Point de départ de la prescription en matière de crédit immobilier : retour à la case départ

Point de départ de la prescription en matière de crédit immobilier : retour à la case départ

Publié le : 25/04/2016 25 avril avr. 04 2016

La Cour de cassation vient par quatre arrêts rendus le même jour, le 11 février 2016, et publiés au Bulletin, affirmer le contraire de ce qu’elle affirmait depuis le 10 juillet 2014 s’agissant du point de départ du délai de prescription.Cette situation est peu commune et mérite un retour en arrière.



17 JUIN 2008 – UN RACCOURCISSEMENT DES DELAIS DE PRESCRIPTION RENDANT CRUCIALE LA DETERMINATION DU POINT DE DEPART DE LA PRESCRIPTIONLa réforme de la prescription issue de la loi du 17 juin 2008 est venue introduire à l’article L137-2 du Code de la Consommation une prescription biennale des « actions des professionnels pour les biens et services qu’ils fournissent aux consommateurs ».

Par un arrêt du 28 novembre 2012 (pourvoi 12-26884), la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation a indiqué que cette prescription s’appliquait bien aux crédits immobiliers. Cela allait de soi : un prêt immobilier consenti à un particulier est un service fourni par un professionnel à un consommateur.

Et pourtant, certains établissements bancaires considéraient que la prescription biennale ne concernait pas le crédit immobilier. Des décisions divergentes étaient d’ailleurs rendues par les Juridictions du fond.

La position de la Cour de cassation a ainsi eu le mérite de clarifier les choses et a amené les banques à inventorier les dégâts : pertes totales (échéances impayées et déchéance du terme antérieure à deux années) ou pertes qu’elles considéraient alors limitées (seulement certaines échéances impayées depuis plus de deux années). Limitées car elles considéraient qu’un crédit immobilier étaient remboursable par termes successifs (échéances mensuelles) et que chaque échéance avait sa prescription propre.

Dans cette situation (seulement une partie du crédit impayée depuis plus de deux années), le débat s’est donc naturellement déplacé sur le terrain du point de départ de la prescription, débat peu exploré auparavant car souvent dénué d’intérêt lorsque la prescription était plus longue (10 ans avant la réforme de la prescription de 2008), le recouvrement étant mené à son terme avant le terme du délai de prescription.

La solution de délais de prescriptions aussi nombreux que les échéances semblait logique à la lecture de l’article 2233 du Code civil : « la prescription ne court pas à l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrivé ».

Cette solution était d’ailleurs celle adoptée par la Cour de Cassation qui considérait que la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance (Civ.2ème, 17 mai 1993, pourvoi 91-19477 et Civ.1ère, 28 juin 2012, pourvoi n°11-17-744).

Il s’agissait donc d’opérer un découpage du crédit : un établissement bancaire pouvait parfaitement être prescrit pour certaines échéances impayées depuis plus de deux ans, sans être prescrit pour la totalité du crédit (à savoir pour les échéances impayées depuis moins de deux ans et pour le capital restant dû devenu exigible par une déchéance du terme prononcée depuis moins de deux ans).

Ces jurisprudences étaient, certes, antérieures à la jurisprudence du 28 novembre 2012 faisant entrer le crédit immobilier dans le champ d’application de la prescription biennale. Ceci étant, rien ne permettait de soutenir une autre règle, l’article 2233 du Code civil s’appliquant à toutes les prescriptions.

Et pourtant, la Cour de cassation en a jugé différemment.



10 JUILLET 2014 - REVIREMENT DE JURISPRUDENCEPar un arrêt du 10 juillet 2014, la Cour de Cassation s’est positionnée sans ambiguïté : « Attendu que le point de départ du délai de prescription biennale (…) se situe (…) dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur à la date du premier incident de paiement non régularisé »

Le coup était rude pour les établissements bancaires tant cette jurisprudence apparaissait contraire aux dispositions de l’article 2233 du Code civil.

Au surplus, ce texte venait calquer le régime de la prescription sur le régime de la forclusion applicable en matière de crédit à la consommation, assimilation incohérente dans la mesure où le crédit à la consommation connaissait d’une disposition législative spécifique (article L311-52 anciennement L311-37 du Code de la consommation) fixant le point de départ au premier incident de paiement non régularisé. Le crédit immobilier ne connaissait pas de disposition semblable.

Et pourtant, en dépit de critiques doctrinales, la Cour de Cassation a réitéré à plusieurs reprises sa solution (notamment Civ.1ère, 29 novembre 2014, pourvoi n°13-29447 et Civ.1ère, 16 avril 2015, pourvoi n°13-24024).

Les établissements bancaires se résignaient donc pour cantonner leurs efforts dans la recherche d’événements interruptifs ou suspensifs de prescription telle la reconnaissance de dette du débiteur (article 2240 du Code civil), la Cour de Cassation considérant qu’un règlement valait reconnaissance.

Ce point de départ avait toutefois un effet pervers : une accélération du recouvrement tant au stade du prononcé de la déchéance du terme qu’au stade de l’introduction d’une saisie immobilière par la délivrance d’un commandement.

Le premier incident de paiement étant constitutif du point de départ de la prescription pour l’intégralité des sommes prêtées, y compris pour les sommes non encore exigibles, il n’était plus question de tergiverser en laissant du temps au débiteur pour essayer de remédier à quelques échéances impayées. Toute indulgence temporelle à l’égard de l’emprunteur réduisait d’autant le délai d’action du prêteur.



11 FEVRIER 2016 - REVIREMENT SUR REVIREMENT : RETOUR A LA CASE DEPARTAlors que la solution paraissait acquise, la Cour de Cassation vient par quatre arrêts rendus le 11 février 2016 mettre fin à 19 mois d’égarement juridique.

Au visa des dispositions des articles L137-2 du code de la consommation et des articles 2224 et 2233 du Code civil, la Cour de Cassation vient affirmer :

« Attendu qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l'action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d'échéance successives, l'action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité »

Cet attendu de principe est totalement contraire à l’attendu de principe du 10 juillet 2014. La Cour de cassation se déjuge donc et opère un virage à 180° pour revenir aux jurisprudences des 17 mai 1993 et 28 juin 2012.

Bien évidemment, ces arrêts du 11 février 2016 ne sont pas accueillis de la même manière selon que l’on se place du côté du consommateur ou du côté de la banque. Il faut tout de même admettre que ces arrêts sont conformes à l’article 2233 du Code civil et maintiennent la cohérence de la distinction entre les régimes de la prescription et celui de la forclusion.

En revanche, les changements incessants de la Cour de Cassation sont source d’une insécurité juridique permanente qui est fort regrettable. Les tergiversations de la Juridiction suprême ne satisfont personne :

- ni les établissements bancaires qui ont vu des créances déclarées prescrites par des décisions (aujourd’hui définitives) de juridictions du fond rendues au visa de la jurisprudence du 10 juillet 2014 et qui ne l’étaient finalement pas au regard des arrêts du 11 février 2016

- ni les consommateurs qui deviennent redevables de créances pour lesquelles ils se pensaient libérés. Il y a d’ailleurs fort à parier que les établissements bancaires sont affairés depuis le 11 février 2016 à rechercher parmi les dossiers passés en perte pour cause de prescription, ceux que ne seraient finalement pas (ou plutôt plus) prescrits.





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © Kromosphere - Fotolia.com

Auteur

PILLOT Antoine

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