Réception tacite construction

La réception tacite implique une volonté non équivoque du maitre de l'ouvrage de recevoir l'ouvrage, quels qu'en soient les motifs ....

Publié le : 02/10/2024 02 octobre oct. 10 2024

Depuis un arrêt de principe de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation en date du 24 novembre 2016, en application de l’article 1792-6 du code civil, la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserve (Cass, 3ème civ, 24 novembre 2016, n°15-25.415, Publié au bulletin ; Cass, 3ème civ, 18 avril 2019, n°18-13.734).
Cass, 3ème civ, 19 septembre 2024, n°22-24.808

Tout récemment, la Cour de cassation a précisé que la prise de possession ne pouvait pas résulter de l’occupation préexistante des lieux par le maître de l’ouvrage en présence de travaux sur existants, compte tenu du caractère équivoque de la prise de possession en pareille circonstance (Cass, 3ème civ, 23 mai 2024, n°22-22.938).

A l’inverse, en présence d’un paiement partiel des travaux et du refus réitéré du maître de l’ouvrage d’accepter l’ouvrage en l’état, la réception tacite ne saurait être constatée (Cass, 3ème civ, 1er avril 2021, n°20-14.975 ; Cass, 3ème civ, 16 septembre 2021, n°20-12.372).

Par un arrêt en date du 20 avril 2017, puis encore par un arrêt en date du 15 juin 2022, la Haute juridiction a précisé que la réception tacite pouvait être constatée en présence d’une prise de possession de l’ouvrage et du paiement d’une partie substantielle du coût des travaux, peu important qu’ils ne soient pas intégralement achevés (Cass, 3ème civ, 20 avril 2017, n°16-10.486, Publié au bulletin ; Cass, 3ème civ, 18 mai 2017, n°16-11.260, Publié au bulletin ; Cass, 3ème civ, 15 juin 2022, n°21-13.612 ; Cass, 3ème civ, 6 juin 2024, n°22-23.557 ; contra : Cass, 3ème civ, 6 juin 2024, n°22-24.047).

Le même principe a été par la suite consacré s’agissant de la réception tacite d’un lot, la Haute juridiction indiquant, dans un arrêt en date du 30 janvier 2019 (Cass, 3ème civ, 30 janvier 2019, n°18-10.197 ; 18-10.699, Publié au bulletin) que : « le paiement de l’intégralité des travaux d’un lot et sa prise de possession par le maître de l’ouvrage valent présomption de réception tacite. »

Enfin, la jurisprudence a également précisé qu’il était parfaitement possible de constater l’existence d’une réception tacite avec réserves, en présence de malfaçons ou de non-conformités apparentes dénoncées par le maître de l’ouvrage au jour de la prise de possession de l’ouvrage (Cass, 3ème civ, 18 avril 2019, n°18-13.734, Publié au bulletin).

Sur ce, dans l’arrêt du 15 juin 2022 (Cass, 3ème civ, 15 juin 2022, n°21-13.612), la Cour de cassation avait retenu que :

« … l’immeuble était bien clos et couvert, les huisseries posées au moins dans leur presque totalité et que les travaux à terminer – hormis des reprises des désordres et malfaçons – pour permettre une occupation même rudimentaire de la maison étaient peu importants par comparaison aux transformations et aménagements déjà réalisés. »

« Elle en a souverainement déduite que la maison était habitable à la date de l’abandon du chantier et que la réception judiciaire pouvait être prononcée à cette date. »

Par son arrêt en date du 19 septembre 2024, dans une circonstance où la quasi-intégralité des travaux avaient été payés, la Cour de cassation en vient à faire prévaloir, pour constater l’existence d’une réception tacite, la prise de possession de l’ouvrage par le maître de l’ouvrage, même de façon contrainte, sur son caractère habitable, même de façon rudimentaire, en écartant les raisons personnelles pour lesquelles la prise de possession a pu intervenir.

En l’espèce, le maître de l’ouvrage, ayant l’obligation de se loger avec un enfant en bas âge, avait été contraint de prendre possession d’une maison d’habitation qui n’était que partiellement achevée, à telle enseigne qu’il lui avait fallu, en définitive, trouver des solutions de relogement en caravane, chez des amis, puis en location. 

Trois mois après avoir pris possession du bien, le maître de l’ouvrage avait dénoncé au constructeur de nombreuses malfaçons et désordres qui lui étaient depuis lors apparus, avant d’assigner l’assureur RC décennale du constructeur, en indemnisation de ses différents préjudices.

En défense, l’assureur avait essentiellement soutenu que la prise de possession de l’ouvrage étant intervenue de façon contrainte, il en résultait nécessairement une volonté équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir, ce qui était incompatible avec la constatation d’une réception tacite.

Par un arrêt en date du 24 octobre 2022, faisant droit aux demandes du maître de l’ouvrage, la Cour d’appel de Poitiers avait fixé la réception tacite de l’ouvrage à la date du 26 juillet 2017, du fait de la prise de possession de l’ouvrage accompagnée du paiement de la quasi-intégralité des travaux et dit que les désordres étaient de nature décennale.
Sur ce, l’assureur du constructeur avait été condamné à payer au maître de l’ouvrage le coût des travaux de démolition reconstruction de l’immeuble, ainsi que l’indemnisation de ses préjudices immatériels consécutifs.

Saisi d’un pourvoi de l’assureur, la Cour de cassation a préalablement rappelé que la reconnaissance d’une réception tacite de l’ouvrage était uniquement conditionnée à la preuve de la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage, ce que faisait présumer le paiement de la quasi-intégralité des travaux, ainsi que la prise de possession quelles qu’en soient les raisons

Et la Haute juridiction d’indiquer que :

« Ayant souverainement retenu que le fait que Mme (R) avait, trois mois après une prise de possession d’un ouvrage en partie inachevé, formulé des réserves auprès de la société (R), tenté d’obtenir la reprise des malfaçons par les entreprises et recherché des solutions d’hébergement alternatives en urgence, ne retirait rien à la réalité de sa prise de possession de l’ouvrage intervenue le 26 juillet 2017, quels qu’en étaient été les motifs, et relevé qu’elle avait alors procédé au paiement de la quasi-totalité du prix du devis signé ainsi que des factures complémentaires de la société (R), la cour d’appel a pu en déduire sa volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage et, par conséquent, l’existence d’une réception tacite à cette date. »

Cette décision, qui n’est pas publiée, apparait néanmoins constituer un revirement de jurisprudence, et à tout le moins une évolution favorable à la protection des maîtres de l’ouvrage, puisque dans un arrêt en date du 25 janvier 2018, la Haute juridiction avait refusé de constater l’existence d’une réception tacite au motif que la prise de possession de l’ouvrage résultait d’une situation contrainte, du fait de la nécessité de se loger en urgence (Cass, 3ème civ, 25 janvier 2018, n°16-25.520 : « Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé souverainement que la prise de possession était équivoque et contrainte, le maître de l'ouvrage n'ayant pas d'autre domicile qu'un mobile home, la cour d'appel a pu en déduire qu'aucune réception tacite n'était intervenue »).

Le pourvoi de l’assureur RC décennale, qui était manifestement fondé sur cette analyse, aura donc été rejeté.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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