Contre les emprunts toxiques des personnes publiques
Publié le :
18/10/2011
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La forte actualité relative aux emprunts toxiques contractés par les personnes publiques met mieux en évidence les caractéristiques des difficultés que leurs remèdes.
Certes, des solutions sont mises en œuvre (établissement de la Charte GISSLER ou gestation d'une Agence Publique de Financement), des dispositions nouvelles ont été prises, réglementaires (Circulaire du 25 juin 2010) ou légales (Loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010), mais celles-ci ne règlent que l'avenir.
Pour le passé et les milliers de personnes publiques concernées, les solutions efficaces sont plus délicates à mettre en œuvre bien que des mesures curatives soient engagées (création d'une commission d'enquête parlementaire sous la présidence de M. Claude BARTOLONE) ou envisagées (mise en œuvre d'une structure de "defeasence" financée par une taxe bancaire).
Toutefois, ces mesures ne sont pas abouties et n'ont pu, à ce jour, purger les problèmes concrètement vécus par les personnes publiques concernées.
D'où pour ces personnes, la nécessaire recherche de solutions curatives individuelles amiables (renégociation des emprunts, médiation) ou contentieuses (actions judiciaires).
Sur ce dernier aspect, les observations que l'ont peut lire ou entendre de part et d'autre demeurent encore très théoriques en l'absence de précédents judiciaires marquants.
En effet, hormis un jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Toulouse, le 27 mars 2008, qui retiendrait pour le banquier une obligation d'information et de conseil précontractuelle lors de la souscription de contrats de swaps pour une société d'HLM , et une Ordonnance de référé du Président du Tribunal de Grande Instance de Nanterre de juin 2011 qui aurait rejeté la demande de la commune de Servian (Hérault) consistant à être autorisée à procéder au remboursement anticipé du capital restant dû de six prêts contractés entre avril 1994 et décembre 2005 , peu de références jurisprudentielles paraissent aujourd'hui disponibles.
Cette rareté, non sans enseignements, complique toutefois pour les personnes publiques et leurs conseils juridiques et/ou judiciaires, l'utilisation de moyens d'action curatifs à l'efficacité éprouvée (1).
Des moyens d'action peuvent néanmoins être déterminés à l'aune du statut particulier de la personne publique qui peut faire valoir des arguments protecteurs qui lui sont propres (2).
1 – Les constats actuels
1.1 La personne publique n'est pas un consommateur
L'Ordonnance susvisée du Juge des référés de Nanterre, apporterait une nette réponse négative : en sa qualité de commune, Servian "ne peut être considérée comme un consommateur".
Cette éviction de la personne publique du statut protecteur du droit de la consommation paraît confirmée tant par :
• la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation dont l'article 3 définit l'emprunteur ou consommateur comme toute "personne physique qui est en relation avec un prêteur dans le cadre d'une opération de crédit, réalisée ou envisagée dans un but étranger à son activité commerciale ou professionnelle";
• le décret n° 2011-135 du 1er février 2011 relatif aux modalités de calcul du taux effectif global dont l'article 1 portant modification de l'article R 313-1 détermine le taux effectif global applicable aux opérations de crédit destinées à financer les besoins des personnes morales de droit public comme celui applicable aux professionnels (par extension non applicable aux crédits à la consommation).
1.2 La personne publique est un emprunteur en principe informé
La personne publique bénéficie comme tout emprunteur d'un devoir d'information du banquier mais pas nécessairement d'un devoir de mise en garde et en principe pas d'un devoir de conseil.
Pour mémoire :
• l'obligation d'information, de nature objective, consiste pour le banquier à communiquer à l'emprunteur des renseignements sincères et précis sur l'opération projetée afin d'éclairer le choix de ce dernier sans prise en considération toutefois de sa situation particulière ;
• l'obligation de conseil, de nature subjective, exige du banquier d'apprécier l'opportunité de l'opération envisagée dans l'objectif d'orienter le choix du cocontractant ;
• l'obligation de mise en garde, intermédiaire des deux précédentes, suppose du banquier qu'il attire l'attention du client sur les risques prévisibles de l'opération envisagée.
En matière de crédit et sauf exception, l'obligation de mise en garde devrait absorber celle de conseil.
Seul l'emprunteur non averti, qu'il soit professionnel ou pas, est bénéficiaire du devoir de mise en garde du banquier selon sa capacité (ou celle de ses membres pour les personnes morales) à mesurer avec justesse la portée de son engagement.
En principe, le devoir de mise en garde du banquier l'est au regard des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts. En outre, le banquier ne devrait consentir qu'un crédit adapté.
En théorie, la personne publique pourrait prétendre au bénéfice du devoir de mise en garde.
En pratique toutefois, une grande majorité de personnes publiques sont à même de mesurer avec justesse la portée de leur engagement et ne devrait pas pouvoir revendiquer un devoir de mise en garde du banquier.
Mais ce raisonnement applicable aux emprunts classiques ne semble pas pouvoir tenir en présence d'emprunts toxiques.
2. Les solutions apportées
2.1 Au regard du particularisme des emprunts toxiques
En effet, un prêt toxique est un mécanisme structuré qui conjugue emprunt amortissable classique et produits dérivés avec des taux variables bas pendant les premières années adossés à des indices dont l'évolution peut faire monter lesdits taux à des niveaux élevés (3).
L'exemple des emprunts adossés sur des indices de change euro/franc suisse est à ce titre illustratif (4) :
• il y a trois ou quatre ans la parité était de 1,5 Franc suisse pour 1 Euro ;
• à 1,44 Franc suisse pour 1 Euro (niveau de référence de nombreux contrats) le taux de l'emprunt passe à 4,5% ;
• à une parité de change de 1,20 (comme actuellement) ou 1,10 Franc suisse pour 1 Euro, les taux d'intérêts peuvent grimper à 15% voire 20%.
Résultat : une commune comme Antibes (Alpes-Maritimes) devrait régler 21 millions d'euros supplémentaires sur les 60 empruntés. Un Hôpital tel celui de Dijon devrait s'acquitter de 31 millions d'intérêts pour un emprunt de 111 millions d'euros (5).
Dans toutes ces circonstances, on sort nécessairement d'une situation classique d'emprunt telle qu'appréhendée par la jurisprudence au regard des obligations d'informations et de mise en garde du banquier.
2.2 La spécificité des remèdes
En effet, un montage spéculatif, suppose du banquier qu'il s'oblige à des obligations renforcées d'information et de mise en garde voire dissuade la personne publique de souscrire de tels emprunts.
En tout état de cause, les opérations spéculatives sont interdites aux collectivités publiques en application de l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales.
Mais il n'en est pas de même de celles qui comportent une donnée spéculative susceptible de faire lourdement augmenter la charge de l'emprunt de la personne publique.
Il en est ainsi lorsque la charge de l'emprunt structuré dépasse celle d'un emprunt classique dans la fourchette haute des taux d'intérêts fixes pratiqués à l'époque de la souscription du crédit structuré.
Ces opérations peuvent donc être périlleuses pour une personne publique.
On peut toutefois y objecter que l'emprunteur, gagnant aux époques de taux faibles, ne peut décemment se plaindre d'être perdant lorsque les taux deviennent élevés, ce compte tenu du caractère éminemment aléatoire de l'opération.
Toutefois, il existe des différences notables de situation entre le prêteur et l'emprunteur pouvant générer même un doute pour certains contrats, qu'il existât un aléa pour le prêteur ; autrement dit que le mécanisme mis en place ne soit pas nécessairement défavorable à l'emprunteur dès l'origine voire même dolosif.
Si l'emprunteur est gagnant en présence de taux faibles, le prêteur n'est pas symétriquement perdant. Tout dépend pour lui du coût de son refinancement. S'il est également faible, l'opération ne lui sera pas nécessairement défavorable. L'évolution des taux impacte sa rentabilité, pas sa situation patrimoniale ce à la différence de l'emprunteur.
A son égard, il faut également tenir compte d'autres paramètres tenant à sa gestion bilancielle notamment celle de ses actifs.
A contrario et on le constate aujourd'hui, une personne publique devant verser de lourds intérêts suite à une forte remontée des taux, ne peut trouver à se refinancer idéalement sauf à augmenter le poids de son endettement en souscrivant de nouveaux emprunts dont la légalité serait douteuse ou en accroissant ses prélèvements fiscaux dont l'opportunité serait contestable.
Enfin, l'argument selon lequel, la situation actuelle n'étant pas prévisible, nul grief de principe ne pourrait être fait aux établissements prêteurs, ne semble pas pertinent.
Depuis les années 1970, les cycles économiques des pays non émergents sont de plus en plus courts, les périodes de croissance succédant à celles de crise (de nature certes différentes) dans une proportion plus forte pour ces dernières.
Il s'en évince que pour tout crédit structuré à long terme, il est très difficile voire impossible pour un prêteur de réaliser des projections fiables donc de fournir une information sérieuse à l'emprunteur.
En cela, les crédits structurés a fortiori ceux toxiques constituent par nature des produits qui ne devraient pas être proposés aux personnes publiques ou à tout le moins leur être déconseillés.
Si pour les personnes privées, une telle obligation de dissuasion n'est que ponctuellement admise au regard de la situation patrimoniale du client de la banque qui ne peut se permettre de prendre un risque de perte de capital (6), pour les personnes publiques, cette obligation devrait être générale.
A contrario, les prêteurs s'exposent à voir leur responsabilité engagée.
Index:
(1) V. Gabriel ECKERT, "Emprunts toxiques des collectivités territoriales. Quelles conséquences en tirer" – AJDA 2011, p. 1712.
(2) V. Le MONDE, édition en ligne du 28 septembre 2011.
(3) v. notamment "Emprunts toxiques des personnes publiques : enjeux et moyens d'action" par S. ASENCIO et X. HEYMANS, site Eurojuris France.
(4) Exemple tiré de LES ECHOS, édition en ligne du 3 octobre 2011.
(5) Sources Europe 1.
(6) V. Clémentine Bourgeois et Stéphane Asencio : "L'obligation de mise en garde du banquier en matière d'opérations spéculatives : vers une obligation de dissuasion des investisseurs" – La Revue du Financier 2010, n° 185 p. 23.
L'auteur de cet article:Stéphane ASENCIO, avocat à Bordeaux
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © gunnar3000 - Fotolia.com
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