La fusion des professions d'avocat et d'avoué: point de vue d'un avoué

Publié le : 30/06/2009 30 juin juin 06 2009

Le projet de loi de fusion des professions d'avoué et d'avocats concerne les avoués et leurs salariés très directement d’une part, mais les avocats, leurs ordres, et les magistrats et greffiers plus ou moins directement tout autant.

La suppression des avoués près la Cour d'AppelAnnoncée brutalement le 8 juin 2008, cette mesure qui peut paraître insignifiante à celui qui ne côtoie pas l’institution judiciaire, était attendue ou espérée par quelques avocats envieux, redoutée par les avoués, leur personnel, les greffiers et les magistrats de cour d’appel.

Envisagée à de nombreuses reprises, Monsieur Attali avait fait l’honneur aux avoués de considérer que leur suppression permettrait de relancer la croissance de l’économie, Monsieur Coppé avait été plus réaliste et circonspect sur les conséquences de cette réforme, Monsieur Darrois avait suivi l’annonce sans plus tenter de la justifier.

Il aura fallu attendre le 3 juin 2009, un an, pour que le projet de loi de 34 articles à peine puisse parvenir au conseil des ministres. C’est dire le degré d’impréparation de cette mesure.

Le moins que l’on puisse constater c’est que le projet de loi portant suppression des avoués près les cours d’appel aura été annoncé aussi brutalement que d’autres réformes de la justice depuis deux ans, qu’il aura été aussi peu négocié, avec de la part du ministère de regrettables fourberies , ce qui aura permis de créer un mécontentement quasi général.

La note, claire et signifiante, de Me Provansal sur le site Eurojuris l’illustre pour les avocats.

Il n’est pas difficile pour l’avoué de considérer les éléments techniques incomplets et inadaptés de ce projet (I) pour constater que cette réforme si elle est maintenue en l’état sera forcément ratée et dangereuse (II).


I- Les éléments techniques de la loi incomplets et inadaptés :

Le projet de loi de « fusion » des professions d’avoué et d’avocat est encadré par un exposé des motifs et une étude d’impact dont chacun des arguments est plus fallacieux que le précédent. Tour à tour est invoqué l’épouvantail de la transposition de directive européenne, la diminution du coût de la justice, ou la simplification de la procédure d’appel.

Ce projet concerne les avoués et leurs salariés très directement d’une part (A), mais les avocats, leurs ordres, et les magistrats et greffiers plus ou moins directement tout autant (B).

A) Les avoués et leurs salariés sacrifiés ou massacrés?

On ne reviendra pas sur les méthodes d’annonce, manœuvres et autre démonstration d’impéritie.

Les avoués prés la cour d’appel sont supprimés (art 2) et le titre du projet portant fusion des professions est donc contraire à la loi de 1971 que le projet complète. On mesure dés lors qu’il y a plus qu’une ambiguïté.

Pour confirmation le tarif de postulation devant la cour d’appel est supprimé (art 5), ce qui concernera plus directement les avocats et justiciables, nous y reviendrons.

L’ensemble du régime de prévoyance retraite des avoués prés la cour d’appel qui dépendait de la CAVOM est transféré à la CNBF, sans aucune mesure d’accompagnement ou de garantie, ce qui créera tensions et conflits ou perte de droits, le gouvernement se réservant le droit de fixer par décret le montant de la soulte due par la CAVOM (art 8). Quant aux salariés, on sait déjà que la CREPA aura du mal à survivre à la disparition des avoués.

Le sort des salariés des avoués qui pourraient survivre à cette suppression, estimé au mieux à 10% des 2000 actuels, est réglé sur le plan de la convention collective applicable de façon floue voir contradictoire par une simple modification des article 46 de la loi de 1971 (art 9 et 10).

L’indemnisation des avoués, est envisagée dans le chapitre 2, à hauteur de 66 % d’une évaluation inventée par le ministère sur des critères totalement différents des cessions auxquelles il a donné son agrément (art 13).

Il s’agit d’un expropriation forcée. Qui accepterait de voir sa maison expropriée pour les 2/3 de sa valeur, l’état indiquant au surplus que la valeur d’achat (qu’il aurait lui-même vérifiée et agréée) était trop élevée et qu’il y aurait déjà lieu de considérer une valeur de base minorée de 40 % en moyenne ? Le seul mot juste est ici celui de spoliation. Les députés et sénateurs auront-ils le sens de l’équité et l’indépendance propres à éviter des recours devant toutes les juridictions Françaises et européennes ?

Il convient de souligner qu’il ne s’agit que de la valeur de la charge d’avoué, sans aucune considération du préjudice professionnel et autre préjudice de liquidation qui sont purement et simplement passés sous silence à ce stade.

Le critère serait pourtant simple pour éviter tout litige : actualiser pour chaque avoué la valeur de ses parts sur les derniers chiffres connus au jour de la loi, avec le mode de calcul pratiqué dans son office lors de la dernière cession. Trop équitable, trop facile à gérer ?

Pour les salariés, il faut souligner ici l’impéritie de l’état qui est inquiet ou scandalisé quand Michelin supprime 1000 emplois avec des précautions sociales remarquables, ou lorsque Continental envisage un plan social avec une indemnité de départ de 50.000 €, mais qui ne fait absolument rien pour les 2000 emplois qu’il supprime du jour au lendemain, sans aucun motif économique. Les responsables politiques qui parlent de « patrons voyous » devraient regarder la poutre de leur œil…les grèves du personnel et peut-être quelque remords ont seulement permis d’obtenir un doublement des indemnités de licenciement, avantage plafonné à 25 ans d’ancienneté pour saluer la fidélité des employés (art 14 ).

Les indemnités ne seront que remboursées par l’état, qui peine à assumer ses responsabilités et ne sait pas pré financer les « investissements » qu’il initie (art15 à 18).

La France manquant de commissions, fonds ou autre « machin » il est créé une commission nationale d’indemnisation (art 16), et un fonds d’indemnisation, uniquement avec des membres éminents qui règleront toutes les demandes concernant les avoués ou leur personnel. La France manquant de décrets, il faudra en attendre un pour organiser la commission, le conseil de gestion du fonds (art 20).

Des passerelles vers les professions judiciaires cousines sont organisées, après que soit refermée une porte un instant envisagée vers la magistrature (art 21 à 23).

L’immense cadeau, qui est en réalité, tel qu’il est formulé, un piège pour tout le milieu judiciaire réside dans « l’offre » d’une période transitoire de un an (art 24 et 34) durant laquelle les avoués seraient « simultanément » avocat et avoué. Période magique, rejetée par les avocats au nom d’une distorsion de la concurrence, qui permettrait aux avoués travaillant le jour dans leur étude, de démarcher la nuit les clients des avocats qui leur adressent 98 % de leurs clients. Voilà réellement une mesure qui ne peut germer que dans un bureau de ministère.

Les conséquences de ce projet pourraient aussi atteindre le reste du corps judiciaire.


B) Avocats, magistrats, greffiers, vers une révolution?

La postulation, qui ne serait supprimée selon le vœu de Me Darrois que fin 2014, est sérieusement remaniée. Tout avocat pourra postuler devant le TGI auprès duquel il est inscrit, et devant la cour d’appel dont dépend le TGI (art 1 à 5). L’un des motifs de la loi envisagée est la simplification pour le justiciable qui n’aurait plus recours qu’à un professionnel.

Ceci ne sera exact que si l’avocat, devant le TGI ou la Cour d’appel, est inscrit dans le ressort du TGI ou de la Cour. La simplification sera en réalité très rare. Elle est même juridiquement inexistante car à ce jour seul l’avoué à la cour représentant la partie est obligatoire. Il semble donc que le législateur reproche aux avoués de ne pas avoir évincés les avocats devant la cour d’appel : un comble !

Cette modification s’accompagne de la création d’un super bâtonnier de cour (art 6 et7), non élu car coopté par ses pairs, préfigurant l’ordre national ardemment désiré par certains avocats parisiens. Il aura pour fonction notamment de régler les questions de postulation et de communication électronique (art 7).

Voilà bien le nouveau cheval de bataille de la chancellerie, justification ultime de la réforme, cheval de Troie de la suppression de la postulation.
Rationalisez, déshumanisez, il en restera toujours quelque chose. Envisager la procédure électronique pour pallier à cet obstacle est un pis aller. En imaginant que tous les avocats se dotent des outils informatiques (annoncés environ à 10.000€ pour un petit cabinet), qu’ils acquièrent la compétence humaine et technique nécessaire, ce ne pourrait être qu’en vue d’une procédure automatisée : la négation même de la postulation. Lorsque l’on sait que le chiffre d’affaire des avoués réparti entre les avocats, sur la base d’un tarif qui disparaît, aurait permis un gain par avocat de 300€, on peut se demander qui va profiter de cette évolution ?

A défaut ils auront recours à un confrère, spécialisé de fait, soumis à un honoraire libre, le tarif de postulation devant la cour d’appel étant supprimé par le projet (art 5). Cette libéralisation du coût de la postulation devant la Cour va inévitablement amener une augmentation du coût moyen, et une marginalisation de l’aide juridictionnelle (les avoués peuvent sur une masse de contentieux important gérer sans discrimination de rentabilité un contentieux, dont le coût est mutualisé par l’effet de masse. Demain une part importante des procès en appel sera sacrifiée sur l’autel de la rentabilité).

On comprend dés lors que l’interrogation de fond porte bien sur l’enjeu d’une telle réforme.



II- Une réforme ratée et / ou dangereuse?

On ne peut affirmer que cette réforme correspond à un plan d’ensemble plus vaste et plus profond de « réforme » de la Justice. Sans plan elle sera simplement ratée (A). Si le plan se révèle elle serait plus que dangereuse (B).

A) Réforme ratée car non préparée?

La suppression des avoués prés la cour d’appel a été envisagée bien avant 1971. Depuis à plusieurs reprises elle est réapparue, toujours sous la pression d’avocats, notamment en 1991.

Loin des démagogies de mode, les avocats responsables, tous barreaux confondus, ayant une vision cohérente de leur fonction, admettent tous que la fusion de 1991 a été une catastrophe : perte d’identité, perte d’âme, perte de crédibilité…

Mais aucune leçon n’en a manifestement été tirée par la profession. Incapables de protéger un périmètre du droit clairement identifié par la loi, ils « foncent tête baissée » dés qu’ils repèrent un professionnel ayant une activité cousine ou juridique annexe. On a vu les conseils en propriété industrielle, les agents immobiliers pour l’instant épargnés. On a craint pour les Notaires. On voit poindre les experts comptables et les juristes d’entreprise. Les généalogistes ne sont pas loin de l’œil du cyclone. Quand on sait que les concierges et les coiffeurs prodiguent quotidiennement d’excellents conseils, on imagine les passerelles à venir et les fusions futures.

Les enjeux sont lourds pour le fonctionnement des cours d’appel, et le seul remède proposé est la procédure électronique. Or, à ce jour, seuls les avoués communiquent dans le monde judiciaire civil avec les juridictions par envoi de fichier structurés. Pour les avocats c’est un univers nouveau et non préparé. On imagine sans peine qu’une telle mutation doit être testée et éprouvée.


B) Dangereuse si elle attaque la justice en ses fondements?

Cette fusion n’est elle pas en réalité un petit verrou que le pouvoir exécutif fait sauter dans un schéma beaucoup plus vaste, dont les avocats et les magistrats les plus clairvoyants commencent à peine à prendre conscience : la marginalisation, voir l’effacement du pouvoir judiciaire ?

L’Avoué, devant la cour d’appel, représente la partie, accomplit sous sa responsabilité tous les actes de procédure et travaille de concert avec l’avocat. Il est le copilote du procès, un spécialiste de la procédure et un généraliste du droit. Sa proximité quotidienne du juge fait de lui un contre pouvoir nécessaire au sein du pouvoir judiciaire. Une comparaison juste avec le monde médical permettrait de dire que cette suppression ferait du médecin de campagne du jour au lendemain un chirurgien cardiaque… chacun comprendra la difficulté.

Les avoués passeront avant le juge d’instruction, suivant l’avènement du juge unique ou rapporteur et l’abandon progressif de la plaidoirie. Viendra le dépôt de dossier électronique, aggravant une déjudiciarisation rampante. Les commissions administratives remplacent partout le juge. Notre Société peut elle se passer de Justice ?

D’autre part et de façon aussi grave pour les valeurs fondatrices de notre pays, on constate que d’une profession à rémunération tarifée, gage d’égalité entre le petit et les puissants, nous allons passer à une justice davantage soumise à la loi du marché… et des marchands. La Justice marchandise… ? Est-il utile d’exposer les dangers d’un tel système ?

****

Les rapports des commissions Copé et Azibert sont des pistes sur lesquelles le ministère n’a pas souhaité réfléchir à cette heure car elles ne correspondaient pas aux diktat du lobby ayant manigancé le projet. Leurs réflexions sont pourtant raisonnables et raisonnées car elles tiennent compte des obstacles techniques, humains, financiers et juridiques d’un tel changement. Elles constituent à ce jour la seule véritable étude d’impact objective.

Les considérer et continuer, sur leurs bases, d’investiguer pour trouver une solution adaptée dans le temps aux fonctions de chacun, aux ambitions de servir la justice, serait tout simplement décider de gouverner.

Ce que l’on peut espérer avec le changement de ministre de la Justice c’est la fin du mépris et de la peur des auxiliaires de justice, qui sont tous, chacun à leur façon, de grands serviteurs de l’Etat dans son attribut le plus noble.

Seule la peur et l’incompétence peuvent les faire percevoir aux yeux de certains comme des « hommes d’affaires ». La nouvelle Garde des sceaux a montré dans d’autres fonctions qu’elle respectait ses interlocuteurs et leurs intentions. Il ne sera que temps pour les avoués, pour la justice, et pour la France.


Christian BOYER





Cet article n'engage que son auteur.

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