Droits fondamentaux en droit du travail

Le développement des droits fondamentaux en droit du travail

Publié le : 19/02/2025 19 février févr. 02 2025

Les droits fondamentaux ont toujours irrigué notre droit, et particulièrement notre Droit du Travail et la jurisprudence qui s’y attache. L’invocation des droits fondamentaux en Droit du Travail a connu un regain de vigueur postérieurement à l’Ordonnance du 22 septembre 2017 ayant instauré une Grille à destination des Juges pour indemniser les licenciements sans cause réelle et sérieuse que d’aucuns ont considéré comme une entrave à la liberté du Juge, et un préjudice supplémentaire pour les salariés privés du droit d’obtenir la juste indemnisation de leur préjudice.
Cette réaction est en partie fausse car le plafond de la Grille issu de l’Ordonnance du 22 septembre 2027 est élevé et correspond plus ou moins à ce qui se pratiquait devant les juridictions avant son instauration.

C’est donc une idée fausse qui a présidé à l’exploitation du nouvel article L.1235-3-1 du Code du Travail par les plaideurs, lequel prévoit que dans l’hypothèse de la nullité du licenciement, la Grille de référence en matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne trouve pas à s’appliquer, seul un plancher équivalent à 6 mois de salaire étant prévu dans cette hypothèse sans limitation de plafond.

Au rang des nullités figurant dans l’article suscité figure la nullité encourue par un acte ayant pour contexte « la violation d’une liberté fondamentale », autre vocable utilisé pour évoquer les « droits fondamentaux » ou encore « droits naturels ».

Ainsi soulever la violation d’un droit fondamental à l’occasion de la saisine du Juge Prud’homal est susceptible de permettre d’obtenir la nullité de l’acte et s’il s’agit d’une rupture permet de se libérer de la contrainte que constitue la Grille.

C’est ce qui explique le développement considérable de l’invocation de ces droits fondamentaux et par ricochet la jurisprudence abondante de la Cour de Cassation en la matière, particulièrement de la Chambre Sociale.
 

1- D’où viennent les droits fondamentaux ?

Les droits fondamentaux sont hérités de l’Antiquité et c’est Aristote qui en premier lieu a conceptualisé la notion des « droits naturels ».

Plus récemment à l’époque des Lumières, les « libertés fondamentales » ont été mises en exergue par les auteurs, notamment Rousseau et Montesquieu.

Ils sont le résultat d’un consensus philosophique, social et politique, hérité donc de l’Antiquité qui trouve aujourd’hui sa source dans le bloc constitutionnel que constitue le Préambule de notre Constitution, lequel contient :


- La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : 
  • Article 2 au rang « des droits naturels et imprescriptibles » de l’homme, on trouve le droit de propriété.
  • Article 4 : « L’exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ».
  • Article 9 : « Tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ».
  • Article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ».
  • Article 11 : « Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre des abus de cette liberté ».
  • Article 17 : « La propriété est un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »
 
- Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 :
 
  • Article 3 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».
  • Article 5 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. »
  • Article 6 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ».
  • Article 7 : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».
  • Article 11 : « La Nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ».
 
- La Loi Constitutionnelle du 1er mars 2005 instituant la Charte de l’Environnement :
 
  • Article 1er : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. »
  • Article 8 : « L'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte. »

On peut également citer la Convention Européenne des Droits de l’Homme du 03 septembre 1953 ratifiée par la France :
 
  • Article 6 : Le droit au procès équitable.


Le bloc constitutionnel est complété par :
 
  • L’article 9 du Code Civil qui protège la vie privée : « Chacun a droit au respect de sa vie privée » qui institue d’ailleurs la notion « d’intimité de la vie privée » qui paraît seule au rang des droits fondamentaux ainsi que les très récents arrêts de la Cour de Cassation l’enseignent (Cas. Sociale 25 septembre 2024, n°22-20.672)
  • L’article 544 du Code Civil en matière de propriété : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue. ».*

Enfin la jurisprudence confirme et illustre l’utilisation des droits fondamentaux en Droit du Travail.
 

2 - Illustration des droits fondamentaux en Droit du Travail

2.1- On peut distinguer en premier lieu le socle des libertés :


Le droit fondamental d’ester en Justice qui conduit à la nullité de la rupture dans l’hypothèse où il est fait même référence incidemment à une action en Justice du salarié ou à l’établissement d’une attestation produite en Justice (Cas. Sociale 28 septembre 2022, n°21-11.101).
  • La liberté d’expression qui engage d’ailleurs la question du lien du subordination et le risque de se voir opposer cette liberté fondamentale dans l’hypothèse d’une rupture pour insubordination (Cas. Sociale 20 mars 2024, n°22-17.859).
  • La liberté de croyance, d’opinion et de religion (Cas. Sociale 07 juillet 2021, n°20-16.206).
  • La vie privée et la règlementation RGPD
  • Le droit de faire grève et de se syndiquer.

2.2- On trouve ensuite le socle de protection :

 

2.3- Il est fréquent qu’un droit fondamental s’oppose à un autre dans les dossiers qui sont soumis aux Juges du Travail, ce qui conduit à en apprécier la relativité.


Les droits fondamentaux ne sont effectivement pas absolus, puisqu’ils trouvent leur limite dans la pesée qui doit être effectuée à l’occasion de leur confrontation avec un autre droit fondamental qui leur est opposé.

Très fréquemment, la Cour de Cassation se trouve confrontée à cette opposition entre deux droits fondamentaux et est amenée à procéder à une pesée de ces derniers, laquelle s’effectue non pas de façon discrétionnaire, mais là encore sur le fondement d’un droit fondamental :
 
De nombreux exemples illustrent cette situation au regard des fondements ainsi soulignés :

- Une preuve déloyale est considérée admise lorsqu’elle est nécessaire et qu’il n’y a aucun autre moyen de faire valoir le droit.
 
  • Tel est l’exemple de l’employeur qui utilise une vidéo, sans en révéler l’existence préalablement et qui commet par là même un acte illicite, mais qui n’a que ce moyen pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise et assurer son obligation de protection de la santé et de la sécurité. Dans cette hypothèse, le respect à la vie privée du salarié est opposé au droit de propriété qui est la source du droit au bon fonctionnement de l’entreprise (Cas. Sociale 10 juillet 2024, n°23-14.900 ; Cas. Sociale 14 février 2024, n°22-23.073).
 
  • En matière de preuve d’un accident du travail, un enregistrement réalisé par un salarié à l’insu de son employeur pour démontrer une altercation à l’origine de son accident et alors que le salarié n’avait aucun autre moyen de preuve, est recevable (Cas. Civile 6 juin 2024, n°22-11.736).
 
  • Il est à noter que la recevabilité d’une preuve déloyale étant soumise au fait qu’il n’y avait pas d’autre moyen de faire valoir le droit, l’enregistrement d’un entretien préalable à un éventuel licenciement ne devrait pas pouvoir être admis dans la mesure où le salarié a la possibilité d’être assisté lors de cet entretien et que la personne qui l’assiste est susceptible de donner un témoignage.
 
  • En matière de démonstration d’une discrimination salariale s’est posée la question de la recevabilité de la preuve versée aux débats par le salarié revendiquant lequel s’est procuré des fiches de paie d’autres salariés de l’entreprise sans leur accord.

Si ce moyen de preuve reste illicite, en revanche le salarié peut demander à la juridiction d’ordonner à l’employeur de communiquer des fiches de paie, qui sont pourtant réceptacles de données personnelles particulièrement protégées, si c’est son seul moyen de faire valoir son droit à l’application de la règle : « A travail égal salaire égal ».

La juridiction dans cette hypothèse effectue une appréciation de la situation et peut autoriser la communication par l’employeur des fiches de paie quitte à anonymiser certaines données (Cas. Sociale 16 décembre 2020, n°19-17.637 ; Cas. Civile 2ème, 03 octobre 2024, n°21-20.979).



- Le témoignage anonyme 
 
  • En matière d’enquête RH, il est très fréquent que l’employeur, qui a la charge de mener une enquête, se trouve confronté au refus par les témoins que l’on donne leurs noms et donc au refus par les témoins d’effectuer des témoignages autres qu’anonymes lesquels enfreignent bien évidemment les dispositions de l’article 202 du Code de Procédure Civile et d’une certaine façon la règle du procès équitable rendant difficile la preuve contraire.

La Cour de Cassation à compter du moment où le témoignage anonyme n’est pas le seul élément à charge dans le dossier et qu’il est corroboré par d’autres éléments admet ce témoigne, ce que constitue une évolution très sensible de la jurisprudence (Cas. Sociale 19 avril 2023, n°21-20.308).


- Distinguer vie privée et intimité de la vie privée
 
  • La Cour de Cassation se livre par ailleurs à une appréciation assez stricte de la notion de droit fondamental et en matière d’atteinte à la vie privée a récemment mis en exergue une distinction entre un élément de vie privée qui n’est pas du ressort d’un droit fondamental, et qui n’aboutira le cas échéant qu’à constater un licenciement sans cause réelle et sérieuse s’il a été enfreint (Cas. Sociale 25 septembre 2024, n°22-20.672) et la notion « L’intimité de la vie privée », qui dans cette hypothèse constitue un droit fondamental que l’employeur ne pouvait enfreindre comme par exemple en subtilisant sur l’outil informatique de l’entreprise un mail à caractère strictement personnel pour l’utiliser contre le salarié auteur (Cas. Sociale 25 septembre 2024, n°23-11.860).

On observera que la Cour de Cassation lorsqu’elle crée une distinction entre vie privée et intimité de la vie privée s’inspire clairement de l’article 9 du Code Civil qui évoque au titre du droit fondamental, qui doit être strictement protégé par le Juge le droit à « l’intimité de la vie privée ».

3- En conclusion : Quelles évolutions anticiper ?

 
  • On constate que le développement des droits fondamentaux en Droit du Travail s’explique par des raisons conjoncturelles en réaction à l’Ordonnance du 22 septembre 2017 et que ces droits fondamentaux de plus en plus revendiqués par les plaideurs n’ont pas de caractère absolu, mais sont relatifs lorsqu’ils sont opposés à d’autres droits fondamentaux.
 
  • C’est au nom du procès équitable et de la limitation du droit fondamental par un autre droit fondamental que la Cour de Cassation est amenée à préciser au gré de ses décisions le sens des pesées que le Juge est invité à pratiquer pour déterminer ce qui est ou non admissible.
 
  • On peut s’étonner qu’à ce stade, la Charte de l’Environnement, notamment son article 1er qui prévoit le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, ne soit pas invoqué plus souvent.
 
  • Sans doute un fait divers très récent qui concerne la situation d’un Chercheur en Psychologie Sociale, Monsieur Gianluca Grimalda est susceptible de nous éclairer sur les évolutions à venir.

Ce dernier en déplacement en Papouasie Nouvelle Guinée et pour limiter son empreinte carbone avait refusé de prendre l’avion et parcouru 28.000 kms en train, cargo, ferry, voiture, soit un périple de 72 jours avant d’être licencié à son retour en conséquence…

Le salarié s’est pourvu devant le Tribunal au nom de son droit à ne pas prendre l’avion, revendiquant le droit au trajet long et à la réduction de son empreinte carbone.

L’employeur a versé 75.000 € dans le cadre d’un accord intervenu devant le Tribunal du Travail de Kiel (Allemagne) qui avait été saisi.

Sans doute ces revendications qui, sur le territoire national peuvent se fonder sur la Charte de l’Environnement pourtant déjà vieille de 20 ans, sont-elles éclairantes sur le développement à envisager des droits fondamentaux en lien avec l’environnement et les évolutions climatiques.

Pourquoi ne pas imaginer au nom de l’empreinte carbone le refus par un salarié de revenir sur des autorisations de télétravail ?

Qu’adviendra-t-il si sur une rupture pour insubordination le salarié évoque pour fondement son droit de vivre dans un environnement sain… ?

Le développement de l’invocation des droits fondamentaux en Droit du Travail n’a certainement pas atteint son paroxysme.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

VACCARO François
Avocat Associé
ORVA-VACCARO & ASSOCIES - TOURS, ORVA-VACCARO & ASSOCIES - PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
TOURS (37)
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