Construction et réparation du préjudice de jouissance

La réparation du préjudice de jouissance est conditionnée à l'existence d'un lien de causalité direct avec le fait générateur de la responsabilité

Publié le : 02/12/2024 02 décembre déc. 12 2024

Cass, 3ème civ, 7 novembre 2024, n°22-14.088

Après avoir entrepris la construction d’une maison individuelle d’habitation, des maîtres de l’ouvrage ont procédé à la réception des travaux en 2012 avec un certain nombre de réserves portant notamment sur des fissurations affectant les bois de la façade.

Se plaignant ultérieurement de désordres réservés et d’autres désordres apparus postérieurement, portant notamment sur des fissurations internes à la construction et un affaissement du plancher, les maîtres de l’ouvrage on saisit en 2023 la juridiction des référés, afin de solliciter la mise en œuvre d’une expertise judiciaire.

À la suite du dépôt du rapport d’expertise judiciaire, ils ont saisi le Tribunal de grande instance de Rouen en 2017, afin de solliciter l’indemnisation de leurs différents chefs de préjudices.

Un jugement a été rendu en 2019, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, dont il a été interjeté appel.

Par un arrêt rendu le 2 mars 2022, la Cour d’appel de Rouen à limité l’indemnisation du préjudice de jouissance à la date du prononcé de la décision de première instance, alors qu’il était établi que l’extension de la construction présentait un risque d’effondrement la rendant inutilisable (Cour d’appel de Rouen, 1ère Chambre civile, 2 mars 2022, n°20/00020).

Pour en décider ainsi, les juges d’appel ont considéré que :

« S’agissant de la période postérieure au jugement, il ressort de la pièce n°192 que les époux X ont reçu une somme de 138.597,66 euros le 18 juin 2020. Cette somme aurait pu leur permettre de réaliser les travaux, a minima à compter du mois d’octobre 2020, compte tenu de délais habituels pour l’organisation de ce type de chantier. Selon l’expert, le programme de travaux est d’une durée de 3 mois. Les époux X, qui n’ont pas fait réaliser les travaux pour lesquels ils avaient reçu le financement nécessaire, ne peuvent donc prétendre être indemnisés au titre d’un préjudice de jouissance postérieur au 1er janvier 2021. »

Ayant inscrit un pourvoi en cassation, l’analyse des juges d’appel s’est trouvée confirmée par la Haute juridiction dans son arrêt rendu le 7 novembre 2024.

Au soutien de leur pourvoi, les maîtres de l’ouvrage invoquaient que l’auteur d’un dommage devait en réparer toutes les conséquences, alors que la victime n’était pas tenue, pour sa part, de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable, alors par ailleurs qu’il ait été fait état du principe de réparation intégrale du préjudice.

À cela, la Cour de cassation devait répondre que :

« Ayant constaté qu’en exécution du jugement, M. et Mme J. avaient reçu, le 18 juin 2020, une somme qui n’avait pas été contestée devant elle par l’entrepreneur et son assureur, qu’elle avait confirmée et qui leur permettait d’exécuter les travaux, la cour d’appel, qui a fait ressortir l’absence de lien de causalité entre les manquements de l’entrepreneur et le préjudice de jouissance des maîtres de l’ouvrage postérieur au 1er janvier 2021, on a exactement déduit que la demande devait être rejetée. »

Il se trouve ainsi très clairement établi que la réparation du préjudice de jouissance des maîtres de l’ouvrage implique la preuve de l’existence d’un lien de causalité direct avec la faute commise par l’auteur du dommage.

Le refus d’indemniser le préjudice de jouissance des maîtres de l’ouvrage pour la période postérieure à la date à laquelle les travaux auraient pu être réalisés avec les indemnités perçues au titre de l’exécution provisoire, procède du fait qu’il n’existe plus alors de lien de causalité direct entre le fait dommageable initial et le préjudice allégé.

Le fait est que si, en application des dispositions de l’article L 111-10 du code des procédures civiles d’exécution, l’exécution forcée, qui est toujours facultative quant à son usage, est poursuivie au risque du créancier, Il reste que le non-usage des fonds perçus à ce titre est de nature à constituer la rupture du lien de causalité entre le préjudice allégué et le fait générateur de responsabilité.

Il est donc tout naturellement permis de penser qu’un raisonnement identique pourrait être tenu lorsqu’ayant été destinataire d’une offre d’indemnisation de l’assureur dommages ouvrage, ultérieurement confirmée comme étant satisfaisante, le maître de l’ouvrage aura pris la décision de la refuser, se privant ainsi des fonds nécessaires à la réalisation des travaux.

C’est ainsi que, dans un arrêt en date du 10 mai 2022, la Cour d’appel de Reims a pu être amené à limiter l’indemnisation du préjudice immatériel du maître de l’ouvrage au motif que (Cour d’appel de Reims, 1ère Chambre section civile, 10 mai 2022, n°21/01275) :

« S’agissant du préjudice de jouissance « important complémentaire » courant jusqu’à la fin des travaux dont il se prévalent et qu’ils fixent à 5.000 euros, il pourra être rappelé qu’il leur est pour partie imputable puisque la compagnie d’assurance dommage ouvrage leur a fait une offre d’indemnisation d’un montant environ équivalent à celui qui leur est accordé ce jour... »

Un raisonnement tout à fait identique pourrait être également tenu par les juges d’appel saisis d’une demande de réactualisation du coût des travaux de remise en état, alors qu’en perçu les fonds au titre de l’exécution provisoire, les maîtres de l’ouvrage étaient parfaitement à même de réaliser les travaux nonobstant la procédure en cours et à défaut de placer les fonds.

Bien entendu, ce raisonnement implique que les indemnités perçues au titre de l’exécution provisoire, ou que la proposition d’indemnisation amiable refusée par le maître de l’ouvrage, soient de nature à lui permettre de réaliser les travaux de reprise, puisqu’à défaut il lui sera toujours possible de solliciter en cause d’appel l’indemnisation de son préjudice de jouissance courant jusqu’à la date de la décision définitive statuant sur la liquidation de ses préjudices ( Cour d’appel de Poitiers, 1ère Chambre, 12 avril 2013, n°11/05178).


Cet article n'engage que son auteur.
 

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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