Affaire Tapie (3) : Un plan de sauvegarde commun aux deux sociétés pouvait-il régulièrement être arrêté ?

Affaire Tapie (3) : Un plan de sauvegarde commun aux deux sociétés pouvait-il régulièrement être arrêté ?

Publié le : 16/07/2018 16 juillet juil. 07 2018

Les démêlés d’un « sauveur d’entreprise » confronté à une procédure de sauvegarde (suite)
 
S’il est acquis que les sociétés GBT et FIBT étaient bien éligibles à la procédure de sauvegarde, il n’en résulte pas nécessairement que la procédure qui s’en est suivie soit régulière et n’appelle pas de légitimes critiques.
 

La première interrogation porte sur la procédure à l’encontre de la SCI FIBT qui a été ouverte, non sur saisine de la débitrice, mais sur une décision d’extension consécutive à la sauvegarde ouverte primitivement contre GBT, quelques jours auparavant.

Certes, la procédure de sauvegarde, dont le débiteur a en principe le monopole[1], peut faire l’objet d’une extension à une autre ou plusieurs personnes[2]. Toutefois, lorsque le tribunal prononce une extension, s’agissant de sociétés, il se doit préalablement de constater soit la fictivité de la personne morale, soit la confusion de patrimoine entre une ou plusieurs sociétés.
 
La fictivité d’une société se déduira de l’absence de toute vie sociale, qui traduit la perte d’autonomie de la personne morale. Il s’agit alors d’une simple « société de façade » constituée dans le seul but de détenir un élément de patrimoine. Une telle société n’est pas distincte de son animateur ou de celui qu’il convient de désigner comme « le maître de l’affaire ». En l’espèce, ce critère pouvait s’appliquer à la Société FIBT[3] qui abrite en fait le domicile conjugal des époux TAPIE lequel a été de surcroît placé sous mains de justice. Cette société n’ayant aucune activité réelle, ne peut donc produire aucuns comptes sociaux.
 

Aussi, si le critère de fictivité pouvait être retenu à l’encontre de la Société FIBT, une extension de la procédure de sauvegarde ouverte contre GBT était-elle justifiée ?

C’est sur ce point qu’il est difficile de suivre le chemin emprunté par le tribunal car si une extension de procédure pouvait être faite, elle ne pouvait l’être que vers la liquidation judiciaire[4] personnelle de Monsieur Bernard TAPIE, « maître de l’affaire ».

La Société GBT, société holding qualifiée d’industrielle[5], a une activité différente et mieux identifiée puisqu’elle gère des participations dans plusieurs entreprises et détient depuis peu la majorité des parts de la société opérationnelle qui édite le journal La Provence.
Cette activité économique se traduit par le dépôt de ses comptes sociaux bien que ceux-ci soient quelque peu épisodiques.

Certes, par un jugement ancien[6], les Sociétés GBT et FIBT avaient été placées en liquidation judiciaire commune au motif de l’existence d’une confusion de patrimoine entre elles. Mais ces décisions avaient été par la suite rétractées[7]. Ces faits anciens ne pouvaient donc justifier la nouvelle extension.
 

De plus, les conditions procédurales du prononcé de ce jugement d’extension paraissent critiquables.

En effet, le jugement d’ouverture de la procédure concernant GBT n’avait été prononcé que le 30 novembre 2015, et donc, deux jours seulement avant, ni le mandataire ni l’administrateur qui avaient été désignés, n’ont pu mettre en œuvre cette procédure de façon régulière, c’est-à-dire par voie d’assignation comme le prévoient les dispositions du Code de commerce[8].
Cette extension n’a donc pu être prononcée que sur la sollicitation pressante du dirigeant. Or, on sait que la possibilité de demander une extension par le débiteur était fermée jusqu’à une date récente[9].

En effet, cette démarche est jugée critiquable de la part d’un dirigeant d’un groupe de sociétés car la fictivité ou la confusion de patrimoine ne révèle en définitive qu’une faute de ce dirigeant et nul ne peut se prévaloir de sa propre faute.
En conséquence, si une procédure de sauvegarde devait être ouverte, elle aurait dû être ouvertedirectement à l’encontre de la SCI FIBT sans pour autant qu’elle ne soit jointe par extension avec celle prononcée à l’encontre de la Société GBT.
 
La séparation des procédures avait en effet pour le tribunal l’avantage de lui permettre de prendre pour chaque société la solution la plus adaptée et ne pas être tenu, comme cela a été le cas, de devoir arrêter une solution commune.

Le déroulement de la procédure démontrera d’ailleurs que cette précaution était bien nécessaire. En effet, le plan de sauvegarde commun aux deux sociétés présenté au tribunal par le dirigeant n’apparaissait pas crédible.
 
Le Juge-commissaire avait pourtant rendu une ordonnance le 22 avril 2016 confiant à deux experts indépendants une mission exploratoire visant à identifier « les actifs susceptibles d’être mobiliser pour la construction d’éventuels plans de sauvegarde, le passif et l’emploi des fonds liés à l’arbitrage ». Le dirigeant, prétextant le coût de cette expertise, s’est refusé à la mettre en œuvre, préférant faire intervenir à ses frais un Cabinet d’expertise comptable qui a présenté un rapport sous le titre : « Sur l’évaluation des actifs dans le cadre des procédures de sauvegarde et sur la simulation d’un plan de sauvegarde ».

Si cette mission pouvait avoir quelques traits communs avec la précédente, elle ne présentait pas la même objectivité et occultait les points négatifs du dossier.
 
En premier lieu, ce rapport ne recense les biens qu’imparfaitement sous le titre « les actifs susceptibles d'être mobilisés »[10].

De plus, de nombreux autres biens[11] ne sont pas recensés[12].
 
Plus encore, ce rapport ne fait pas mention que ces biens ont été pour leur plus grande partie acquis avec les fonds versés à GBT en vertu de l’arbitrage frauduleux (pour un montant de 180 millions d’euros environ) ce qui répondrait à l’interrogation du Juge-commissaire.

Enfin, ces biens immobiliers (hôtels de CAVOYE, MANDALA) sont présentés comme disponibles et offerts comme garantie du plan de sauvegarde alors qu’ils avaient déjà fait l’objet d’une saisie pénale[13].

On ne peut encore qu’être surpris de constater que le projet de plan s’appuie sur ces biens présentés comme étant une garantie de l’exécution dudit plan et qu’il soit même proposé de les déclarer inaliénables[14]. Or, une telle mesure suppose que ces mêmes biens soient jugés indispensables à la continuation de l’entreprise. Cette mesure ne tend pas donc à garantir les engagements financiers du plan mais au contraire à interdire l’aliénation des biens qui sont nécessaires à la poursuite de l’activité.

La publicité de cette mesure[15] doit être faite par le Commissaire à l’exécution du plan en vertu du jugement arrêtant le plan. Celui-ci ne pouvait donc y procéder car la plupart des biens n’étaient pas la propriété des sociétés concernées par la procédure collective[16]. La mesure était donc non seulement inappropriée mais également inexécutable.
 

Enfin, le plan était totalement dépourvu de ressources financières car les sociétés débitrices n’ont présenté au tribunal aucun « programme de cession de ces actifs » estimant que celui-ci n’apportait rien de plus à la sanction du non-respect des échéances.

Autrement-dit les sociétés soumises à la procédure de sauvegarde n’ont jamais estimé devoir informer le tribunal de l’origine des ressources financières avec lesquelles elles estimaient pouvoir payer en six échéances un passif considérable[17], ce qui laisse pour le moins songeur.
 
Conscient sans doute de cette faiblesse, le dirigeant a invoqué au titre de ressources potentielles la croissance de la filiale exploitant le journal La Provence devant permettre la remontée de dividendes à hauteur de 20 millions d’euros, ou encore des cessions de parts, avant d’y renoncer, mais ces ressources externes ne pouvant pas en tout état de cause justifier le financement du plan.

D’autant que cette annonce a ému le comité d’entreprise du journal, qui est intervenu en cause d’appel, pour s’opposer à cette prétention en faisant valoir que la trésorerie du groupe La Provence ne pouvait sans dommage financer le plan au détriment des investissements nécessaires à l’activité du journal[18].

En tout cas, cette position disqualifie « l’argument phare » du dirigeant qui avait mis en avant la menace de la suppression des emplois attachés à l’activité du journal La Provence. Or, une éventuelle liquidation judiciaire de la Société GBT ne pouvait pas conduire à des licenciements de salariés qu’elle n’employait pas, alors qu’au contraire le financement du plan de cette dernière par sa filiale pouvait aboutir à mettre en danger ces emplois…

Il faut ajouter que les propositions d’apurement du passif ont été soumises aux créanciers, non de façon individuelle comme cela se pratique habituellement mais de façon collective ce qui est nettement plus exigeant. Une réunion s’est donc tenue au tribunal sous la présidence du mandataire judiciaire comme l’imposent les textes[19].

Chaque créancier a pu émettre un avis alors qu’en cas de consultation individuelle l’absence de réponse dans le délai de trente jours vaut acceptation[20]. Or, le plan proposé n’a pas reçu l’accord des créanciers suivant les votes qui ont été recensés[21]. Certes l’avis des créanciers ne lie pas le tribunal mais montre de façon très claire que les garanties fournies ne leurs laissaient pas espérer un désintéressement réel car l’apurement du passif était très aléatoire et très (voire trop) progressif[22]. Le procureur de la République avait clairement pris parti à l’audience pour un rejet du plan qui ne définissait pas sérieusement les ressources nécessaires au règlement du passif ni les garanties pour en assurer l’exécution. Il sollicitait donc en conséquence le prononcé d’une liquidation judiciaire.

Néanmoins le tribunal devait arrêter le plan proposé par le jugement du 6 juin 2017. Sur appel du procureur général, ledit jugement devait être infirmé par un arrêt de la Cour d’appel de PARIS du 12 avril 2018. Il convient de revenir brièvement sur la motivation de l’arrêt. La Cour rappelle tout d’abord que le projet de plan devait être apprécié au regard des seules possibilités des Sociétés GBT et FIBT et non de sa filiale opérationnelle La Provence, « personne morale distincte qui ne fait pas l’objet de la sauvegarde ».

La Cour a donc recherché si ce plan pouvait « raisonnablement être mis à exécution dès sa première échéance (5%) à horizon d’un an, sachant qu’il n’est financé par aucune cession d’actif ».

La Cour relève à ce titre que GBT et FIBT « ne disposant pas de liquidités disponibles significatives, ni d’un prévisionnel pertinent attestant de rentrées de fonds compatibles avec le délai de mise en œuvre du plan et suffisantes pour en assurer l’exécution dans la durée, leur projet souffre d’un défaut de financement » et la Cour d’ajouter une conclusion qui sonne comme une évidence « dans ce contexte la probabilité d’exécution n’apparaît pas sérieuse ».
On voit ici que les critères d’admission d’un plan de sauvegarde ne sont guère différents que ceux d’un plan de redressement : le plan doit être sérieux et documenté.
 
Toutefois, la Cour d’appel a refusé de prononcer la liquidation judiciaire qui était demandée.

Avant d’en examiner les raisons dans une dernière partie, on notera que la procédure de sauvegarde montre ici toute son originalité et sa différence avec la procédure de redressement judiciaire.

En effet, le traitement des difficultés n’a pas le même objectif. Dans un redressement judiciaire, il s’agit de traiter les difficultés résultant d’une cessation des paiements soit par la continuation de l’activité soit à défaut par la liquidation des actifs.

Dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, il s’agit de traiter les difficultés de manière à éviter ou prévenir la cessation des paiements et de ce fait, l’articulation de cette procédure avec une phase liquidative est tout sauf naturel.

L’analyse du dossier « TAPIE » révèle d’ailleurs que les difficultés provenant de l’articulation des procédures de sauvegarde et de liquidation avaient été sous-estimées lors de l’adoption de la loi de sauvegarde, ce qui montre tout l’intérêt d’approfondir cette question, et permettra d’éclairer ce que pourrait être la solution de sortie de cette affaire emblématique.
 
 
 
[1] Art. L.620-1 du Code de commerce, la sauvegarde ne peut donc être ouverte à l’initiative d’un créancier.
[2] Art. L.621-2, al. 2, du Code de commerce, à l’initiative limitée du débiteur, de l’administrateur, du mandataire ou du ministère public.
[3] Il s’agit d’une société de façade détenue à 99% par son gérant, Monsieur Bernard TAPIE, et à 1% par son épouse Madame TAPIE. Ladite société est propriétaire de l’hôtel particulier CAVOYE au 52, Rue des Saints Pères à PARIS, lieu de son siège social.
[4] Ce qui ferait donc obstacle à une procédure de sauvegarde.
[5] Cette dernière société est d’ailleurs présentée comme celle au travers de laquelle Monsieur Bernard TAPIE a réalisé toutes ses opérations d’acquisition, de redressement et de revente d’entreprises.
[6] Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 31 mai 1995.
[7] Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 6 mai 2009 pour GBT et du 2 décembre 2009 pour FIBT.
[8] Art. R.621-8 du Code de commerce.
[9] Elle n’est ouverte que depuis l’Ordonnance n°2014-326 du 14 mars 2014.
[10] On y retrouve bien :
  • l’hôtel de CAVOYE à PARIS, 52 Rue des Saints Pères détenu par FIBT et évalué à 92,5 millions d’euros ;
  • la villa MANDALA à RAMATUELLE, détenue par une société luxembourgeoise SREI (détenue elle-même par GBT), acquise pour 48 millions d’euros et valorisée pour 53 millions d’euros ;
  • l’hôtel particulier de NEUILLY appartenant à la SCI DOLOL (société de façade de Madame TAPIE qui la détient à 99%, mais elle-même sous procédure de sauvegarde), bien acquis pour 15,2 millions d’euros et valorisé à 16,2 millions d’euros ;
  • le moulin de BREUIL situé à COMBS-LA-VILLE, propriété d’une société de droit anglais (mais détenue par Monsieur Bernard TAPIE) acquis 1,4 million d’euros et valorisé à 5 millions…
[11] Ainsi :
  • un avion de marque BOMBARDIER, acquis pour 18 millions d’euros ;
  • un navire de marque REBORN, acquis pour 40 millions d’euros, détenu par une société YRMS basée à SINGAPOUR ;
  • un appartement à NEUILLY, acquis pour 2,650 millions d’euros, via une SCI CA LYPSO, détenu à 90% par Madame TAPIE et 10% par leur fille, par ailleurs occupante ;
  • un pavillon à ASNIERE, évalué à 1,33 million d’euros, occupé par leur autre fille ;
  • un appartement à MARSEILLE propriété de la SCI BERDOM, détenu à 99% par Madame TAPIE évalué à 270.000 euros.
[12] Tous ces éléments du patrimoine ressortent du réquisitoire du Ministère public du 7 mars 2017 renvoyant Monsieur TAPIE en correctionnelle pour escroquerie en bande organisée et détournement de fonds public.
[13] Par Ordonnance du 28 juin 2013 pour la villa MANDALA, par ordonnance du 25 octobre 2013 pour les parts de la Société FIBT détenant l’hôtel de CAVOYE.
[14] En vertu de l’article L.626-14 du Code de commerce. Cette disposition concerne uniquement les biens appartement au débiteur soumis à la procédure (donc les sociétés GBT et FIBT). Ils ne peuvent appartenir à des entités différentes, même liées.
[15] Art. R.626-24 et suivants du Code de commerce.
[16] Ce qui a été effectivement prescrit mais on ne voit pas comment elle aurait pu être mise en œuvre pour les biens immobiliers à la conservation des hypothèques alors que les propriétaires sont d’autres sociétés que celles soumises à la procédure collective.
[17] Estimé pour GBT à 426 millions d’euros et pour FIBT à 218 millions d’euros. Même si les créances du CDR ont pu faire double emploi.
[18] On relève d’ailleurs que le journal était dans une situation délicate puisqu’il avait dégagé des pertes en 2015.
[19] Art. R.626-7 et R.626-8 du Code de commerce.
[20] Art. L.626-5 du Code de commerce.
[21] En ce qui concerne la SNC GBT : 45% des créanciers étaient présents, seuls 3,45% ont donné leur accord et encore s’agissait-il des créanciers recevant un paiement immédiat. La majorité des créanciers a donc refusé expressément le plan : 27,59% ou refusé de se prononcer (ce qui équivaut à un refus) : 44,83% ou a formé des réserves 24,14%.
Concernant la SCI FIBT : 7,14% des créanciers ont accepté les propositions de plan, une majorité a émis un refus, 44,86%, ou des réserves, 50%. Le résultat est d’autant plus symptomatique que les créanciers du plan étaient tous présents ou représentés, 100%.
[22] 5% la première année, soit le minimum, 10% la deuxième, 15% la troisième, 20% les quatrième et cinquième et 30% la sixième et dernière année.


Cet article n'engage que ses auteurs.
 

Auteurs

Matthieu BOTTIN
Avocat
NEVEU, CHARLES & ASSOCIES
NICE (06)
Voir l'auteur Contacter l'auteur Tous les articles de l'auteur Site de l'auteur
NEVEU Pascal
Avocat Honoraire
NEVEU, CHARLES & ASSOCIES
NICE (06)
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