Lorsque la rumeur devient source de responsabilité pour l'institution scolaire

Lorsque la rumeur devient source de responsabilité pour l'institution scolaire

Publié le : 02/04/2010 02 avril avr. 04 2010

La cour de cassasion décide que "le tribunal a exactement retenu que ne saurait être qualifiée de fautive l’absence de révélation aux parents d’une rumeur concernant le comportement de leur enfant, qu’aucun des griefs n’est fondé".

Etablissement scolaire: rumeur sur un élève et obligation d'information des parents1. Un élève du collège privé parisien Fénelon-Sainte Marie est exclu de l’établissement après avoir été filmé, en dehors du collège, en train de fumer un produit stupéfiant. Les parents du jeune Augustin décident alors de saisir le Tribunal d’Instance du 8ème arrondissement de Paris d’une action en responsabilité à l’encontre du directeur du collège et de l’OGEC Fénelon-Sainte Marie, au motif qu’ils n’auraient pas été tenus informés d’une rumeur qui circulait depuis plusieurs mois dans l’établissement et selon laquelle leur fils savait comment se procurer des produits stupéfiants, de sorte qu’ils auraient empêchés de prendre les mesures de surveillance et d’éducation nécessaires pour mettre un terme à ses agissements.

Au soutien de leur procédure, les parents de l’élève égaré entendaient se prévaloir du règlement du collège, emportant obligation pour les éducateurs de prévenir les risques de manquements des élèves, des dispositions de l’article 1147 du Code civil, ainsi que des articles L 111-2 et L 111-4 du Code de l’éducation.

Ils demandaient alors la condamnation solidaire du directeur de l’établissement et de l’OGEC Fénelon-Sainte Marie au paiement d’une somme de un euro à titre de dommages intérêts en réparation de leur préjudice moral.

Ayant été déboutés de leur demande au motif qu’il n’était pas établi de faute, dès lors que les faits avaient été commis en dehors du collège, les parents ont formé un pourvoi en cassation à l’encontre de l’OGEC Fénelon-Sainte Marie, en soutenant pour l’essentiel que la mission éducative de l’établissement scolaire et de son personnel leur imposait de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’épanouissement de l’enfant, y compris lorsque les évènements dont ils ont connaissance, et qui sont de nature à le compromettre, se réalisent en dehors de l’enceinte de l’établissement scolaire.

Pour sa part, l’OGEC Fénelon-Sainte Marie était amené à répondre que si l’enfant doit, aux termes du règlement du collège, se comporter correctement même à l’extérieur de l’établissement où il se présente, l’obligation de surveillance pour l’équipe éducative ne s’exerce sauf exception que dans l’enceinte de l’établissement et cesse dès que l’élève en sort, de sorte qu’aucune faute n’était susceptible de lui être reprochée.

Le pourvoi a été rejeté par un arrêt de la 1ère Chambre civile de la Cour de Cassation en date du 25 février 2010 (n° de pourvoi : 09-12773).

Les motifs de cet arrêt, qui est destiné à être publié au bulletin de la Cour de Cassation, méritent une attention toute particulière à raison des conséquences qui peuvent en découler pour les établissements d’enseignement et les associations gestionnaires :

« Mais attendu que le tribunal a exactement retenu que ne saurait être qualifiée de fautive l’absence de révélation aux parents d’une rumeur concernant le comportement de leur enfant, qu’aucun des griefs n’est fondé ».

La décision, salutaire à première lecture, peut toutefois laisser la place à une analyse beaucoup moins favorable aux directeurs d’établissements et à leurs organismes de gestion.


2. Il convient en effet de rappeler que l’article L 111-4 du Code de l’éducation définit le cadre général de l’intégration des parents d’élèves à la vie scolaire et précise qu’étant membres de la communauté éducative - laquelle rassemble les élèves et tous ceux qui, dans l’établissement scolaire ou en relation avec lui, participent à la formation des élèves - ils doivent pouvoir entretenir des relations permanentes avec les enseignants et les autres personnels des écoles et des établissements du second degré, afin notamment de garantir leur droit à l’information.

La circulaire n° 2001-078 du 3 mai 2001, relative à l’intervention des associations de parents d’élèves dans les établissements scolaires, précise très clairement que la régularité et la qualité des relations construites par les personnels de direction, d’éducation et d’enseignement avec les parents d’élèves constituent un élément déterminant dans l’accomplissement de la mission confiée au service public de l’éducation.

L’article D 111.3 du décret n° 2006-935 du 28 juillet 2006, relatif aux parents d’élèves, aux associations de parents d’élèves et aux représentants des parents d’élèves, ainsi que la circulaire n° 2006-137 du 25 août 2006 relative au rôle et à la place des parents à l’école, ne manquent pas de rappeler que les parents doivent être tenus régulièrement informés des résultats et du comportement scolaires de leurs enfants.

L’information délivrée aux parents d’élèves est encore garantie par les dispositions du décret n° 2004-162 du 19 février 2004, dont il résulte notamment en son article 6 que toute absence anormale de l’établissement doit être signalée aux personnes responsables de l’enfant, qui doivent alors sans délai en faire connaître les motifs.

La surveillance de l’élève doit donc être effective et les parents doivent être informés des éventuels manquements aux règles de vie qui viendraient à être constatés par la direction de l’établissement ou les membres de l’organisme de gestion à qui il peut en être rendu compte.

Mais jusqu’alors, le devoir d’information aux parents ne pouvait à priori s’entendre qu’au regard du comportement des élèves au sein de l’établissement, puisqu’ayant quitté son enceinte, ils se voyaient de nouveau placé sous la responsabilité exclusive et la garde juridique de leurs parents.

C’est d’ailleurs ce qui était soutenu en défense par l’OGEC Fénelon-Sainte Marie, en ce sens que l’obligation de surveillance ne pouvait s’exercer, sauf exception, que dans l’enceinte de l’établissement.

Et c’est précisément le motif qui avait été retenu par la juridiction d’instance pour débouter les parents de leurs prétentions indemnitaires, le jugement indiquant explicitement qu’une mise hors de cause devait s’imposer dès lors que les faits avaient été commis en dehors de l’établissement scolaire.

Tel n’est manifestement pas le sens de l’arrêt rendu le 25 février 2010 qui, ne reprenant pas la motivation initiale, considère que la mise hors de cause de l’organisme de gestion doit être confirmée dès lors que ne peut-être qualifiée de fautive l’absence de révélation aux parents d’une rumeur concernant le comportement de l’enfant.

Il s’en déduit que dans le cadre de leur obligation d’information et plus généralement des obligations qui découlent des articles L 111-2 et L 111-4 du Code de l’éducation, les responsables d’établissement et les organismes de gestion se doivent d’informer les parents des écarts de comportement des élèves qui sont portés à leur connaissance et établis dans leur matérialité, y compris s’il s’agit de faits commis à l’extérieur de l’établissement et en dehors du temps de scolarité.

Cette situation ne saurait apparaitre choquante, tant il est vrai que le devoir de protéger l’enfant doit prévaloir en toutes circonstances, si tant est qu’il ne soit pas porté illégitimement atteinte au respect du droit à l’intimité de la vie privée.

Et c’est sur ce point que la décision rendue peut inquiéter, en ce sens qu’elle n’écarte la faute qu’à raison du fait que l’information non délivrée ne concernait qu’une rumeur relative au comportement de l’enfant à l’extérieur de l’établissement, ce dont il résulte que si l’information avait dépassé le stade de la simple rumeur, sans pour autant avoir pu être vérifiée, elle aurait du être nécessairement délivrée aux parents.

A défaut, les conditions de la mise en cause de la responsabilité contractuelle de l’OGEC Fénelon-Sainte Marie auraient été constituées.

Il appartient donc aux directeurs d’établissement et aux organismes de gestion de faire la part des choses entre une simple rumeur dont la divulgation ne saurait s’imposer, au risque d’ailleurs de porter atteinte au droit au respect de la vie privée de l’élève, et la rumeur « suffisamment établie », sans pour autant être nécessairement vérifiée et vérifiable, dont la divulgation aux parents doit alors s’imposer sous peine de s’exposer aux fourches caudines de l’institution judiciaire, tant civiles que pénales, selon les circonstances.

Il n’est pas certain que les directeurs d’établissement et les membres des OGEC, qui sont tous des bénévoles, parents d’élèves par ailleurs, puissent se satisfaire d’avoir à procéder à une analyse aussi subjective qui s’avère peu compatible avec les situations auxquelles ils se trouvent quotidiennement confrontés …





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © Paylessimages - Fotolia.com

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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