Procédure passation marché public

Conditions d’application de l’article L.3123-8 du Code de la commande publique relatif à l’exclusion des candidats ayant entrepris d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation

Publié le : 02/04/2024 02 avril avr. 04 2024

En juin 2021, le Syndicat des Eaux d'Île-de-France (SEDIF) a lancé une procédure de mise en concurrence pour l’attribution d'une délégation de service public portant sur la gestion du service d’eau potable.  
À l’issue d’une première phase de sélection des candidatures, les sociétés Suez Eau France et Véolia ont été admises à participer à la phase de négociations.

Au cours des négociations, la survenance d’un dysfonctionnement de la plateforme de dématérialisation utilisée par le syndicat a eu pour effet de révéler à la société Véolia des données confidentielles relatives à l’offre de la société Suez.

Après en avoir été informé par la société Véolia, le syndicat a estimé que cette circonstance faisait obstacle à la poursuite des négociations, et a notifié aux sociétés candidates sa décision d’attribuer le contrat sur la base des offres intermédiaires remises avant l’intervention du dysfonctionnement informatique et de renoncer ainsi à solliciter la remise des offres finales. 

Sans attendre la décision d’attribution du contrat, la société Suez a engagé un référé précontractuel sur le fondement de l’article L.551-1 du Code de justice administrative afin de contester la régularité de la procédure

Sa requête ayant été rejetée par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 29 novembre 2023, la société Suez a formé un pourvoi devant le Conseil d’État. 

Dans l’arrêt commenté, en date du 2 février 2024 (n° 489820, Leb.), le Conseil d‘État rejette le pourvoi. 

L’intérêt principal de cet arrêt concerne les conditions d’application de l’article L.3123-8 du Code de la commande publique, en ce qu’il prévoit l’exclusion des candidats ayant entrepris d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation.

L’ensemble des moyens examinés par le Conseil d’État dans le cadre du pourvoi seront néanmoins analysés ci-après. 


En premier lieu, la société Suez invoquait un moyen tiré de la méconnaissance, par le juge des référés, des règles régissant son office en matière de référé précontractuel. 

Pour mémoire, les dispositions applicables en matière de référé précontractuel diffèrent selon la qualité de l’autorité contractante : 

- lorsque celle-ci a la qualité de pouvoir adjudicateur, le recours est régi par les articles L.551-1 à L.551-4 du Code de justice administrative, lesquels confèrent au juge des pouvoirs d’injonction, de suspension et d’annulation ;

- en revanche, lorsqu’elle a la qualité d’entité adjudicatrice, le recours est régi par les articles L.551-5 à L.551-9 du même code, qui limitent les pouvoirs du juge à l’injonction et à la suspension.

Dans le cas présent, la société Suez reprochait au juge des référés d’avoir considéré que le syndicat agissait en qualité d’entité adjudicatrice et, subséquemment, d’avoir fondé son ordonnance sur les articles L.551-5 à L.551-9.

Le Conseil d’État abonde dans le sens du pourvoi en retenant que le syndicat a « la qualité de pouvoir adjudicateur lorsqu'il confie à un tiers l'exploitation du réseau d'eau dont il a la charge », et que le juge des référés devait donc se fonder sur les articles L.551-1 à L.551-4.

Il réitère ainsi une solution issue d’un arrêt Syndicat entreprise générale de France-Bâtiment Travaux Publics du 9 juillet 2007 (n° 297711, Leb.), dans lequel il avait déjà jugé que l’autorité contractante qui confie à un tiers l’exploitation d’un réseau dont elle a la charge ne peut être regardée comme exerçant une activité d’opérateur de réseau, et donc comme agissant en qualité d’entité adjudicatrice. 

Le Conseil d’État écarte toutefois le moyen invoqué par la société Suez au motif que l’erreur de qualification commise par le juge des référés n’avait eu aucune conséquence, ni sur le dispositif de l’ordonnance, ni sur les motifs en constituant le soutien nécessaire. 


En deuxième lieu, la société Suez critiquait l’ordonnance du juge des référés en ce qu’elle écartait le motif d’exclusion visé par l’article L.3123-8 du Code de la commande publique.

Cet article prévoit que « l'autorité concédante peut exclure de la procédure de passation d'un contrat de concession les personnes qui ont entrepris d'influer indûment le processus décisionnel de l'autorité concédante ou d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du contrat de concession, ou ont fourni des informations trompeuses susceptibles d'avoir une influence déterminante sur les décisions d'exclusion, de sélection ou d'attribution. » 

Le motif d’exclusion visé par ce texte figure au nombre des « exclusions à l’appréciation de l’autorité concédante » prévues par le Code de la commande publique, par opposition aux « exclusions de plein droit ». 

Il convient de préciser que ces motifs d’exclusion, parfois qualifiés en pratique de « facultatifs », ne laissent pas à la discrétion de l’autorité concédante la participation du candidat concerné à la procédure de passation.

Comme l’explique le rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions, lorsque l’autorité concédante constate qu’un candidat fait l’objet d’un motif d’exclusion facultatif, il lui appartient d’apprécier si sa participation risque de porter atteinte aux principes d’égalité et de mise en concurrence. Dans l’affirmative, l’exclusion du candidat s’impose :

« Il ne faudrait donc pas penser qu’une exclusion facultative est de l’ordre du pur pouvoir discrétionnaire de l’autorité concédante : si le comportement d’un candidat, au cours de la procédure de passation, relève d’un des motifs d’exclusion et risque de porter atteinte aux principes d’égalité et de mise en concurrence, il appartiendra à l’autorité concédante de faire usage de ses pouvoirs et de l’exclure. »

Pour déterminer s’il y a lieu d’exclure le candidat concerné, l’article L.3123-11 du Code de la commande publique impose à l’autorité concédante de « [le] mettre à même de fournir des preuves qu'[il] a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du contrat de concession n'est pas susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement des candidats ».

Dans le cas présent, la question se posait de savoir si, en raison des informations confidentielles qu’elle avait obtenues, la société Véolia tombait sous le coup du motif d’exclusion de l’article L.3123-8. 

Le Conseil d’État répond par la négative en validant le raisonnement du juge des référés, lequel avait retenu que la société Véolia ne pouvait être regardée comme ayant entrepris d'obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui donner un avantage indu dans le cadre de la procédure de passation, dès lors :

-  qu’elle avait obtenu des informations confidentielles relatives à l’offre de la société Suez « en raison d'un dysfonctionnement informatique majeur dû à une erreur de programmation de la plateforme utilisée par le pouvoir adjudicateur » ;

-  que, bien qu’elle ait pris connaissance de ces informations et qu’elle n’ait pas immédiatement informé le syndicat du dysfonctionnement, « elle l'en avait averti avant la poursuite de la procédure de négociation et le dépôt de son offre finale, de sorte qu'elle devait être regardée comme ayant nécessairement renoncé à tirer parti de ces éléments dans le cadre de la procédure ».

Il ressort de cet arrêt, éclairé par les conclusions du rapporteur public, que le motif d’exclusion visé par l’article L.3123-8 n’est pas applicable aux candidats qui obtiennent des informations confidentielles de manière fortuite, non intentionnelle.

Cela était le cas de la société Véolia en l’espèce, celle-ci ayant obtenu des informations confidentielles en raison d’un dysfonctionnement informatique qui lui était étranger. 

Une lecture a contrario de l’arrêt suggère également que le motif d’exclusion visé par l’article L.3123-8 pourrait néanmoins s’appliquer aux candidats qui, bien qu’ayant obtenu des informations confidentielles de manière fortuite, ont dissimulé intentionnellement l’avantage indu dont ils ont ainsi bénéficié, afin d’en tirer parti dans le cadre de la procédure. 


En dernier lieu, la société Suez critiquait l’ordonnance du juge des référés en ce qu’elle admettait que le syndicat avait légalement pu décider d’attribuer le contrat sur la base des offres intermédiaires remises avant l’intervention du dysfonctionnement informatique, et renoncer ainsi à solliciter la remise des offres finales pourtant prévue par le règlement de la consultation.

Le Conseil d’État commence par rappeler :

-  d’une part, que « lorsqu'un règlement de consultation prévoit que les candidats doivent, après une phase de négociation, remettre leur offre finale à une date déterminée, cette phase finale constitue une étape essentielle de la procédure de négociation qui ne peut normalement pas être remise en cause au cours de la procédure » ; 

-  d’autre part, qu’il appartient à l’autorité concédante « de veiller en toute hypothèse au respect des principes de la commande publique, en particulier à l'égalité entre les candidats ».

Le Conseil d’État poursuit en approuvant la décision du juge des référés de considérer que le syndicat pouvait, « dans les circonstances très particulières de l'espèce », déroger à la procédure prévue par le règlement de la consultation en renonçant à la remise des offres finales, dans le but de remédier à la distorsion d’informations ayant résulté du dysfonctionnement informatique. 

Il est ici fait application d’une solution déjà été retenue par le Conseil d’État dans un arrêt Société Transdev du 8 novembre 2017 (n° 412859).


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Mathieu Pasquet
Avocat
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
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