Adoption définitive de la loi « HADOPI »

Publié le : 03/06/2009 03 juin juin 06 2009

Le 13 mai 2009, le Sénat a définitivement adopté le projet de loi HADOPI. Le texte prévoit une Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI), ayant le statut d’Autorité Administrative Indépendante (AAI).

La loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internetLe 13 mai 2009, le Sénat a définitivement adopté le projet de loi HADOPI dont on rappelle, dans un premier temps, brièvement l’objet.

Le texte prévoit une Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI) ayant le statut d’Autorité Administrative Indépendante (AAI) et la personnalité morale.
Cette haute autorité sera composée d'un collège et d'une commission de protection des droits et pourra notamment prononcer des sanctions à l’encontre des internautes contrefacteurs selon un mode de riposte « graduée » :

- Un premier courriel est envoyé à l’internaute l’avertissant ;
- S’il continue à télécharger illégalement, il reçoit un nouveau courriel accompagné d’une lettre recommandée ;
- S’il persiste la commission de protection des droits pourra prononcer différentes sanctions à l’égard de l’internaute telles que la suspension de l’accès à internet pour une durée allant de 2 mois à 1 an assortie de l’impossibilité pour l’abonné de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur l’accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur.

L’adoption de ce texte n’a pas été chose aisée (1) et sa mise en œuvre pose au moins trois séries de questions.

1) Tout d’abord, la question de la constitutionnalité de la loi est posée de facto depuis le 19 mai 2009, date à laquelle le groupe socialiste a saisi le Conseil Constitutionnel sur 11 aspects de la loi que les députés considèrent comme contraires à la constitution.

Le conseil constitutionnel devra rendre sa décision au plus tard le vendredi 19 juin 2009 en se prononçant notamment sur des questions telles que l’existence d’une sanction manifestement disproportionnée que constitue la suspension de l'accès à Internet et la double sanction résultant de l'obligation pour l'abonné dont l'accès à Internet a été suspendu de continuer à payer le prix de son abonnement.


2) Ensuite, il est permis de s’interroger sur la conformité de la loi HADOPI au droit communautaire.

Rappelons la résistance du Parlement européen et le fameux amendement n°138 « paquet télécom » prévoyant que toute restriction aux droits et aux libertés des internautes ne peut intervenir que sur décision judiciaire et non à l’initiative d’une autorité administrative, à l'instar de celle prévue dans le projet de loi français.

D’abord exclu du « paquet télécom » en première lecture par le conseil de l’Union européenne, l’amendement 138 a finalement été adopté le 6 mai 2009 par le Parlement européen.

Ayant déjà une certaine résonnance, le débat de la conformité de la loi au droit communautaire mérite néanmoins quelques précisions.

La jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a précisé que les AAI remplissent les exigences de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme (procès équitable) lorsqu’elles présentent un certain nombre de garanties. La Cour européenne des droits de l'homme a en effet précisé qu'existe l'alternative suivante : “ou bien lesdites juridictions remplissent elles-mêmes les exigences de l'article 6 § 1, ou bien elles n'y répondent pas mais subissent le contrôle ultérieur d'un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article” (CEDH, 10 févr. 1983, Albert et Le Compte c/ Belgique, § 29)

Or, l’article 5 du projet de loi dispose que les sanctions prises à l’égard des internautes « peuvent faire l’objet d’un recours en annulation ou en réformation par les parties en cause devant les juridictions judiciaires, formé dans un délai de trente jours francs suivant leur notification à l’abonné. », parallèlement elle prévoit que « un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions dans lesquelles les sanctions peuvent faire l’objet d’un sursis à exécution. »

La loi présente donc certaines garanties : la possibilité d’un recours devant des juridictions judiciaires répond aux exigences de la CEDH.


3) Enfin et au-delà des considérations juridiques il est également intéressant de s’interroger sur les perspectives techniques de mise en œuvre de ce texte.

En effet, certaines dispositions de la loi HADOPI (2) sont déjà obsolètes ou simplement inapplicables.

- L’adresse IP d’un abonné, seul élément d’identification pris en compte par la loi, peut être cryptée ou masquée.

L’adresse IP est le seul élément de « traçage » des internautes sur un site d’échange « peer to peer ».
Or, il existe des techniques de cryptologie dont l’utilisation auparavant réservée à des informaticiens avertis devient de plus en plus simple. Grâce à ces nouveaux « outils » relativement accessibles et pour certains gratuits, il est prévisible que les internautes qui souhaitent continuer à télécharger des fichiers en fraude à la loi continueront à le faire.

- L’adresse IP d’un abonné, seul élément d’identification pris en compte par la loi, peut être détournée.

La loi prévoit qu’un décret définit les conditions dans lesquelles peuvent être utilement produits par l’abonné, à chaque stade de la procédure, tous éléments de nature à établir qu’un tiers a frauduleusement utilisé l’accès au service de communication au public en ligne.
Or cette preuve est extrêmement difficile voire impossible à rapporter. En effet, l’utilisation de plus en plus répandue de l’internet « sans fil » (wifi) permet à des tiers d’utiliser l’adresse IP d’un internaute à partir du simple accès au réseau sans utiliser son ordinateur. En cas de téléchargement, c’est le titulaire de l’adresse IP qui sera mis en cause et non celui qui aura utilisé frauduleusement cette connexion pour télécharger.
Etablir la preuve de tels agissements a posteriori est quasi impossible techniquement et le principe de mouchard attentatoire à la présomption d’innocence…

Au-delà des failles techniques portant sur l’identification de l’abonné, la loi a prévu que la Haute Autorité puisse faire injonction à l’abonné contrefaisant de prendre dans un délai qu’elle détermine des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté, notamment un moyen de sécurisation (un logiciel à installer sur son ordinateur). La haute autorité établit une liste labellisant les moyens de sécurisation dont la mise en œuvre exonère valablement le titulaire de l’accès de sa responsabilité.
Or, installé sur l’ordinateur de l’abonné, ce moyen de sécurisation sera parfaitement inefficace dans le cadre d’une utilisation de l’internet « sans fil » pour les raisons évoquées plus haut : des tiers pourront toujours détourner l’adresse IP de l’abonné à partir du réseau.

En bref, les internautes les plus avertis n’auront aucun mal à contourner les dispositifs de surveillance. En revanche, les internautes « ordinaires » seront placés dans une situation d’insécurité juridique et de vulnérabilité technique.

Une fois le dernier rempart du Conseil Constitutionnel franchi, restera à savoir si la loi remplira son objectif principal, à savoir la limitation du nombre de téléchargements illégaux et ce, malgré les obstacles tant juridiques que techniques ci-dessus exposés.

Index:
(1) On se souvient du « spectaculaire » rejet du projet de loi le 9 avril dernier par les députés en commission mixte paritaire alors même qu’il avait été adopté un peu plus tôt par le Sénat.
(2) Le présent article n’en présente pas une liste exhaustive




Cet article n'engage que son auteur.

Auteurs

BIDAUT Tiphaine
HERPE François
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
PARIS (75)
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