Le rapport du Conseil d'Etat sur la révision des lois bioéthiques

Publié le : 03/06/2009 03 juin juin 06 2009

A la veille du rendez-vous fixé par le législateur pour la révision des lois bioéthiques, le Conseil d'Etat a rendu publique le 6 mai dernier, sa réflexion sur la question.

Gestation pour autrui, tests génétiques, assistance médicale à la procréationTout en mettant en avant « l'ampleur et la variété des questions soulevées devant lui », le Conseil d'Etat a constaté la cohérence du socle législatif relatif à la bioéthique et simplement préconisé « d'apporter certains aménagements aux règles actuelles, mais ne prône pas de bouleversements » majeurs.


I- La création d'un régime permanent d'autorisation sous conditions pour la recherche sur l'embryon humain
II- Les diagnostics préalables à la naissances
III- L'assistance médicale à la procréation
IV- La confirmation de l'interdiction de la gestation pour autrui
V- De la bonne utilisation des tests génétiques
VI- Les dons d'organes et de cellules
VII- L'accompagnement de la fin de vie
VIII - Les recherches dans les pays en développement



I- La création d'un régime permanent d'autorisation sous conditions pour la recherche sur l'embryon humain

Le Conseil d'Etat préconise une réécriture de l'article L.2151-5 du Code de la santé publique, afin de mettre en place un régime d'autorisation sous conditions.

La loi n°2004-800 du 6 août 2004 et son décret d'application n°2006-121 du 6 février 2006 ont confirmé le principe d'interdiction des recherches sur l'embryon humain posé par la loi n°94-653 du 29 juillet 1994.

Néanmoins, à titre expérimental, la recherche sur l'embryon est actuellement autorisée sous réserve que l'ensemble des conditions suivantes soit réuni :

- le projet présente une perspective de progrès thérapeutiques majeurs,
- il ne peut être mené à l'aide d'une méthode alternative d'efficacité comparable, en l'état des connaissances scientifiques,
- il doit être autorisé par l'Agence de biomédecine, en raison de sa pertinence scientifique,
- la recherche doit s'effectuer sur des embryons surnuméraires et des cellules qui en sont issues, c'est à dire des embryons conçus dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation qui ne font plus l'objet d'un projet parental, et après consentement écrit du couple à l'origine de l'assistance médicale à la procréation.

En pratique, la quasi-totalité des projets de recherche sur l'embryon a jusqu'à présent été acceptée, constituant in fine une dérogation permanente qui vide de son sens l'interdiction générale. De plus, le caractère expérimental de l'autorisation ne permet pas aux équipes de recherches scientifiques d'avoir une vision d'avenir permettant de trouver à terme une alternative aux recherches sur l'embryon. C'est pourquoi, le Conseil d'Etat préconise la mise en place d'un régime permanent d'autorisation soumis à condition : la possibilité d'autoriser serait une simple faculté et ne créerait donc pas un droit à autorisation.

Il recommande de conserver les conditions actuelles tout en admettant que certaines d'entre elles doivent évoluer :

- La condition d'impossibilité de poursuite des recherches « par une méthode alternative d'efficacité comparable » pourrait évoluer en « impossibilité, en l'état des connaissances scientifiques, de mener une recherche identique à l'aide d'autres cellules que des cellules souches embryonnaires humaines »;
- Le critère de « l'intérêt pour la santé publique » pourrait être supprimé, étant naturellement satisfait lorsque la recherche est « susceptible de permettre des progrès thérapeutiques majeurs »;
- Le consentement des parents donneurs ne pourrait être retiré que tant que des lignées n'ont pas été dérivées de l'embryon.


II- Les diagnostics préalables à la naissances

Malgré l'encadrement de ces techniques, l'ombre d'une dérive d'eugénisme reste très présente et la réflexion du Conseil d'Etat s'est recentrée sur trois points.

Il propose de compléter la définition du diagnostic prénatal prévu à l'article L.2131-1 du Code de la santé publique afin de mettre l'accent sur la nécessité de renforcer l'information et l'accompagnement de la femme enceinte lors de la communication des résultats. L'objectif est de permettre à la femme enceinte de connaître toutes les thérapies existantes, de bénéficier de conseils médicaux appropriés, afin que le recours à l'IVG soit parfaitement réfléchi et reste finalement la dernière option envisageable. Le rôle des centre pluridisciplinaires de diagnostic prénatal serait ainsi renforcé.

Le Conseil d'Etat ne préconise pas de modifier la législation actuelle relative au diagnostic préimplantatoire, l'article L.2131-4 du Code de la santé publique permettant un équilibre satisfaisant entre la nécessaire flexibilité face aux évolutions techniques et le refus de dérives eugéniques, en permettant une appréciation tenant compte du contexte familial. Il convient de laisser une liberté d'appréciation aux équipes médicales en ne dressant de listes de maladies ouvertes au diagnostic préimplantatoire. Des règles de bonne conduite devraient être édictées afin d'aider les centres pluridisciplinaires à remplir parfaitement leur mission d'accompagnement et de conseil.

Enfin, introduit en 2004 à titre expérimental, le double diagnostic préimplantatoire (1), plus connu sous l'appellation de « bébé-médicament », pose la question du risque d'instrumentalisation de l'enfant à naître qui permettrait, par le prélèvement du sang de cordon ombilical, la guérison d'un aîné. Le Conseil d'Etat propose de renouveler la période d'essai pour une nouvelle durée de cinq ans. A l'issue de cette période, l'Agence de biomédecine pourrait avoir un recul suffisant pour déterminer si une telle pratique doit perdurer ou si une méthode alternative peut se développer.


III- L'assistance médicale à la procréation

A- La confirmation des conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation

En s'appuyant sur le notion d'intérêt de l'enfant, la Haute juridiction ne propose pas d'ouvrir l'assistance médicale à la procréation à une femme seule ou à un couple de femme. Dans le premier cas, cela reviendrait selon elle à fonder une famille sans ascendance paternelle, ce qui pourrait porter préjudice au développement de l'enfant. Dans le second cas, l'admission de l'homoparentalité via l'assistance médicale à la procréation aurait une incidence importante sur le droit de la famille, et il ne semble pas souhaitable qu'une évolution législative sur la reconnaissance de l'homoparentalité passe par le domaine de l'assistance médicale à la procréation qui relève d'une logique spécifique. En effet, l'assistance médicale à la procréation n'a pour but, selon l'article L.2141-2, alinéa 2, que de remédier à l'infertilité constatée médicalement ou d'éviter la transmission d'une maladie génétique d'une particulière gravité.

De même, le Conseil d'Etat recommande de confirmer l'interdiction du transfert d'embryon post-mortem qui place l'enfant né d'un tel transfert dans la position d'enfant né du deuil, ce qui peut provoquer un déséquilibre dans son développement personnel. De plus, une telle technique aurait une incidence importante sur le droit de la famille et il paraît délicat de fixer les conditions dans lesquelles les membres d'un couple consentent, en prévision d'un décès éventuel de l'homme, à l'établissement posthume de la filiation paternelle de l'enfant susceptible de naître.

Compte tenu de ces éléments, le Conseil d'Etat propose une nouvelle rédaction de l'article L.2141-2 du Code de la Santé publique comme suit : « L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination. Ils doivent être mariés, liés par un pacte civil de solidarité ou en mesure d'attester d'une vie commune d'au moins deux ans ».

B- Le levée partielle de l'anonymat des dons de gamètes au bénéfice de la personne qui en est née

La conception française de l'anonymat est radicale et porte à la fois sur l'identité du donneur et sur les données non identifiantes. Pourtant, la demande des enfants nés d'une assistance médicale à la procréation est grandissante et l'exception française ne semble pas compatible avec la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (2).

Le Conseil d'Etat préconise donc d'instaurer, pour les dons à venir, un régime combinant accès à des catégories de données non identifiantes et la possibilité d'une levée de l'anonymat si l'enfant le demande et si le donneur y consent, seule combinaison envisageable entre droit de connaître son origine et droit à l'anonymat. Afin d'encadrer strictement cet accès et limiter les risques de dévoiler l'identité du donneur, le Conseil d'Etat propose de confier cette mission à un organisme similaire au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, chargé de conserver les données et de gérer les demandes d'information et leur communication.

C- Le maintien du principe de la gratuité du don de gamètes

En vertu du principe de non-patrimonialité du corps humain, le don de gamètes doit rester strictement gratuit. Ce principe évite également une dérive mercantile du don. Le Conseil d'Etat rappelle simplement la nécessité de défrayer les donneuses des dépenses engendrées par leur don (transports, pertes de revenus), afin que la démarche ne coûte pas au donneur qui fait acte de générosité.


IV- La confirmation de l'interdiction de la gestation pour autrui

Face à l'évolution des législations des pays voisins, tendant à admettre la gestation pour autrui (Danemark, Royaume-Uni, Pays-Bas...), la question fait débat en France.

En vertu du principe selon lequel le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial, les lois bioéthiques antérieures ont strictement refusé le recours à une telle pratique. Le Conseil d'Etat se prononce en faveur du maintien de l'interdiction actuelle, en s'appuyant sur l'intérêt de l'enfant, les conséquences médicales pour la mère-porteuse et le principe d'indisponibilité de l'état des personnes. Il souligne également que la légalisation d'une telle pratique consacrerait le « droit à l'enfant », notion à laquelle le législateur de 1994 et 2004 s'est fermement opposé.

En revanche, le Conseil d'Etat ne reste pas insensible au sort des enfants nés à l'étranger dans le cadre d'une gestation pour autrui. Aujourd'hui, la France refuse la transcription de l'acte d'état civil étranger à l'état civil français. Il propose que la situation juridique des enfants nés à l'étranger par recours à cette pratique soit aménagée, de façon que ceux-ci ne soient pas pénalisés par le fait que leurs parents d'intention ont eu recours à une pratique interdite en France. Il préconise des solutions ponctuelles comme reconnaître la filiation paternelle de l'enfant à l'égard de son père biologique, et accepter une délégation d'autorité parentale du père à la mère d'intention, ou autoriser l'inscription en marge de l'acte de naissance de l'enfant d'une mention relative au jugement étranger qui a reconnu la mère d'intention comme mère, en prévoyant que cette inscription aurait pour seul effet d'éviter qu'en cas de décès de la mère, une procédure d'adoption plénière par un tiers puisse priver les parents de la mère d'intention de tout lien avec l'enfant.


V- De la bonne utilisation des tests génétiques

A- L'encadrement nécessaire de l'accès aux tests génétiques

Grâce à Internet, il est aujourd'hui possible de recourir à des tests génétiques. Ainsi, sont disponibles des tests de prédisposition qui permettent de définir la probabilité de développement d'une maladie. Cette offre manque cruellement de contrôle et présente un risque majeur dès lors qu'elle n'est nullement encadrée et que la personne ne dispose pas d'une information suffisante pour comprendre la portée de ce type de tests.

Le Conseil d'Etat préconise un renforcement de la législation européenne, qui devrait soumettre la commercialisation de ces tests à une procédure administrative d'autorisation de mise sur le marché, et mettre en place des règles de bonne pratique sur l'utilisation des tests en accès libre. De plus, dans un souci de renforcement de l'information des utilisateurs, il propose de mettre en place un référentiel permettant aux utilisateurs de connaître les caractéristiques et le degré de fiabilité des différents tests disponibles.

B- La réforme du dispositif d'information de la famille

Le Conseil d'Etat propose une nouvelle rédaction de l'article L.1131-1 du Code de la santé publique. En principe, il appartient à la personne utilisatrice du test d'informer les membres de sa famille lorsqu'une maladie génétique grave pouvant être soignée ou prévenue est identifiée. Le Conseil d'Etat préconise de supprimer la procédure actuelle d'information via l'Agence de biomédecine, au profit de l'information directe ou par l'intermédiaire du médecin généticien si la personne concernée est dans l'impossibilité de le faire.

C- La confirmation de la législation relative aux tests génétique permettant la recherche d'un lien de filiation

Dans un souci de paix des familles, il conviendrait de conserver le système actuel qui n'autorise le recours aux tests de paternité que dans le cadre d'une procédure pénale rendant nécessaire une mesure d'enquête ou d'instruction et dans le cadre des actions civiles limitativement énumérées par l'article 16-11 du Code civil (3). Concernant les tests permettant d'établir la filiation paternelle, le Conseil d'Etat propose de confirmer la législation actuelle (4) qui lui semble encadrer strictement cette pratique.

Enfin, les tests de filiation post-mortem actuellement interdits en France semblent contraires à la jurisprudence actuelle de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (5). Le Conseil d'Etat propose de lui substituer un dispositif prévoyant que les tests post-mortem sont possibles sur décision du juge, après mise en balance des intérêts en présence, sauf si l'intéressé s'y est opposé de son vivant, modifiant ainsi la rédaction de l'article 16-11 du Code civil.


VI- Les dons d'organes et de cellules

Le Conseil d'Etat ne propose pas de modifier les conditions qui gouvernent aujourd'hui le don d'organes, mais d'améliorer l'information l'entourant.

Il remarque néanmoins l'augmentation importante des demandes de greffes de sang placentaire et la nécessité y afférente d'augmenter les capacités de stockage du sang de cordon. Actuellement, la France est très déficitaire en matière de stocks de cellules souches hématopoïétiques (6) et doit importer des greffons engageant ainsi des sommes colossales.
L'utilisation du sang placentaire n'est aujourd'hui autorisée qu'à des fins allogènes, en vertu du principe de solidarité. Le Conseil d'Etat ne préconise pas de modifier le système actuel mais met l'accent sur la nécessité d'augmenter le nombre de banques, dans le cadre de structure publique ou privée chargée d'une mission de service public.


VII- L'accompagnement de la fin de vie

La loi n°2005-370 dite Leonetti du 22 avril 2005 pose les principes nécessaires à l'accompagnement des personnes en fin de vie. Elle reconnaît au patient la possibilité de refuser tout traitement et de s'engager ainsi dans un processus de fin de vie et au médecin la possibilité de prendre lui-même une décision d'arrêt de tout traitement si le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté. Le Conseil d'Etat propose une lecture des termes de la loi pour favoriser sa mise en oeuvre et éviter le détournement de la loi au service de l'euthanasie. L'objectif recherché est le respect de la dignité de la personne humaine, et l'atténuation des souffrances en fin de vie.

Le Conseil d'Etat ne pense pas qu'il faille modifier la législation française qui consacre l'interdit de donner la mort. L'accent est donc mis sur l'importance des soins palliatifs qui devrait avoir pour effet de rendre de plus en plus rares, voire inexistantes, les situations d'euthanasie. En effet, le Conseil d'Etat rappelle que l'article L. 1110-9 du Code de la santé publique créé un droit individuel aux soins palliatifs pour les personnes qui le nécessitent.

Pour mettre en œuvre ce droit, il conviendrait d'améliorer la formation des personnels soignants. C'est pourquoi, le Conseil d'Etat préconise de créer une discipline universitaire portant sur les soins palliatifs. De plus, il préconise également de créer une procédure spécifique destinée à aider les patients ou leur famille à obtenir la délivrance des soins palliatifs. En cas de refus, une autorité extérieure pourrait être saisie pour vérifier les conditions de mise en œuvre des soins palliatifs au sein de la structure.


VIII- Les recherches dans les pays en développement

En l'état actuel de la législation, les dispositions applicables aux recherches biomédicales (articles L.1121-1 du Code de la santé publique) ne s'appliquent qu'aux projets de recherche mis en oeuvre sur le territoire national, et non à ceux qui s'appliquent hors du territoire français. Le Conseil d'Etat recommande la création d'un mécanisme national d'examen éthique des protocoles de recherche biomédicale financés, promus ou menés dans les pays étrangers par un Français ou une personne moral de droit français, permettant d'apporter les garanties nécessaires aux institutions de recherche et aux industriels français.


L'architecture du droit de la bioéthique est solide et le Conseil d'Etat, n'apportant finalement que quelques précisions sur son application, ne recommande pas une nouvelle révision dans un délai de cinq. Il conviendra de voir si les Etats Généraux de la Bioéthique qui se tiennent actuellement confirmeront cette position.


Index:
(1) Article L.2131-4-1 du Code de la santé publique
(2) Dans une affaire Odièvre c./ France du 13 février 2003, n°42326/98, la possibilité de levée l'anonymat et la possibilité pour un individu d'accéder à des données non identifiantes sur sa mère biologique assuraient une conciliation des intérêts en présence conforme à l'article 8 de la convention relatif à la protection de la vie privée.
(3) Établissement ou contestation d'un lien de filiation, obtention ou suppression de subsides
(4) Le test de paternité ne peut être autorisé que par l'autorité judiciaire, avec le consentement des personnes intéressées et réalisé par un expert agréé. Le Code pénal sanctionne donc la réalisation et l'utilisation de ces tests en prévoyant une peine d'emprisonnement de 1 an et 1.500 €uros d'amende (article 226-28)
(5) CEDH, 13 juillet 2006, Jäggi c./ Suisse, n°58757/00
(6) Cellules sanguines prélevées sur la moelle osseuse ou dans le placenta

Cet article n'engage que son auteur.

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