Titre exécutoire émis par une commune : les règles prétoriennes du contentieux administratif ne s’appliquent pas devant le juge judiciaire
Publié le :
30/04/2024
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2024
Par un arrêt d’Assemblée Plénière en date du 8 mars 2024 (Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12.560), la Cour de cassation a, de la façon la plus solennelle, tranché la question de l’effet de l’absence de mention des voies de recours sur un titre exécutoire délivré par une commune et, plus spécialement, la question de la transposition en droit privé d’une règle dégagée par le Conseil d’Etat.Les faits de l’espèce étaient simples : La commune de Sarrebourg a notifié une société, au titre des exercices 2009, 2010 et 2011, trois titres exécutoires pour le paiement de la taxe locale sur la publicité extérieure.
Or, ces titres étaient affectés d’un vice de forme puisqu’ils ne précisaient pas la juridiction devant laquelle le recours pour les contester devait être formé.
La société a saisi en 2015 le Tribunal de grande instance en annulation des titres exécutoires, soit plus d'un an après que ces titres aient été portés à sa connaissance.
La question juridique posée par cette affaire est donc celle du délai dans lequel il était possible pour la société de contester en justice des actes ne mentionnant pas régulièrement les modalités de leur contestation.
Comme le relève elle-même la Cour de cassation en citant sa propre jurisprudence, le délai de deux mois ouvert par l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales au débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé du titre exécutoire constatant ladite créance n'est opposable qu'à la condition d'avoir été mentionné, ainsi que la voie de recours, dans la notification de ce titre exécutoire [1].
Il s’en déduisait, pour la Cour de cassation, comme le Conseil d’état, qu’en l'absence de notification mentionnant de manière exacte les voies et délais de recours, le débiteur peut saisir la juridiction judiciaire pour contester le titre exécutoire, sans être tenu par le délai de deux mois prévus à l'article L. 1617-5, 2° du CGCT.
Cette solution classique soulève toutefois une nouvelle interrogation : ne devrait-il toutefois pas exister un délai limite pour exercer un tel recours au nom de la sécurité juridique ?
C’est précisément ce qu’a soulevé la Commune poursuivante, entendue par la Cour d’appel de METZ.
En effet, depuis son arrêt KPMG du 24 mars 2006[2], le Conseil d’Etat a érigé la sécurité juridique comme un élément essentiel de son contrôle de légalité.
C’est dans cette veine, qu’est intervenue, au cours de la procédure soumise au contrôle de la Cour de cassation, un autre arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat, le 13 juillet 2016, dit arrêt Czabaj[3].
Pour reprendre le résumé que fait la Cour de cassation de cette décision, le Conseil d'État juge désormais que si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable, lequel, en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
Ainsi, ce principe général de sécurité juridique n’aurait-il pas dû également s’appliquer en l’espèce devant les juridictions civiles et faire obstacle à une assignation plus d’un an après la notification des titres de recette ?
La juridiction du Quai de l’Horloge répond avec force par la négative et met en avant les spécificités propres des contentieux administratifs et judiciaires justifiant le maintien de règles distinctes sans qu’il soit pour autant porté atteinte au principe de sécurité juridique.
La Cour de cassation souligne en effet qu’il n’y a pas de « risque de contestation d'actes ou de décisions sans limite de durée » en raison des règles de prescription applicables devant les juridictions civiles.
Ainsi, l’action de la société demanderesse était en tout état de cause encadrée par l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales qui institue une prescription de deux ans pour les actions tendant à la décharge d'une imposition et à la restitution de l'indu fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle supérieure, comme cela était le cas en l’espèce.
La Cour relève par ailleurs, que l’action en recouvrement de la Commune est également soumise à un délai de prescription, celui-ci de 4 ans[4].
La Cour en conclue donc que la sécurité juridique impose au contraire de ne pas remettre en cause le principe général posé à l’article 680 du Code de procédure civile ce qui pourrait porter atteinte à l'équilibre des droits des parties dans le procès civil.
Le maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui se justifie par les principes et règles applicables devant le juge civil, permet un juste équilibre entre le droit du créancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues et le droit du débiteur d'accéder au juge.
Cette décision met en exergue l’importance de la prescription dans notre système juridique, comme l’avait déjà affirmé Bigot de Préameneu alors qu’il présentait les règles de la prescription du Code civil de 1804 : « de toutes les institutions du droit civil, la prescription est la plus nécessaire à l'ordre social ».
Ce n’est qu’en l’absence de telles règles, dans des situations propres au contentieux administratif, que le Conseil d’Etat a dû intervenir par l’arrêt Czabaj pour prévenir « les situations dans lesquelles, faute de notification régulière, une décision administrative pourrait être contestée indéfiniment ».
Les règles applicables devant l’ordre administratif et l’ordre judiciaire sont donc bien différentes mais poursuivent toujours la même finalité de sécurité juridique.
Cet article n'engage que son auteur.
[1] 2ème Civ., 8 janvier 2015, pourvoi n° 13-27.678
[2] Conseil d’Etat, Assemblée, 24 mars 2006, Société KPMG et Société Ernst & Young et autres
[3] Conseil d’Etat, Assemblée, 13 juillet 2016, n° 387763, Czabaj
[4] Article L1617-5 3° du CGCT : « L'action des comptables publics chargés de recouvrer les créances des régions, des départements, des communes et des établissements publics locaux se prescrit par quatre ans à compter de la prise en charge du titre de recettes. »
Auteur
Jacques FILSER
Avocat
ORVA-VACCARO & ASSOCIES - TOURS, ORVA-VACCARO & ASSOCIES - PARIS
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