilleure option.
 
L’article 24 du projet est destiné notamment à « sécuriser les opérations de constructions en luttant contre les recours abusifs ».

Certaines dispositions du livre VI du code de l’urbanisme relatives au contentieux de l’urbanisme, connaîtraient ainsi à nouveau diverses modifications évoquées ci-après :


1) L’article L 600-1-2 du code de l’urbanisme, qui encadre strictement la recevabilité à agir des tiers, est étendu notamment aux déclarations préalables, et porte désormais sur toute « décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code ». 

2) L’article L 600-3 qui encadre le référé suspension – lequel pourra donc être dirigé contre une décision de non opposition à déclaration préalable – impose que la demande de suspension soit formée dans le délai fixé pour la cristallisation des moyens.

Or à ce jour l’article R 611-7-1 du code de justice administrative (qui a étendu le procédé de cristallisation des moyens de l’ancien article R 600-4 du code de l’urbanisme à l’ensemble du contentieux administratif) ne prévoit qu’une faculté pour le juge de fixer un délai dit « de cristallisation des moyens » au-delà duquel de nouveau moyens ne seront plus recevables. Ce n’est pas (encore) pour lui une obligation. Encore faut-il que « l’affaire soit en état d’être jugée », ce qui suppose que l’instruction touche à sa fin. On peut donc en déduire que ce n’est que si le juge use de cette faculté, que le référé suspension se trouvera « enfermé » dans ledit délai. Toutefois, les dispositions réglementaires à venir devraient rendre systématique la fixation d’un délai de cristallisation des moyens.

Enfin, en disposant que « la condition d’urgence posée à l’article L 521-1 du code de justice administrative est présumée remplie », le 2ème alinéa créé par la réforme tend à faciliter la recevabilité des référés suspension.  En effet, à ce jour, de nombreux référés suspension sont rejetés pour le seul motif de défaut d’urgence.
 
Le juge du référé suspension statue « en l’état de l’instruction » ; en usant de la faculté de fixer un délai de cristallisation des moyens, le juge « cristallise » aussi l’instruction du recours au fond, de sorte que le risque de divergence entre la décision du juge du référé suspension et celle du Tribunal est réduit, ce qui est incontestablement satisfaisant en termes de sécurisation de l’autorisation d’urbanisme. (1)

3) L’annulation partielle avec faculté de régularisation, prévue à l’article L 600-5 se voit étendue aux décisions de non opposition à déclaration préalable, mais surtout, de simple faculté, elle devient une obligation pour le juge – donc même si elle n’est pas demandée par les parties -, sauf à motiver un éventuel refus dans le cas où une telle demande a été formée.

La régularisation peut être ordonnée « même après l’achèvement des travaux ».
Les dispositions de l’article R 600-3 (qui limitent à un an à compter de l'achèvement de la construction ou de l'aménagement le délai d’action en annulation d'un permis de construire ou d'aménager ou d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable), de nature réglementaire, ne semblent pas à ce stade être remises en cause.

4) De même, les dispositions de l’article L 600-5-1 qui encadrent le sursis à statuer pour permettre la régularisation, sont étendues aux décisions de non opposition à déclaration préalable, et, de simple faculté, deviennent une obligation pour le juge, même après achèvement des travaux (sous la réserve ci-dessus énoncée), et un éventuel refus devra être motivé.

5) Un nouvel article L 600-5-2 prend place après le L 600-5-1 et dispose : «Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager initialement délivré ou la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue, et qu’il a été communiqué aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance. »

Les tiers non parties à cette procédure, conserveraient donc la possibilité d’exercer un recours contre le permis modificatif ou la décision modificative. 

6) L’article L 600-6 étend l’action en démolition du préfet même en dehors des zones énumérées à l’article L 480-13 1° (zones protégées).

7) L’article L 600-7 alinéa 1er qui prévoit la possibilité pour le bénéficiaire d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de réclamer des dommages et intérêts en cas de recours « excédant la défense des intérêts légitimes du requérant » et lui causant un préjudice « excessif » est réécrit : l’octroi de dommages et intérêts est conditionné à la mise en œuvre d’un recours  dans des conditions « qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant » et à l’existence d’un préjudice qui n’a plus à être excessif. On revient donc à la notion d’abus de droit, préférable à la formule vague et imprécise de la première écriture, et le préjudice doit simplement exister, sa gravité influera le cas échéant sur le montant alloué, conformément au droit commun de la responsabilité.

Reste que la compétence du juge administratif pour statuer sur une demande qui oppose le plus souvent deux personnes privées n’est toujours pas satisfaisante et devrait alors ressortir à la compétence du juge judiciaire.

Enfin, le deuxième alinéa durcit encore l’appréciation du droit d’agir des associations en limitant aux seules associations de protection de l’environnement agréées au titre de l’article L 141 du code de l’environnement la présomption d’absence d’abus.

8) Le futur article L 600-8 étend aux transactions intervenues en dehors de tout recours la formalité de l’enregistrement prévue pour les transactions passées après l’introduction d’un recours en annulation.

Cette initiative n’est pas forcément heureuse car – à contrainte égale - il sera toujours préférable d’introduire le recours et d’interrompre le délai, pour le cas où en définitive l’accord ne serait pas conclu.

Mais surtout, le texte entend priver les associations – le plus souvent associations à but non lucratif de la loi du 1er juillet 1901 - de la possibilité de demander des dommages et intérêts, alors même les intérêts défendus dans le cadre de leur objet social se trouveraient affectés. (2)

9) L’article L 600-12 aux termes duquel « l'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d'urbanisme, le document d'urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur »  est maintenu sous réserve de l’application de l’article L 600-12-1 créé par la réforme :

« L’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale sont par elles-mêmes sans incidence sur les décisions relatives à l’utilisation du sol ou à l’occupation des sols régies par le présent code délivrées antérieurement à leur prononcé dès lors que ces annulations ou déclarations d’illégalité reposent sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet » (sauf à l’égard des contestations formées par le pétitionnaire lui-même) et de l’article L 442-14 (3).

Cette disposition est satisfaisante compte tenu du fait qu’elle réserve le cas où l’annulation porterait sur les règles d’urbanisme applicables au projet.

10) Enfin, l’article L 600-13 dans sa rédaction actuelle (4) est abandonné et remplacé par les dispositions suivantes : « Les dispositions du présent livre sont applicables aux recours pour excès de pouvoir formés contre les permis de construire qui tiennent lieu d’autorisation au titre d’une autre législation, sauf disposition contraire de cette dernière. »
 
Ces mesures seront vraisemblablement adoptées, sous réserve des dispositions réglementaires qui viendront les compléter et les préciser ; le contentieux des autorisations d’urbanisme subira donc un nouveau recul, confirmant le sentiment que se développe une véritable présomption d’abus dans l’exercice d’un recours contre une autorisation d’urbanisme…

Pourtant, deux points auraient mérité d’être revus dans le cadre d’une réforme soucieuse de sécuriser les autorisations d’urbanisme mais aussi les constructions :

 
  • La restriction imposée par le e) de l’article  L 111-12 (créé par loi 2006-872 du 13/07/06), devenu L 421-9 5° (ord. 2015-1174 du 23/09/15) qui prive du bénéfice de la prescription administrative les constructions réalisées sans permis de construire, depuis plus de dix ans,
  • Le régime de la péremption des autorisations de construire, qui demeure incertain notamment quant à la nature des recours susceptibles de suspendre le délai.  (5
 
 
Les civilistes pourraient de leur côté réfléchir à un mode d’action préventive notamment en matière de troubles excessifs de voisinage liés à la future construction.

Le succès du contentieux des autorisations d’urbanisme a précisément tenu à l’absence d’action de droit privé en amont de la construction, seul le recours à l’encontre de l’autorisation de construire pouvant – certes, de moins en moins – empêcher la réalisation de l’ouvrage.

Or une fois la construction réalisée, le juge civil peut ordonner la démolition de tout ou partie de celle-ci pour tout motif autre que celui tiré du non-respect des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique, dès lors qu’une règle de droit privée a été violée. (6)
 
 
 
Index:
 
(1) Tant le projet « ELAN » pour le seul contentieux de l’urbanisme, que le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 pour la procédure administrative générale, ont prévu que si le juge des référés, rejette une demande de suspension faute de moyens sérieux sur la légalité de la décision contestée, le requérant dispose d’un mois pour confirmer le maintien de sa requête en annulation, faute de quoi il est réputé s’en être désisté. Saisi pour avis, le Conseil d’Etat n’a pas retenu cette mesure, qui est de nature réglementaire, mais pourrait donc être prise par décret.
(2) sauf « pour la défense de leurs intérêts matériels propres »
(3) L 442-14 : « Le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues dans un délai de cinq ans suivants :                                                                      1° La date de la non-opposition à cette déclaration, lorsque le lotissement a fait l'objet d'une déclaration préalable ;            2° L'achèvement des travaux constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, lorsque le lotissement a fait l'objet d'un permis d'aménager.                                                               Toutefois, les dispositions résultant des modifications des documents du lotissement en application des articles L. 442-10, L. 442-11 et L. 442-13 sont opposables », article qui serait complété par l’alinéa suivant : « L’annulation, totale ou partielle, ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale pour un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au lotissement ne fait pas obstacle, pour l’application des alinéas précédents, au maintien de l’application des règles au vu desquelles le permis d’aménager ou la décision de non-opposition ont été pris. »
(4) L600-13 : « La requête introductive d'instance est caduque lorsque, sans motif légitime, le demandeur ne produit pas les pièces nécessaires au jugement de l'affaire dans un délai de trois mois à compter du dépôt de la requête ou dans le délai qui lui a été imparti par le juge.                   La déclaration de caducité peut être rapportée si le demandeur fait connaître au greffe, dans un délai de quinze jours, le motif légitime qu'il n'a pas été en mesure d'invoquer en temps utile. »
(5) voir : « Contentieux de la péremption et péremption du permis de construire » B. Charles-Neveu, Eurojuris France, 11.09.2014
(6) Conseil constitutionnel, 10 novembre 2017, n° 2017-672-QPC, Association Entre Seine et Brotonne et autre, AJDA 2017. 2231


Cet article n'engage que son auteur.

 

Auteur

CHARLES-NEVEU Brigitte
Avocate Honoraire
NEVEU, CHARLES & ASSOCIES
NICE (06)
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