Construction et cautionnement

Cautionnement de l'article 1799-1 alinéa 3 du code civil et créance du maître de l'ouvrage : compensation ne vaut !

Publié le : 04/03/2025 04 mars mars 03 2025

Cass, 3ème civ, 5 décembre 2024, n°23-10.727
L’arrêt qui a été rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 5 décembre 2024 (Cass, 3ème civ, 5 décembre 2024, n°23-10.727) est l’occasion de rappeler le bénéfice qui peut être tiré du cautionnement dont le maître de l’ouvrage est redevable à l’égard du constructeur en application des dispositions légales de l’article 1799-1 du code civil, issu de l’article 5 de la loi n°94-475 du 10 juin 1994, relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises.
Dans un contexte d’insécurité économique et du fait des aléas importants découlant de la durée des chantiers, il était apparu nécessaire de sécuriser le paiement des entreprises, au même titre que la loi du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, avait pu le faire au profit des sous-traitants.

A défaut de recourir à un crédit spécifique pour financer la totalité des travaux, la garantie dont est redevable le maître de l’ouvrage doit être matérialisée par une stipulation particulière du marché (hypothèque conventionnelle, inscription du privilège de l’article 23474-4°, garantie autonome, clause de réserve de propriété ou autre sureté, consignation), ou bien encore par la délivrance d’un acte de cautionnement solidaire d’un établissement de crédit, d’un assureur ou d’un organisme de garantie collective.

Très concrètement, la garantie de paiement prendre habituellement la forme d’un cautionnement bancaire.

Si le maître de l’ouvrage recourt à un crédit spécifique, la garantie de paiement des entreprises peut alors consister tout simplement dans le versement direct par l’établissement de crédit à l’entrepreneur des sommes qui lui sont dues en vertu de son marché de travaux.

L’exigence de la garantie de paiement s’applique non seulement aux entreprises à proprement parler, mais également aux architectes et techniciens divers, promoteurs et syndic de copropriété, commerçants, industriels et particuliers ayant la qualité de maître de l’ouvrage.

Pour l’essentiel, sont exemptés les maîtres de l’ouvrage qui concluent un marché de travaux pour leur propre compte et pour la satisfaction de besoins ne ressortissant pas à une activité professionnelle en rapport avec le marché, ou bien alors si le montant du marché n’excède pas la somme de 12.000,00 euros.

Alors qu’il s’agit d’une disposition d’ordre public, impliquant dès lors que les parties ne puissent pas y déroger conventionnellement, force est de constater que ce cautionnement est mal connu et surtout peu usité.

Le dispositif figure pourtant dans les marchés types établis par référence à la norme AFNOR 03-001, qui dispose que le maître de l’ouvrage doit fournir au plus tard à l’expiration d’un délai de 15 jours suivant la conclusion du marché le cautionnement visé au troisième alinéa de l’article 1799-1 du code civil.

Sur ce, indique la norme, tant que le cautionnement n’est pas fourni, l’entrepreneur ne doit pas commencer les travaux.

Pourtant, alors même que le maître de l’ouvrage est débiteur de l’obligation de fourniture de l’acte de cautionnement dès la signature du marché (Cass, 3ème civ, 9 septembre 2009, n°07-21.225 ; n°07-21.226 ; n°07-20.863), force est de constater que la réalité concrète des chantiers est bien différence.
Le plus souvent, le cautionnement n’est pas délivré à l’entrepreneur, soit par ignorance, soit par crainte d’indisposer le maître de l’ouvrage au point d’être évincé de l’appel d’offres.

Sur ce, quelques principes essentiels doivent être rappelés :

1. Le défaut de remise du cautionnement prévu par l’article 1799-1 alinéa 3 du code civil n’est pas une cause de nullité du marché.

2. L’obligation de délivrance du cautionnement relevant d’une disposition d’ordre public de direction, il est constant que le cautionnement peut être demandé par l’entrepreneur à tout moment du chantier, y compris après la réception des travaux.

3. Dans ce cas, le montant du cautionnement ne doit pas correspondre au montant du marché, mais au solde restant dû par le maître de l’ouvrage.

4. Et surtout, ce qui peut-être très utile en cas de situation contentieuse en phase d’achèvement du chantier, à défaut de remise de l’acte de cautionnement, après la délivrance d’une mise en demeure restée infructueuse à l’expiration d’un délai de 15 jours, l’entrepreneur est en droit de suspendre son intervention, en application du principe de l’exception d’inexécution.

5. L’arrêt qui a été rendu le 5 décembre 2024, précise pour sa part que la possibilité d’une compensation future entre le solde du marché et une créance du maître de l’ouvrage, même certaine en son principe dit l’arrêt, ne saurait le dispenser de l’obligation légale de fournir le cautionnement à première demande :

« En statuant ainsi, après avoir retenu l’existence d’un certain solde restant dû à la société FARJOT CONSTRUCTIONS au titre de diverses situations de travaux, la cour d’appel, qui s’est fondée sur l’existence de créances opposées à titre de compensation par la société Saint Corentin, a violé le texte susvisé. »

6. Il reste à s’interroger sur le point de savoir si, en présence d’un maître de l’ouvrage ayant la qualité de personne morale, le défaut de production du cautionnement ne pourrait pas constituer une faute personnelle du gérant de nature à engager sa responsabilité personnelle, tel que la jurisprudence le considère en cas de défaut de souscription de la garantie RC décennale ou de la garantie de paiement du sous-traitant dans le cadre d’un contrat de construction de maisons individuelles.

En effet, en ne régularisant pas de contrat de sous-traitance, ou en ne souscrivant pas la garantie de paiement prévue à l’article 14 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, ou toute autre garantie, délivrée par un établissement de crédit, une société de financement ou une entreprise d’assurance comme l’exige l’article L 231-13 du code de la construction et de l’habitation, il doit être considéré que le dirigeant de la personne morale ayant la qualité de constructeur a sciemment méconnu les dispositions légales et a ainsi commis une faute détachable de l’exercice de leurs fonctions qui engage sa responsabilité personnelle et l’oblige à en réparer les conséquences dommageables (Cour d’appel de Nancy, 19 octobre 2016, n°15-00719 ; Cour d’appel de Rennes, 3ème chambre commerciale, 13 novembre 2018, n°16-01420 ; Cour d’appel d’Orléans, 22 août 2019, n°18-015391).

Le principe est identique en cas de défaut de souscription de l’assurance RC décennale obligatoire (Cass, 3ème civ, 10 mars 2016, n°14-15.326).

Tel n’apparait toutefois pas devoir être le cas, dès lors que le caractère d’exceptionnelle gravité qui s’attache à la faute commise par le gérant procède du caractère pénal de l’infraction commise, tel que prévue par la loi, ce qui n’est pas prévu par l’article 1799-1 du code civil (Cass, com, 28 septembre 2010, n°09-66.255 ; Cass, com, 18 septembre 2019, n°16-26.962).


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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