La fiducie, définition et mécanisme
Publié le :
07/08/2009
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Les avantages de cette technique contractuelle cousine du trust, au niveau gestion et sûreté du patrimoine par un tiers, sont tels que de grands groupes français ayant un pied à l’étranger l’ont utilisée dans les législations qui le permettent.
La fiducie, un transfert temporaire de propriétéLa fiducia c’est la confiance, le contrat de fiducie repose donc sur la confiance.
Cette technique latine ressurgit après une interruption due à la méfiance que la Révolution française puis l’administration fiscale avaient à son égard et il a fallu de nombreuses années de discussion pour l’adopter.
Cette technique contractuelle cousine du trust existe dans d’autres pays notamment anglo-saxons depuis longtemps et ses avantages au niveau gestion et sûreté du patrimoine par un tiers sont telles que de grands groupes français ayant un pied, voire leur tête, à l’étranger l’ont utilisée dans les législations qui le permettent.
La difficulté d’assurer une transparence fiscale en évitant la fraude, a fait que cette technique n’a pas été étudiée dans le cadre de la réforme du droit des sûretés, mais menée à part essentiellement par le Ministère des Finances avec le Ministère de la Justice.
Depuis 1992, un projet de loi était élaboré mais il a fallu attendre le 19 février 2007 pour que l’institution soit adoptée et encore n’était-elle réservée qu’à certains constituants.
La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants (appelés aussi fiduciants) transfère des biens, des droits ou des sûretés ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leurs patrimoines propres, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires (article 2011 du Code Civil).
Cette définition très complète détermine par elle-même le régime de la fiducie dont la source peut être soit la loi soit le contrat, mais qui en tout état de cause doit être exprès (article 2012 du Code Civil).
La seule limite à l’objet de la fiducie est la nullité instituée par la loi si ce contrat procède d’une intention libérale au profit du bénéficiaire et cette nullité est d’ordre public (article 2013 du Code Civil).
I- Le mécanisme et ses applications
II- Les conditions
III- Les acteurs et leurs obligations
IV- La fiducie et la procédure collective
I. Le mécanisme et ses applications :
a. Le transfert de propriété :
Le constituant transfère un patrimoine affecté à des fins de gestion ou de sûreté au fiduciaire qui doit le détenir séparément de son propre patrimoine.
Toutefois, ce transfert n’est pas définitif, le but étant qu’à l’issue du contrat, soit qu’il soit à une durée déterminée, soit qu’il ait rempli son objet, les biens constituant le patrimoine fiduciaire doivent être remis à un bénéficiaire qui peut d’ailleurs être le constituant lui-même.
C’est donc un transfert temporaire de propriété.
b. Les biens :
Sont susceptibles de fiducie tous les biens, droits, ensemble de biens ou de droits, sûretés présents ou futurs à condition qu’ils soient déterminables.
Ces biens seront corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers.
La question se pose de savoir si peuvent être cédés des contrats notamment des contrats à exécution successive : rien ne semble l’interdire.
La question est aussi de savoir si ce patrimoine peut comprendre des biens étrangers.
La solution dépend du droit international privé et s’il s’agit de biens corporels, il ne devrait pas y avoir de difficultés par contre pour les immeubles encore faut-il que la loi du lieu de l’immeuble le permette.
Enfin, on peut penser que peut être transmis au fiduciaire un passif si le débiteur en est d’accord.
Les applications peuvent être innombrables : des patrimoines successoraux aux entreprises en difficulté en passant par les créances, les collections de tableaux etc.
c. Le but :
Le but du contrat de fiducie doit être déterminé et à titre onéreux au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires déterminés ou non ; le bénéficiaire peut être acceptant auquel cas l’acceptation n’est pas révocable (comme en matière d’assurance-vie) ou non acceptant au quel cas il peut être modifié.
d. Les applications :
Il s’agit essentiellement d’une part de la fiducie gestion du patrimoine d’une personne physique (depuis la loi du 4 août 2008) ou morale susceptible d’être considérée comme à protéger ou non, ce qui pose la question de la concurrence avec les mesures de sauvegarde de justice.
Il s’agit également de la fiducie sûreté permettant au créancier d’être ou non le fiduciaire et dans ce dernier cas en cas de défaillance du constituant de se voir attribuer le patrimoine fiduciaire non plus à temps partiel mais définitivement ce qui pose la question de l’interdiction de la clause de voie parée.
Cette sûreté peut être avec dépossession, le patrimoine étant physiquement ou non (avec ou sans dépossession), transmis au fiduciaire avec inscription sur le registre des fiducies obligatoirement tenu auprès de l’administration des impôts, puis sur un registre national à créer. En cas d'absence de dépossession le fiduciaire peut alors consentir sur le modèle du gage immobilier sans dépossession (anciennement antichrèse) un bail au constituant.
II. Les conditions :
a. Les conditions de forme :
Il faut un contrat écrit à moins que la fiducie ne procède de la loi.
Ce contrat doit être curieusement notarié si les biens transférés dans le patrimoine fiduciaire dépendent d’une communauté existant entre des époux ou d’une indivision, le tout à peine de nullité.
Cette exigence est très supérieure à celle de l’article 1415 du Code Civil qui ne nécessite pas d’acte notarié pour le consentement d’un époux à l’engagement de l’autre relatif à un emprunt ou une caution.
Il ne se justifie que par la satisfaction donnée à la revendication d’une profession au détriment des autres.
Le contrat doit être enregistré au service des impôts du siège du fiduciaire ou des non résidents si le fiduciaire n’est pas domicilié en France.
Le contrat doit être formé par acte authentique lorsqu’il porte sur des immeubles ou des droits réels immobiliers et publié aux hypothèques.
La transmission ultérieure des droits résultant d’un contrat de fiducie doit également donner lieu à un acte écrit enregistré dans les mêmes conditions.
Enfin, selon des modalités précisées ultérieurement par décret en Conseil d’Etat, il y aura un Registre national des fiducies.
Si le décret du 19 février 2007 règle la déclaration d’existence de la fiducie auprès de l’administration des impôts, celui relatif au registre national n’est pas encore paru.
b. Les conditions de fond :
b-1 Conditions communes à tout contrat :
Le contrat de fiducie doit répondre aux conditions de validité de tout contrat à savoir :
- Capacité des contractants qui seront dénommés dans la partie suivante consacrée aux acteurs.
- Validité des consentements.
- Existence et licéité de l’objet.
- Bien que cela soit remis en question par la future réforme des droits et obligations, existence et licéité de la cause.
Il est précisé qu’est illicite tout ce qui est contraire à la loi, aux bonnes mœurs et à l’ordre public.
Au surplus les biens susceptibles de fiducie doivent être dans le commerce.
b-2 Conditions spécifiques :
Le contrat de fiducie doit déterminer, à peine de nullité :
1. les biens, droits ou sûretés transférés.
S’ils sont futurs, ils doivent être déterminables.
2. La durée du transfert, qui ne peut excéder 99 ans à compter de la signature du contrat ;
3. L’identité du ou des constituants ;
4. L’identité du ou des fiduciaires ;
5. L’identité du ou des bénéficiaires ou, à défaut les règles permettant leur désignation ;
6. La mission du ou des fiduciaires et l’étendue de leurs pouvoirs d’administration et de disposition.
(article 2018 du Code Civil).
Bien entendu il faut également que le fiduciaire soit dans les catégories autorisées, ce qui sera vu également ci-dessous dans la troisième partie sur les acteurs.
La fiducie ne doit pas résulter d’une intention libérale pour éviter tout soupçon de fraude aux lois sur les successions et les libéralités (donation ou legs).
III. Les acteurs et leurs obligations
Il y a quatre acteurs si l’on excepte le rédacteur du contrat et l’administration des impôts.
a. Le constituant :
Initialement, la loi du 19 février 2007, pour des raisons de prudence, prévoyait que seule une personne morale pouvait transmettre temporairement une partie de son patrimoine à des tiers.
La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a permis à toute personne physique de constituer une fiducie dans la mesure où elle est capable.
Une personne juridique française étant, depuis la théorie de Messieurs AUBRY et RAU, titulaire d’un seul patrimoine unique incessible, l’institution de la fiducie est une entorse à la théorie juridique française.
Elle amorce un premier pas vers un patrimoine d’affectation que le législateur des procédures collectives de redressement et de liquidation judiciaire n’a pas encore osé adopter.
Incessible, car indissociable de la personne, ce patrimoine constitue le droit de gage général des créanciers.
L’institution de la fiducie écorne grandement ces principes.
b. Le fiduciaire :
Aux termes des dispositions de la loi du 19 février 2007, la qualité de fiduciaire était ouverte seulement :
- aux établissements de crédit.
- au Trésor Public, à la banque de France, à la Poste, à la Caisse des dépôts et consignations, aux institutions d’Emission d’Outre-mer et des départements d’outremer.
- aux entreprises d’investissement autres que les établissements de crédit.
- aux entreprises d’assurance.
Le législateur avait peur que l’importance des obligations déclaratives incombant au fiduciaire crée un conflit avec le secret professionnel pesant sur les professions juridiques et judiciaires.
Toutefois, l’ordonnance n°2009-112 du 30 janvier 2009, portant diverses mesures relatives à la fiducie, a étendu aux avocats la possibilité d’être fiduciaires.
Cette activité étant nouvelle par rapport au corps de métier d’avocat, nécessite un encadrement déontologique pour limiter les risques de responsabilité professionnelle.
C’est la raison pour laquelle le Conseil National des Barreaux doté du pouvoir normatif a pris une décision le 24 avril 2009 portant réforme du règlement intérieur national en ajoutant un article 6.2.1 à celui-ci relatif à l’activité de fiduciaire.
L’avocat reste toutefois tenu à ses règles déontologiques de secret professionnel, d’indépendance, de gestion des conflits d’intérêt et d’incompatibilité de certaines activités.
Les missions du fiduciaire correspondront aux deux types de mission :
- Pour la fiducie gestion, le fiduciaire doit remplir les conditions générales du Code Civil et de gérer en bon père de famille.
Il peut déléguer cette gestion à un tiers.
La responsabilité restera au fiduciaire.
Dans la fiducie gestion, le fiduciaire peut avoir également une mission de recouvrement des créances qui lui sont temporairement cédées.
- Dans la fiducie sûreté, le fiduciaire qu’il soit créancier ou non, sera tenu des mêmes obligations de conservation du patrimoine affecté, de valorisation de celui-ci et de restitution.
En tout état de cause, le fiduciaire sera tenu à une reddition des comptes.
Enfin le fiduciaire aura la responsabilité du transfert au bénéficiaire des actifs fiduciaires à la fin du contrat, soit les actifs eux-mêmes, soit s’ils sont fongibles ou s’ils mettent en péril le produit de leur vente.
En tout état de cause, le contrat peut prévoir que le fiduciaire laisse le constituant détenir les biens.
c. Le bénéficiaire :
Le constituant peut être bénéficiaire d’une fiducie gestion lorsque la cause de ce contrat aura disparu (fin d’une nécessité de protection, respect des obligations de paiement permettant la réintégration du patrimoine affecté à titre de sûreté etc.).
Avant acceptation, le bénéficiaire n’a aucun droit.
Après acceptation, le bénéficiaire a tous les droits et ne peut être changé et c’est à lui que le fiduciaire devra transférer les biens.
Les règles des contrats d’assurance-vie se retrouvent ici.
d. Le tiers protecteur :
La confiance se mérite mais elle est parfois limitée à un tel point que le constituant, en accord avec le fiduciaire, peut désigner un tiers protecteur du patrimoine fiduciaire afin de surveiller qu’il reste juridiquement séparé du patrimoine propre du fiduciaire, qu’il soit détenu, conservé et géré conformément aux règles des obligations de droit français et que se fasse dans les conditions prévues et à la personne désignée le transfert en fin de contrat.
Ce tiers protecteur peut être bien entendu un professionnel : avocat par exemple.
Le tiers protecteur disposera des pouvoirs que la loi accorde au constituant dans le cas de la préservation de ses intérêts.
L’article 2007 du Code Civil qui institue ce tiers protecteur interdit qu’il soit renoncé à cette faculté lorsque le constituant est une personne physique.
IV. La fiducie et la procédure collective :
La tentation de transférer à un tiers une partie d’un patrimoine peut résulter d’une intention frauduleuse à l’égard de ses créanciers.
L’intérêt d’une sûreté et son efficacité c’est d’échapper aux procédures collectives.
La Loi du 19 février 2007 relative à la fiducie dans le Code Civil a institué un article 2024 du Code civil qui règle partiellement la question.
Mais l’ordonnance du 18 décembre 2008 réformant les procédures de sauvegarde de redressement et de liquidation judiciaire a apporté des limitations.
Il faut d’abord aborder l’absence d’effet de la procédure collective sur la fiducie pour aborder ensuite l’effet qu’elle peut avoir.
Pour cela, il faut étudier la procédure collective du fiduciaire puis celle du constituant.
a. Procédure collective du fiduciaire :
Aux termes de l’article 2024 du Code Civil, l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire au profit du fiduciaire n’affecte pas le patrimoine fiduciaire.
Le patrimoine fiduciaire va donc échapper à cette procédure collective comme il échappe aux créanciers du constituant et aux créanciers du fiduciaire puisque l’article 2025 du même Code précise qu’en dehors de toute procédure collective, ce patrimoine ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine.
Pour préserver ses droits, le fiduciaire doit d’ailleurs faire expressément mention qu’il agit pour le compte de la fiducie lorsque c’est le cas (article 2021 du Code Civil).
b. La procédure collective du constituant :
L’on peut penser que c’est la tentation de fraude la plus importante.
C’est d’ailleurs ce qui est le plus réglementé.
L’ordonnance du 18 décembre 2008 a modifié l’article L632-1 du Code Civil prévoyant le cas de nullité des actes intervenus depuis la date de cessation des paiements en y rajoutant :
Un neuvièmement :
« Tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire, à moins que ce transfert ne soit intervenu à titre de garantie d’une dette concomitamment contractée » ;
Et un dixièmement :
« Tout avenant à un contrat de fiducie affectant des droits ou biens déjà transférés dans un patrimoine fiduciaire à la garantie de dette contractée antérieurement à cet avenant ».
Mais, en cas de liquidation judiciaire, la même ordonnance a rajouté un article L641-12-1 au Code de Commerce ainsi libellé :
« Si le débiteur est constituant et seul bénéficiaire d’un contrat de fiducie, l’ouverture, le prononcé d’une liquidation judiciaire à son égard entraîne la résiliation de plein droit de ce contrat et le retour dans son patrimoine des droits, biens ou sûretés présents dans le patrimoine fiduciaire ».
En résumé, on protégera le constituant de la procédure collective du fiduciaire, les autres créanciers des fiducies sûretés consenties ou ayant fait l’objet d’un avenant pour dette antérieurement contractée, et l’ensemble des créanciers d’un constituant présumé fraudeur lorsqu’il est le bénéficiaire de la fiducie.
Restera à savoir si les actions pour fraude de l’article 1167 du Code Civil ne seront pas reçues dans d’autres cas notamment si le bénéficiaire d’un contrat de fiducie est un proche, un associé, une filiale du constituant lorsque la procédure collective de celui-ci sera une liquidation judiciaire.
L’action appartiendra donc au liquidateur.
La fiducie se présente donc avec ses deux aspects de gestion et de sûreté comme une technique extraordinaire du droit civil français, dérogeant à l’unicité de patrimoine mais permettant des solutions nouvelles complémentaires ou substitutives des différentes techniques juridiques déjà adoptées pour protéger le faible, garantir le créancier, assurer le recouvrement ou porter des cessions de créances ou des titres ou parts de société.
Deux autres articles du présent site aborderont les différents aspects et utilisations de la fiducie ainsi que le rôle de l’avocat dans celle-ci.
Il en faudrait un quatrième pour étudier l’aspect fiscal de la fiducie au niveau des droits d’enregistrement du contrat de fiducie et des conséquences de celui-ci sur l’imposition de ses acteurs à l’impôt sur le revenu, et ceux sur les sociétés, les plus-values, l’impôt de solidarité sur la fortune, la TVA etc.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
PROVANSAL Alain
Avocat Honoraire
Eklar Avocats
MARSEILLE (13)
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