Fonctionnalité "Google suggest" et atteinte aux droits d'auteur ou aux droits voisins

Publié le : 10/09/2012 10 septembre sept. 09 2012

Les titulaires de droits peuvent obtenir de Google la suppression des suggestions de recherche (Google Suggest) vers des sites internet favorisant l’atteinte à des droits d’auteur ou voisins.

Google suggest et atteinte aux droits d'auteurGoogle a déjà été condamné par le passé, sur le fondement de la contrefaçon de droit d’auteur, pour ses services Google Images et Google Vidéos.

Dans une décision en date du 12 juillet 2012, la Cour de Cassation s’est attaquée à un autre service du moteur de recherche Google, à savoir Google Suggest dont le principe est de proposer aux internautes des termes de recherche supplémentaires associés automatiquement à ceux de la requête initiale.


Les décisions relatives à la fonctionnalité « Google Suggest » étaient certes déjà nombreuses, en particulier sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, s’agissant des suggestions de termes injurieux ou diffamatoires (ex, TGI Paris, 17ème ch., 17/02/2012, Kriss Laure), mais dans l’affaire dont était saisie la Cour Suprême française, c’est à l’épreuve du droit d’auteur qu’était jugée la fonctionnalité litigieuse.

Le Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP) se plaignait en effet que Google Suggest suggérait systématiquement d'associer à la saisie de requêtes portant sur des noms d'artistes ou sur des titres de chansons ou d'albums et par exemple les mots-clés « Torrent », « Megaupload » ou « Rapidshare », qui sont les systèmes biens connus d'échange ou d'hébergement de fichiers téléchargement.
Le SNEP demandait la suppression des termes « Torrent », « Megaupload » et « Rapidshare » des suggestions proposées sur le moteur de recherche.

L’originalité de cette demande de suppression des termes incriminés portait sur le fait qu’elle était fondée sur l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle introduit par la loi HADOPI du 12 juin 2009, lequel prévoit un moyen d’action plutôt méconnu en cessation spécifique en matière de droit d'auteur : « En présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visées à l'article L. 321-1 ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. »

La Cour d’appel de Paris avait donné raison à Google en jugeant que la suggestion de sites ne constituait pas, en elle-même, une atteinte au droit d’auteur (CA Paris, 3 mai 2011).
L’arrêt de la Cour de Cassation était donc attendu avec impatience.

Et la Cour de cassation tranche le débat en faveur des titulaires de droits : ceux-ci peuvent obtenir de Google la suppression des suggestions de recherche vers des sites internet favorisant l’atteinte à des droits d’auteur ou voisins.

Selon la Cour de Cassation, Google Suggest oriente systématiquement les internautes, par l'apparition des mots-clés suggérés en fonction du nombre de requêtes, vers des sites comportant des enregistrements mis à la disposition du public de manière illicite (ex, Megaupload), de sorte que ce service « offrait les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins ». S’agissant des demandes de suppression des suggestions de recherche, la Cour les valident en expliquant qu’elles « contribue[nt] à y remédier [aux atteintes aux droits] en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux, sans, pour autant, qu'il y ait lieu d'en attendre une efficacité totale ».

Cet arrêt est important car c’est le premier arrêt de cassation portant sur l’application de l’article L 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, et il vient consacrer une arme juridique efficace à la disposition des titulaires de droits s’agissant des atteintes commises sur internet.

Sans pour autant contraindre les intermédiaires techniques d’internet à une obligation de filtrage préalable, mesure qui ne serait pas conforme au droit communautaire, la solution retenue par la Cour va contraindre Google, mais aussi les fournisseurs d’accès ou intermédiaires d’internet, à corriger leurs services, ou à les limiter, lorsque les services mis en place offrent, selon la formule de la Cour,« des moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins ».

La Cour de Cassation fait le choix d’une application large et assez généreuse du dispositif de l’article L 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, protectrice des intérêts des titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins (ex, artistes-interprètes).

Cette décision sera certainement vertement critiquée par les partisans de la suppression de l’HADOPI et autres abolitionnistes du droit d’auteur, notamment sur internet, ou par tous ceux qui plus généralement, trouvent décidément que droit d’auteur et internet ont du mal à se comprendre ou à se parler.

Il est assez probable qu’il y ait aussi de la résistance de la part des intermédiaires techniques de l’internet, douchés par cette cassation un peu inattendue. D’autant que la Cour prend ses aises avec le texte de l’article L 336-2 : en effet, alors que le texte réclame d’être « En présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par un service de communication au public en ligne », la Cour retient simplement que « ce service offrait les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins », ce qui cible les moyens offerts par le service Google Suggest, alors que l’acte de contrefaçon n’est pas commis par Google, voire peut ne pas être commis du tout.

Enfin, la suppression des suggestions de recherches comme remède est considérée par la Cour comme une « mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur », mais « sans, pour autant, qu'il y ait lieu d'en attendre une efficacité totale », ce qui est une réserve étonnante s’agissant de l’intérêt de la mesure, surtout quand se rappelle que, s’agissant du champ des mesures possibles, le Conseil Constitutionnel les avaient limitées (par souci de protection de la liberté d’expression) à celles qui sont « strictement nécessaires à la préservation » du droit d'auteur et des droits voisins (Cons. const., déc. 10 juin 2009, n° 2009-580).





Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

HERPE François
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
PARIS (75)
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