Versement prime par erreur

Récupérer ou supprimer une prime versée par erreur depuis des années à son salarié, est-ce sans risque ?

Publié le : 29/03/2024 29 mars mars 03 2024

Lorsque l’employeur a payé par erreur, les règles de droit commun du paiement de l’indu, visées aux articles 1302 à 1302-3 du Code civil, s’appliquent et le salarié ne saurait, en principe, se soustraire à l’obligation de restituer la somme indument perçue. 
Ces articles disposent, notamment, que ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution, d’une part, et que celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu, d’autre part. 

A l’aune de ces principes, la chambre sociale de la Cour de cassation a pu considérer que n’était pas une condition de mise en œuvre de l’action en répétition de l’indu, la constatation de l’erreur (Cass. Soc. 14 octobre 1993 n°89-21.886), ni même la preuve d’une absence de faute (Cass. Soc. 8 novembre 2023 n°22-10.384) de la part de l’employeur. 

En conclusion, pèse uniquement sur l’employeur la charge de prouver que ce qu’il a payé n’était pas dû. 

Certains salariés ont, néanmoins, tenté de faire valoir que le versement, même de sommes indues, à plus forte raison lorsqu’il est répété dans le temps et sur une longue période, serait constitutif d’un droit acquis ou d’un usage. 

A plusieurs reprises, la Cour de cassation a rappelé que la répétition d’une erreur ne crée pas de droit acquis au profit d’un salarié, pour la raison que seule la volonté non équivoque de l’employeur, que ne permet pas de caractériser l’erreur, pourrait engager ce dernier.  

A titre d’illustration, les juges suprêmes ont considéré que n’était pas constitutif d’un droit acquis, ou même d’un usage, le versement mensuel, durant plusieurs années, d’une prime de rendement calculée sur une base plus large que celle conventionnellement décidée, en raison d’une erreur commise par les services comptables de l’entreprise (Cass. Soc. 10 mai 1979, nº 78-40.296). 

Il en va de même lorsque l’employeur commet une erreur de calcul pour déterminer les rémunérations à verser aux salariés en arrêt de travail durant la période ouvrant droit à un maintien de salaire (Cass. Soc. 22 mars 1982, n°80-40.445).

Dans ces conditions, la Cour de cassation avait estimé, dans un arrêt du 19 novembre 1987 (n°85-44.274) que l’employeur était en droit de supprimer le versement d’indemnités de paniers dues conventionnellement aux seuls ouvriers à des salariés ETAM, qui les avaient perçues pendant plus de deux ans.  

Dans l’arrêt du 13 décembre 2023 (n°21-25.501) qui nous intéresse, un employeur avait supprimé, en décembre 2016, le versement de primes d’équipe et de casse-croûte à un salarié qui les percevait depuis février 2009. 

Ces primes réservées par l’accord d’entreprise aux salariés travaillant en équipe avaient été versées, par erreur, à ce salarié qui pourtant n’avait jamais travaillé de nuit. Cette situation résultait vraisemblablement d’une erreur du système de paramétrage du logiciel de paie.  

Le salarié avait alors saisi le juge des référés aux fins qu’il ordonne à l’employeur de reprendre sous astreinte le paiement de ces primes. Par un arrêt du 15 novembre 2018, la Cour d’appel de Paris avait alors ordonné la reprise du paiement au motif que le versement de ces primes avait acquis le caractère d'usage à l'égard du salarié. 

L’employeur avait formé un pourvoi devant la Cour de cassation qui a cassé et annulé l’arrêt d’appel au motif que le caractère de généralité du versement des primes litigieuses n’était pas démontré, ne permettant pas de reconnaître, en l’état, un quelconque usage. 

Devant la Cour d’appel de Paris, statuant en matière de référé sur renvoi, le salarié avait manifestement modifié son argumentaire qui reposait désormais sur le caractère contractuel des primes litigieuses. 

Convaincus, les juges d’appel, par un arrêt du 28 octobre 2021, avaient retenu que le versement de ces primes de façon continue pendant sept ans ne saurait constituer une erreur de la part de la société et que ce versement était devenu une part de la rémunération du salarié, dont la modification était subordonnée à son accord préalable. De ce fait, ils ont estimé que l’employeur ne pouvait, ni cesser de payer ces primes, ni en obtenir la répétition. 

L’employeur s’est, une deuxième fois, pourvu en cassation, faisant valoir que l’erreur n’étant jamais créatrice, le paiement, même répété, d’une prime indue par erreur ne pouvait transformer cette prime en un avantage contractuel. En outre, l’erreur faisait obstacle à la caractérisation de toute volonté commune des parties, qui seule aurait pu permettre de conférer un caractère contractuel à une prime indûment versée. 

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur au motif que « l’employeur avait pendant plus de sept années versé de façon continue au salarié des primes d’équipe et de casse-croûte, auxquelles celui-ci, faute de travailler en équipe, ne pouvait prétendre » de sorte que la Cour d’appel avait ainsi fait ressortir leur contractualisation, qui permettait par là-même d’écarter l’existence d’une quelconque erreur dans le paiement de ces primes.  

Il est vrai qu’en principe, qui dit contractualisation dit écrit, qui prendra, le plus souvent, la forme d’une clause du contrat de travail. 

Un élément peut néanmoins être contractualisé par d’autres formes qu’une clause du contrat, et notamment lorsque l’employeur a maintenu le bénéfice de prime au-delà de la période initialement convenue et a sollicité l’accord des salariés pour la remise en cause de cet avantage, confirmant alors son caractère contractuel (Cass. Soc. 5 octobre 1999, n°97-45.733). 

L’arrêt du 13 décembre 2023 (Cass. Soc., 13 décembre 2023, n°21-25.501) donne une nouvelle illustration d’une situation de contractualisation qui semble ainsi marquer une inflexion de jurisprudence. 

Il est désormais possible de considérer que le versement d’une prime indue, qui initialement était la résultante d’une erreur, mais se répète dans le temps sur une période significative (en l’espèce pendant plus de sept ans), n’est pas exclusif d’une volonté de contractualiser.

En effet, l’erreur de l’employeur avait conduit, de fait, à faire bénéficier le salarié d’un avantage dont la répétition dans la perception en avait modifié la nature juridique pour en faire un élément contractuel.


Cet article a été rédigé par Léa BAULARD, avocate à Paris.
Il n'engage que son auteur.

Auteur

Léa BAULARD

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