Construction et innovation avec l'ordonnance n°2018-937 : toujours plus d'acteurs sur le chantier

Construction et innovation avec l'ordonnance n°2018-937 : toujours plus d'acteurs sur le chantier

Publié le : 20/12/2018 20 décembre déc. 12 2018

L’ordonnance du 30 octobre 2018 autorise les maîtres d’ouvrage à déroger à un certain nombre de règles à condition de prouver qu’ils atteindront par des moyens innovants un résultat équivalent à celui visé.
Plus particulièrement, son article premier dispose que le maître d’ouvrage des opérations de construction de bâtiments, dans les conditions que définit l’ordonnance, peut être autorisé à déroger aux règles de construction applicables dans les domaines énumérés par l’ordonnance, à condition qu’il apporte la preuve qu’il parvient, par les moyens qu’il entend mettre en œuvre, à des résultats équivalents à ceux découlant de l’application des règles auxquelles il est dérogé d’une part et que ces moyens présentent un caractère innovant d’un point de vue technique ou architectural.

Il ressort de cet article deux conditions que les maîtres d'ouvrage devront démontrer dans les opérations de construction à venir :

 
  • La notion de résultats équivalents à ceux découlant de l’application des règles auxquelles il est dérogé.
  • Le caractère innovant d’un point de vue technique ou architectural de ces mêmes moyens.

Il y a donc là une véritable audace laissée aux constructeurs pour parvenir par des moyens qu’ils définiront à des effets équivalents à ceux que les normes visent.

Les règles de construction auxquelles il peut être dérogé en application de l’ordonnance sont relatives à :

1° La sécurité et la protection contre l'incendie, pour les bâtiments d'habitation et les établissements recevant des travailleurs, en ce qui concerne la résistance au feu et le désenfumage 
2° L'aération 
3° L'accessibilité du cadre bâti 
4° La performance énergétique et environnementale et les caractéristiques énergétiques et environnementales 
5° Les caractéristiques acoustiques 
6° La construction à proximité de forêts 
7° La protection contre les insectes xylophages 
8° La prévention du risque sismique ou cyclonique 
9° Les matériaux et leur réemploi.

Tous les éléments de la construction ne sont pas visés mais les thèmes évoqués sont cependant très larges.

Je pense notamment aux caractéristiques liées à la performance énergique et environnementale.

C’est un point sur lequel les dérogations aux règles applicables sont possibles, à condition de démontrer les effets équivalents et le caractère innovant d’un point de vue technique ou architectural.

Pour démontrer le caractère équivalent des résultats obtenus, ainsi que le caractère innovant de ses moyens, une attestation devra être recueillie par les maîtres d'ouvrage, auprès d'un ou plusieurs organismes qui seront désignés par décret selon les domaines.

Cette attestation devra avoir été obtenue avant le dépôt de la demande d’autorisation de déroger.

Au cours de l’exécution des travaux, un contrôle technique interviendra pour vérifier la bonne mise en œuvre des moyens utilisés par le maître de l’ouvrage, et il en attestera au moment de l’achèvement des travaux. 

Il y a là une formidable opportunité de dérogation et d’innovation.

Sur le plan opérationnel, de nombreuses difficultés peuvent certes se poser à travers notamment la responsabilité de ceux qui vont attester de la notion d’effets équivalents.

Car il n'a échappé à personne que cette ordonnance, de nature à simplifier les opérations de construire, ajoute cependant deux nouveaux acteurs à l'acte de construire à savoir d'une part l'organisme qui va attester de la notion d'effets équivalents et le contrôleur technique qui va intervenir au cours du chantier.

En effet, dans son article 5, l’ordonnance 2018-937 rappelle que le caractère équivalent des résultats obtenus par les moyens que le maître d’ouvrage entend mettre en œuvre ainsi que le caractère innovant de ces moyens sont attestés avant le dépôt de la demande d’autorisation par des organismes désignés par décret.

Or, dans de nombreuses hypothèses, il va être difficile de démontrer le caractère innovant des moyens utilisés.

Tout le travail du maître d'ouvrage va consister à bâtir une série de dossiers sur les différents thèmes et caractéristiques auxquelles il entendra déroger, pour démontrer effectivement ce caractère innovant.

Les aspects liés à la propriété intellectuelle pourront être examinés, mais pas seulement.

Il faudra aller bien au-delà et être en mesure de démontrer que la technique utilisée, le moyen mis en œuvre notamment en matière de performance énergétique et environnementale, présente un caractère particulièrement innovant.

Ce dossier, solide, devra être remis à celui qui attestera de ce caractère.

De la même façon, mais cela sera plus aisé, il faudra démontrer le caractère équivalent des résultats obtenus.

En tout état de cause, la notion de responsabilité sera bien externalisée puisque ce sont des organismes désignés par décret qui délivreront ce type d’attestation.

Toute la question va maintenant être de savoir si les maîtres d'ouvrage vont s'emparer de ce nouveau dispositif mais également et surtout si les assureurs vont pouvoir suivre.

Car la notion même de contrat d'assurance si elle est liée à l'aléa, doit cependant reposer sur des risques maîtrisés.

Or, précisément, le caractère innovant d'une mesure mise en œuvre ne permet pas de maîtriser le risque.

En matière d'incendie, en matière de performance énergétique, en matière de risque sismique, les questions sont bien plus nombreuses que les réponses.

L'on peut redouter que cet inconnu ne permette pas, économiquement, aux acteurs du chantier d'être raisonnablement assurés.

Cette réalité peut, malheureusement, rattraper le dispositif mis en œuvre et le laisser lettre morte, tout comme avait été laissé lettre morte le permis de faire instauré par l'article 88 I de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine de 2016.

Réservé au maître d'ouvrage public et à un nombre restreint de normes, ce dispositif n'avait jamais pu être mis en œuvre.

L'on espère que ce vent d'audace insufflé par l'ordonnance ne sera pas contrarié par des vents contraires liés notamment au principe de réalité économique et aux difficultés liées à la responsabilité des constructeurs et à sa nécessaire garantie assurantielle.

C’est bien la façon de conduire un chantier qui va singulièrement évoluer puisque deux acteurs apparaissent à savoir d’une part l’organisme agréé pour l’attestation d’effets équivalents, et d’autre part le contrôleur technique qui, au cours de l’exécution des travaux va vérifier la bonne mise en œuvre des moyens.
C'est également, et peut-être surtout, le périmètre juridique du chantier qui évolue à travers des questions nouvelles liées à la responsabilité des constructeurs et aux contrats à rédiger.
Ces opportunités doivent être bâties en amont sur le socle de dossiers techniques très solides, lesquels auront un aspect juridique fort, démontrant d’une part la dérogation aux règles imposées et d’autre part le caractère innovant des moyens mis en œuvre.


Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © julien tromeur - Fotolia.com


 

Auteur

DROUINEAU Thomas
Avocat
DROUINEAU 1927 - Poitiers
POITIERS (86)
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