Covid-19 et hydroxychloroquine

L’atteinte à la liberté de prescription des médecins par l’état d’urgence sanitaire lié au Covid-19 : le cas de l’hydroxychloroquine

Publié le : 11/05/2020 11 mai mai 05 2020

Avant d’évoquer le principe de liberté de prescription, qui n’est certes pas absolu en temps normal (II), et d’aborder l’atteinte portée à cette liberté dans le cadre de la loi N° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 (III), il importe d’effectuer un rappel du parcours règlementaire de l’hydroxychloroquine, principe actif dont le nom est désormais plus célèbre que le Plaquenil, nom sous lequel cette substance est commercialisée par la Société SANOFI-AVENTIS FRANCE (I).

I- Rappel du parcours réglementaire de l'hydroxychloroquine/plaquenil

Tout d’abord, et pour la clarté du débat, il convient de distinguer la chloroquine commercialisée sous le nom de nivaquine, toujours par le laboratoire SANOFI-AVENTIS FRANCE, de l’hydroxychloroquine, ces deux principes actifs étant, à tort, cités indistinctement.
En effet, bien que ces deux substances soient proches, elles ne sont pas pour autant identiques.

La chloroquine est un antipaludique, tandis que l’hydroxychloroquine est un antirhumatismal utilisé dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, des lupus et en prévention des lucites.
Bien qu’elles diffèrent, leur parenté va les conduire à une règlementation analogue quant à la mise à disposition des patients par voie de prescription médicale.

Ainsi, par arrêté du 7 janvier 1999, la chloroquine sous forme injectable a été classée sur la liste I des substances vénéneuses et la chloroquine sous forme orale a été classée sur la liste II des substances vénéneuses. En conséquence, la nivaquine est soumise à prescription médicale et ne peut être délivrée que sur présentation d’une ordonnance rédigée par un médecin.

Ce n’est que 21 ans plus tard, par arrêté du 13 janvier 2020 précisément, que l’hydroxychloroquine sous toutes ses formes a été classée sur la liste II des substances vénéneuses, sur proposition du directeur général de l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du médicament et des produits de Santé) du 13 décembre 2019 et après avis du directeur général de l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’Environnement et du travail) du 12 novembre 2019.

Ce classement a été décidé en raison du potentiel génotoxique de la chloroquine qui pourrait être similaire pour l’hydroxychloroquine. Ainsi, les études de la chloroquine sur l’animal ont montré une toxicité sur la reproduction (mort fœtale et malformations oculaires) et une altération de la fertilité masculine.

Il en résulte que le Plaquenil n’a pas été interdit à la vente, sa délivrance étant désormais soumise à prescription médicale, ce qui va dans le sens de la protection des patients, par l’intervention de professionnels de santé garantissant une double sécurité, au stade de la prescription par le médecin et au stade de la délivrance par le pharmacien.

L’on relèvera que ce classement bien tardif par application du principe de précaution a également eu pour effet de limiter la ruée des consommateurs vers les pharmacies d’officine, à la suite de la très forte médiatisation du protocole de soins du Professeur Didier RAOULT préconisant son utilisation dans le traitement du Covid-19, associé à un antibiotique, l’azithromycine.

A ce stade, l’office du corps médical en est sorti renforcé.

Cependant, nous allons constater que cela n’a été que de courte durée, compte tenu de l’atteinte portée très rapidement à la liberté de prescription des médecins que nous allons aborder (II), avant d’examiner les spécificités de la limitation apportée à cette liberté dans le cadre de la dispensation de l’hydroxychloroquine (III).
 

II- La liberté de prescription des médecins et son aménagement en matière de prescription hors AMM (Autorisation de Mise sur le Marché)

A – La liberté de prescription du médecin

Le Code de déontologie médicale et le Code de la sécurité sociale consacrent cette liberté de prescription :
  • L’article L. 162-2 du Code de la sécurité sociale dispose que :
Dans l'intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d'exercice et de l'indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d'installation du médecin, sauf dispositions contraires… ».
  • L’article R. 4127-8 du Code de la santé publique précise quant à lui :
« Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance.
Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins.
Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

À ce stade, l’on constate que la mise en œuvre de la liberté de prescription qui est un principe déontologique fondamental consacré par le législateur doit être guidée par la prise en compte de trois séries de critères :
  • Les données acquises de la science ;
  • La qualité, la sécurité et l’efficacité des soins ;
  • L’évaluation du bénéfice/risque.
Sous réserve de respecter la démarche rappelée ci-dessus, rien ne s’oppose à la prescription de médicaments en dehors des indications figurant sur l’AMM, cette dernière précisant les pathologies pour lesquelles le médicament a été autorisé.

Ainsi, la première Chambre Civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser par un arrêt du 18 septembre 2008 que la faute civile du praticien ne saurait se déduire de la seule absence d’AMM et des effets indésirables du médicament, dès lors que le traitement prescrit est reconnu pour son efficacité et que, s’il s’accompagne de complications connues, il n’est pas établi que les données de la science ne puissent y remédier.

En effet, la pratique démontre qu’au-delà des indications pour lesquelles les laboratoires pharmaceutiques sollicitent des autorisations, nombre de médicaments présentent des vertus thérapeutiques allant bien au-delà de ces indications limitatives, ce qui justifie la prescription de médicaments hors AMM, laquelle a néanmoins été aménagée (B).

B – La prescription médicale hors AMM

Le scandale du Mediator a conduit le législateur à encadrer la pratique de la prescription médicale hors AMM par la loi N° 2011-2012 du 29 décembre 2011, dite Loi BERTRAND.

Ainsi, l’article L. 5121-12-1 du Code de la santé publique autorise une prescription non conforme à son AMM en l’absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d’une AMM ou d’une ATU (Autorisation Temporaire d’Utilisation) accordée par l’ANSM pour l’utilisation d’un médicament non encore utilisé, sous réserve que :
  • L’indication ou les conditions d’utilisation aient fait l’objet d’une RTU (Recommandation Temporaire d’Utilisation) établie par l’ANSM pour une durée de trois ans, renouvelable ;
  • Ou qu’en l’absence de RTU et d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une AMM ou d’une ATU, le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique du patient.

Dans une telle hypothèse, il appartient au médecin d’informer le patient :
  • Que la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son AMM ;
  • Des risques encourus, des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament ;
  • Des conditions de prise en charge, par l’assurance maladie, de la spécialité pharmaceutique prescrite dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées.
Le médecin doit en outre :
  • motiver sa prescription dans le dossier médical du patient ;
  • porter sur l’ordonnance la mention : Prescription hors autorisation de mise sur le marché ».
Ces règles devront donc être scrupuleusement suivies par les praticiens, car la prescription hors AMM est moins sécure pour le praticien que la prescription classique, étant précisé qu’en cas de litige, les médecins sont susceptibles de voir engager leurs responsabilités civile, pénale et disciplinaire.
En ce qui concerne la prescription hors AMM d’hydroxychloroquine, l’état d’urgence sanitaire a réduit le champ de la liberté de prescription (III).

III - L'atteinte portée à la liberté de prescription d'hydroxychloroquine par l'état d'urgence sanitaire lié au covid-19

A – L’impossible prescription d’hydroxychloroquine en médecine de ville pour soigner le Covid-19

Ainsi que cela a été rappelé en préambule, face à l’épidémie de Covid-19, le Professeur Didier RAOULT, Directeur de l’Institut Hospitalo-Universitaire de Marseille, et son équipe prescrivent de l’hydroxychloroquine associée à un antibiotique, l’azithromycine.

Une telle prescription est par définition faite hors AMM puisque les indications du Plaquenil figurant au Vidal ne mentionnent nullement le traitement du Covid-19 récemment identifié.
Par conséquent, la règlementation rappelée ci-dessus aurait lieu de s’appliquer.

C’est sans compter sur la loi du 23 mars 2020 et de ses décrets d’application qui ont modifié la règle du jeu, dans des conditions pour le moins chaotiques.

En effet, le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire a été complété par le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020, puis par le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020.

Il en résulte que la prescription d’hydroxychloroquine en médecine de ville pour traiter le Covid-19 a été purement et simplement rendue impossible.

En effet, dans sa version consolidée au 26 mars 2020, l’article 12-2 alinéa 5 du décret du 23 mars 2020 dispose désormais que :

« La spécialité pharmaceutique PLAQUENIL ©, dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, et les préparations à base d’hydroxychloroquine ne peuvent être dispensées par les pharmacies d’officine que dans le cadre d’une prescription initiale émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d’un renouvellement de prescription émanant de tout médecin. »

Elle est donc désormais réservée à la médecine hospitalière.

B – Le monopole des établissements de santé pour la prescription d’hydroxychloroquine pour soigner le Covid-19

En effet, l’article 12-1 alinéa 1er du décret du 26 mars 2020 prévoit que par dérogation à l’article L. 5121-8 du code de la santé publique, l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/ritonavir peuvent être prescrits, dispensés et administrés sous la responsabilité d’un médecin aux patients atteints par le covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile.

Ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut conseil de la santé publique et, en particulier, de l’indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe.

Le lecteur attentif de cet article ne manquera pas de faire deux observations, à la lecture de ce texte.

1) Une référence inappropriée à l’article L. 5121-8 du Code de la santé publique

C’est cet article qui prévoit notamment que toute spécialité pharmaceutique doit faire l'objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'ANSM.

Or, cet article n’est pas applicable en l’espèce puisque le Plaquenil bénéficie d’une AMM, de sorte que la prescription de ce médicament devrait simplement suivre le régime de la loi BERTRAND rappelé ci-dessus en ce qui concerne la prescription hors AMM, car c’est bien de cela qu’il s’agit en l’espèce.

Il semble donc qu’un régime spécifique ait été créé, à l’occasion de l’état d’urgence sanitaire, pour sécuriser le protocole qui y est décrit, mais pas celui en vigueur à l’IHU de MARSEILLE (2).

Ce régime spécifique peut s’expliquer par le fait qu’il n’existe pas, à ce jour, de données acquises de la science pour le traitement du Covid-19 et l’on imagine qu’il serait difficile de justifier une telle prescription sur la base de telles données pourtant exigées par le texte de la loi BERTRAND.

2) L’exclusion du protocole mis en place par l’IHU de MARSEILLE du régime dérogatoire du décret du 23 mars 2020

Le décret évoque la prescription d’hydroxychloroquine en association avec un antiviral lopinavir/ritonavir.
Or, l’on sait que le protocole marseillais combine l’hydroxychloroquine avec un antibiotique, l’azithromycine, et qu’il est mis en œuvre dès les premiers symptômes, ce qui n’est manifestement pas le cas du protocole décrit dans le décret, destiné à des patients en phase avancée de contamination (pneumonie oxygéno-requérante ou défaillance d’organe).

Le protocole marseillais échappe donc au régime dérogatoire de l’état d’urgence sanitaire et doit se voir appliquer les dispositions de la loi BERTRAND en matière de prescription hors AMM, avec la difficulté relative à la prescription de Plaquenil, qui doit normalement se conformer aux données acquises de la science, comme l’exige l’article L. 5121-12-1 du Code de la santé publique.

En l’absence de recul scientifique en l’espèce, ce critère ne peut être satisfait, ce qui est de nature à fragiliser la position des prescripteurs dans l’hypothèse d’une action contentieuse consécutive aux effets délétères de l’absorption d’hydroxychloroquine, étant rappelé que le protocole marseillais s’adresse à des patients contrôlés positifs, mais dont l’état de santé n’est pas aussi dégradé que dans le protocole réglementé. Il serait alors difficile de plaider la mise en place du traitement de la dernière chance.
Au total, nous ne pouvons que constater la différenciation de régime entre le protocole réglementé et le protocole marseillais, sans en connaître la cause. A suivre…


Cet article n'engage que son auteur.


 

Auteur

ROGER Philippe

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