MARQUES FIGURATIVES - LE TRIBUNAL DE L’UE DÉBOUTE CHANEL DE SON ACTION CONTRE HUAWEI
Publié le :
02/06/2021
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Dans un arrêt du 21 avril 2021, le Tribunal de l’Union européenne a fait échec au recours de Chanel contre l’enregistrement de la marque demandée par Huawei, en jugeant que les marques en cause doivent être appréciées dans l’orientation selon laquelle elles sont déposées ou enregistrées, indépendamment de leur éventuelle rotation lors de leur utilisation sur le marché.
Le 26 septembre 2017, Huawei Technologies Co. Ltd a déposé une demande d’enregistrement de la marque figurative de l’UE suivante, visant une longue liste de produits en classe 9[1] :
Cette demande de marque a été publiée le 11 octobre 2017, faisant dès lors courir le délai de 3 mois permettant au titulaire d’une marque antérieure de s’opposer à l’enregistrement de la marque.
Chanel a ainsi formé opposition le 28 décembre 2017 en invoquant les deux logos suivants, enregistrés en tant que marques figuratives :
- Sa marque figurative française n°3977077 désignant notamment les produits de la classe 9 « Caméras, lunettes de soleil, lunettes ; écouteurs et casques ; matériel informatique », en se basant sur le risque de confusion prévu par l’article 8.1 b) du règlement 2017/1001[2] sur la marque de l’UE :
- Sa marque figurative française n°1334490 enregistrée pour les produits des classes 3, 14, 18 et 25, « Parfums, produits cosmétiques, bijoux fantaisie, articles en cuir, vêtements », en se basant sur la protection de la marque renommée prévue par l’article 8.5 du même règlement :
Le 19 mars 2019, la division d’opposition de l’EUIPO a rejeté l’opposition formée par la maison de haute-couture française, qui a formé un nouveau recours contre cette décision le 14 mai 2019.
Le 28 novembre 2019, la 4ème chambre de recours de l’EUIPO a également rejeté les arguments invoqués par Chanel, estimant qu’il n’y avait pas de risque de confusion sur le premier fondement invoqué, et que l’une des conditions permettant de caractériser la protection d’une marque renommée n’était pas remplie.
Chanel a dès lors saisi le Tribunal de l’UE (TUE), qui vient de rendre sa décision en donnant raison à l’entreprise chinoise de smartphones.
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Concernant la prétendue renommée de la marque Chanel
A l’appui de son argumentaire, Chanel invoque l’article 8 paragraphe 5 du règlement n°207/2009 qui permet de faire échec à l’enregistrement d’une marque identique ou similaire à une marque antérieure renommée[3], quand bien même les produits et services visés par la demande de marque ne seraient pas identiques ou similaires à ceux visés par la marque antérieure.
Cette protection est accordée lorsque les 3 conditions suivantes sont remplies :
- l’identité ou la similitude des marques en conflit ;
- l’existence d’une renommée de la marque antérieure ;
- l’usage sans juste motif de la marque demandée qui tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qui lui porterait préjudice.
Sur le plan visuel, Chanel reconnaît que les marques en cause sont globalement similaires à un degré moyen voire moyen à faible lorsqu’elles sont prises en compte dans l’orientation dans laquelle elles sont déposées. Elle estime en revanche qu’en effectuant une rotation de la demande de marque Huawei à 90 degrés, la similitude entre les signes en cause passe à un degré de moyen à fort.
Selon le couturier français, il serait en effet possible, « de tenir compte d’une orientation différente de la marque si elle correspond à la perception que, indépendamment des intentions de son titulaire, le public pourrait en avoir lorsque la marque est apposée sur des produits mis sur le marché ».
Le TUE n’est toutefois pas de cet avis.
Il rappelle la jurisprudence de l’UE estimant que les signes doivent être comparés dans la forme dans laquelle ils sont protégés, peu important leur usage réel ou potentiel pour les marques enregistrées[4].
Le Tribunal en conclut ainsi qu’ « il y a lieu de comparer la marque prétendument renommée dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée et la marque demandée dans la forme sous laquelle elle a été demandée indépendamment de toute éventuelle rotation lors de leur utilisation sur le marché » (§32).
Le TUE se livre ensuite à la comparaison des logos. Il considère que, si les marques figuratives partagent certaines caractéristiques (le cercle noir, les deux courbes entrelacées que ledit cercle entoure et l’ellipse centrale formée par l’entrecroisement des courbes), elles présentent également de nombreuses différences visuelles, à savoir :
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- la forme plus arrondie des courbes (ressemblant à deux lettres « c ») par rapport à l’image de la lettre « h » ;
- la stylisation différente des courbes et de leur disposition (horizontale pour l’une, verticale pour l’autre)
- l’orientation de l’ellipse centrale (horizontale pour l’une, verticale pour l’autre) ;
- l’épaisseur des traits des courbes et du cercle ;
- l’intersection des courbes entrelacées (visible sur la demande de marque Huawei où le trait s’interrompt au point de croisement des courbes, ce qui n’est pas le cas pour la marque Chanel) ;
- l’écart entre le trait formant le cercle et les extrémités des courbes qui diffère selon les marques.
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Le TUE a considéré que les marques en cause sont globalement différentes au plan visuel, rappelant notamment que la présence commune de deux courbes entrelacées au sein d’un cercle de couleur noire est un élément géométrique banal.
Le Tribunal juge ensuite que la comparaison phonétique n’a pas lieu d’être en présence de marques figuratives dans la mesure où elles ne peuvent être prononcées.
Sur le plan conceptuel, Chanel faisait valoir qu’il n’y avait pas lieu d’opérer de comparaison étant donné que les signes n’ont pas de signification et ne véhiculent aucun concept.
Le Tribunal, quant à lui, relève que la marque antérieure renommée fait référence aux initiales de la fondatrice de la maison de couture tandis que la marque demandée par Huawei renvoie à la lettre « h » stylisée ou à deux lettres « u » entrelacées. Il en déduit que les marques doivent être considérées comme différentes conceptuellement.
Les deux marques étant jugées comme différentes sur les plans visuel et conceptuel, le TUE rejette les arguments invoqués par Chanel s’agissant de sa marque prétendument renommée.
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Concernant le risque de confusion entre les logos Chanel et Huawei
Sur ce point, Chanel se fonde sur l’article 8 paragraphe 1, b) du règlement 207/2009 qui permet au titulaire d’une marque antérieure de faire échec à l’enregistrement d’une marque demandée dès lors qu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire de protection de la marque antérieure en raison :
- d’une identité ou d’une similitude des signes en cause ;
- et d’une identité ou d’une similitude des produits visés par les marques en cause.
Sur ce point, le TUE a rappelé sa position précédemment évoquée concernant l’orientation des signes à prendre en compte.
Chanel était ici dans une position plus délicate quant à la marque qu’elle invoque puisque celle-ci, à la différence de la précédente invoquée sur l’argument de la renommée, ne comporte pas de cercle entourant les deux courbes entrelacées.
Le TUE ne manque évidemment pas de le souligner, jugeant que l’absence de cercle et de l’agencement en résultant « exclut toute similitude sur le plan visuel ».
L’absence de similitude visuelle entre les signes rend dès lors inutile l’examen des autres facteurs pertinents pour apprécier le risque de confusion, qui n’est ainsi pas caractérisé.
Conclusion :
La décision du Tribunal de l’UE a été l’occasion de rappeler l’orientation du signe à prendre en compte pour la comparaison des marques en cause, à savoir celle faisant l’objet d’une protection (orientation demandée pour une demande de marque ; orientation pour laquelle la marque a été enregistrée s’agissant d’une marque enregistrée), sans que l’usage réel ou supposé de la marque lors de son utilisation sur le marché ne soit pris en considération.
Cette solution a le mérite de cantonner le domaine de protection de la marque antérieure à celui pour lequel elle a fait l’objet d’un enregistrement, notamment dans l’hypothèse où l’argument de la marque renommée serait retenu par l’EUIPO ou par un juge puisqu’une telle marque bénéficie d’une protection étendue en matière de produits et services.
Elargir davantage ce périmètre en tenant compte de toutes les orientations potentielles de la marque enregistrée lors de son utilisation sur le marché reviendrait en effet à bloquer significativement les possibilités d’enregistrement de marques par des tiers.
Chanel a la possibilité de former un pourvoi contre la décision du TUE, devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Ainsi, la « bataille des logos »[5] entre Chanel et Huawei n’est sans doute pas encore terminée.
[1] Cette classe de produits vise notamment les appareils, équipements et accessoires audiovisuels et de technologies de l’information.
[2] Ce règlement remplace le règlement 207/2009 sur la marque communautaire, applicable au litige compte tenu de la date de la demande d’enregistrement de la marque Huawei. Les numéros et les dispositions des articles invoqués dans la présente affaire sont toutefois inchangés dans les deux règlements (si ce n’est le remplacement de la “marque communautaire” par la “marque de l’UE”).
[3] Cette marque antérieure pouvant être une marque de l’Union européenne jouissant d’une renommée dans l’UE ou une marque nationale jouissant d’une renommée dans l’Etat membre concerné.
[4] Le TUE fait référence à l’arrêt du 20 avril 2018, Mitrakos/EUIPO – Belasco Baquedano(YAMAS), T‑15/17, non publié, EU:T:2018:198, point 34: “il convient de rappeler que, lors de l’appréciation de l’identité ou de la similitude, les signes doivent être comparés dans la forme dans laquelle ils sont protégés, c’est-à-dire dans la forme dans laquelle ils sont enregistrés ou demandés. L’usage réel ou potentiel des marques enregistrées sous une autre forme est dénué de pertinence lors de la comparaison de signes [arrêt du 9 avril 2014, Pico Food/OHMI – Sobieraj (MILANÓWEK CREAM FUDGE), T623/11, EU:T:2014:199, point 38].” La même position avait été retenue dans un arrêt du Tribunal du 8 décembre 2005, Castellblanch/OHMI – Champagne Roederer (CRISTAL CASTELLBLANCH), T29/04, Rec. p. II5309, point 57.
Auteur
Capucine HAMON
Avocate Collaboratrice
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS
PARIS (75)
Historique
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