Protection du littoral et droit de propriété
Publié le :
04/05/2010
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La CEDH a validé la démolition sans indemnisation de maisons édifiées sur le domaine public maritime et considère qu’elle n’est pas contraire au droit au respect des biens protégés par l’article 1er du protocole n° 1 de la CEDH.
Démolition non indemnisée d'une maison implantée sur le domaine public maritime
La CEDH, dans deux arrêts du 29 mars 2010 (1), valide la démolition sans indemnisation de maisons édifiées sur le domaine public maritime et considère qu’elle n’est pas contraire au droit au respect des biens protégés par l’article 1er du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Les arrêts du 29 mars 2010 concernaient des occupants du domaine public maritime, en l’occurrence dans le Golfe du Morbihan, dont la situation - régulière ab initio - avait basculé dans l’illégalité après plusieurs décennies, faute de renouvellement de leurs titres respectifs.
Le Juge administratif avait condamné les intéressés pour contravention de grande voirie avec injonction de remettre les lieux en état (CE 6-03-2002 : n° 217647, Depalle ; CE 6-03-2002 : n° 217646, Triboulet, Brosset-Pospisil).
La question principale que devait trancher la Cour Européenne dans le cadre de ces deux litiges était la suivante : le refus des autorités administratives lié à l’entrée en vigueur de la Loi Littoral du 3 janvier 1986 d’autoriser des particuliers à continuer d’occuper des parcelles du domaine public maritime sur lesquelles sont édifiées les maisons leur appartenant et l’injonction qui leur est faite de détruire ces dernières (à leurs frais et sans indemnisation) porte-t-il atteinte au droit de propriété garanti par l’article 1er du protocole n° 1 ?
Les faits de l’espèce Brosset – Triboulet étaient les suivants : Par arrêtés datés de 1909 et 1911, le Préfet du Morbihan avait autorisé Monsieur A., moyennant paiement d’une redevance, à édifier puis à agrandir un terre-plein sur le domaine public maritime, ces autorisations ayant été par la suite régulièrement renouvelées au profit des propriétaires successifs. S’il est apparu, lors du renouvellement du titre en 1966, qu’une maison d’habitation avait été édifiée sur ce terre-plein, semble-t-il sans autorisation, l’administration ne s’était pas formalisée outre mesure dans un premier temps de cette situation, se contentant de faire état à la fois de l’existence du terre-plein et de la présence de la maison.
N’ayant pu obtenir à compter du 31 décembre 1990 de nouveau titre d’occupation, le « propriétaire », Madame BROSSET s’était adressée au Préfet qui lui avait opposé un refus fondé sur les dispositions de la Loi Littoral du 3 janvier 1986 tout en lui proposant, afin de tenir compte de l’ancienneté de cette maison d’occupation et du caractère affectif de son lien avec cette maison, un projet de convention aux termes de laquelle elle serait autorisée à continuer à utiliser, à titre personnel, le domaine public maritime et se verrait interdire en revanche toute cession ou transmission des immeubles édifiés sur ledit domaine.
Les occupants ont préféré s’en remettre au Juge administratif qui, écartant l’application de l’article 1er du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme en l’absence de droit réel, valide la stricte application des principes de la domanialité publique, imposant la remise en état des parcelles sans indemnisation préalable (CE section 6-03-2002, Mesdames Triboulet et Brosset-Pospisil).
La Cour Européenne des Droits de l’Homme va valider cette position et estimer que la protection du littoral répond à un but d’intérêt général et que les moyens déployés par l’administration française dans les affaires en cause n’avaient pas méconnu le principe de proportionnalité.
Les requérantes soutenaient en effet que le refus des autorités françaises de les autoriser à continuer d'occuper le domaine public sur lequel est édifiée une maison appartenant à leur famille depuis 1945, et l’injonction qui leur était faite de la détruire, portaient atteinte à leur droit de propriété garanti par l’article 1er du protocole n° 1. Cet article dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour règlementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ».
La Cour rappelle que selon sa jurisprudence, l’article 1er du protocole n° 1 qui garantit le droit de propriété contient trois normes distinctes :
- la première, qui revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ;
- la deuxième, figurant dans la seconde phrase de l'alinéa 1er, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ;
- la troisième, consignée dans le second alinéa, reconnaît aux Etats contractants le pouvoir entre autres de règlementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général.
La Cour, relevant que nul ne contestait l’appartenance au domaine public de la parcelle sur laquelle était édifiée la maison litigieuse, a, compte tenu des principes régissant ce domaine et de l’absence de mise en œuvre de la démolition à ce jour, considéré qu’il n’y avait pas en l’espèce une privation de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1er du protocole et estimé que le non-renouvellement des autorisations d’occupation privative du domaine public, dont les requérantes ne pouvaient pas ignorer qu’il pourrait les concerner un jour, et l’injonction de détruire la maison en résultant pouvaient s’analyser en une règlementation de l’usage des biens dans un but d’intérêt général.
La Cour a tenu à spécifier que le refus de renouvellement des autorisations opposé par le Préfet était fondé sur les dispositions de la Loi Littoral en sa partie consacrée à la protection de l’état naturel du rivage de la mer.
La Cour Européenne va particulièrement insister sur le fait que « c’est suite à l’adoption de la Loi Littoral, dont l’article 1er dispose que "le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d’aménagement, de protection et de mise en valeur", que les autorisations ont cessé d’être renouvelées, et ce dans un but de protection du rivage de la mer et plus généralement de l’environnement ».
La Cour rappelle que la protection de l’environnement, dont la société se soucie sans cesse davantage, est devenue une valeur dont la défense suscite dans l’opinion publique, et par conséquence auprès des pouvoirs publics, un intérêt constant et soutenu, ce qu’elle a plusieurs fois rappelé à propos de la protection de la nature et des forêts, la préservation du littoral en constituant un autre exemple qui appelle une politique d’aménagement du territoire appropriée.
La Cour raisonne ainsi sur le terrain de la règlementation de l’usage des biens dans un but d’intérêt général, reconnaissant que le temps écoulé avait fait naître l’existence d’un intérêt patrimonial des requérantes à la conservation de la maison, lequel était suffisamment reconnu et important pour constituer un bien susceptible de protection. Cependant, après avoir contrôlé si l’exigence de remise en état des lieux était un moyen proportionné au but poursuivi et après avoir écarté le moyen tiré de la durée importante de la jouissance du bien, considérant que cela ne révélait « aucune négligence de la part des autorités mais plutôt une tolérance de la poursuite de l’occupation », la Cour a jugé que le requérant ne supporterait pas une charge spéciale et exorbitante en raison de la démolition de sa maison sans indemnisation.
La Cour estime ainsi qu’il n’y a pas d’atteinte au droit de propriété, que la propriété sur le domaine public suppose un titre d’occupation légale, venant ainsi corroborer la position de la Cour Administrative d'Appel de NANTES et du Conseil d’Etat.
Cette décision, si elle paraît propre à rassurer les autorités nationales confortées dans leur politique de fermeté vis-à-vis des occupants illégaux alors que les dernières évolutions de la Jurisprudence de la Cour avaient pu être interprétées comme une remise en cause de la domanialité publique « à la française » (CEDH 22-07-2008, Köktepe c/ Turquie), doit cependant être analysée au regard de l’importance des considérations écologiques prises en compte par la Cour. L’objectif de protection du littoral apparaît déterminant à la lecture des arrêts qui y insistent davantage que sur les aspects strictement domaniaux.
Si certains commentateurs des arrêts du Conseil d’Etat de 2002 avaient pu appeler une réponse européenne à la question du meilleur choix possible entre le maintien ad vitam aeternam de cette épée de Damoclès de l’action domaniale et la régularisation de la situation de l’occupant dès lors que cette occupation ne compromettait pas de manière substantielle l’affectation du domaine et ne portait pas atteinte à l’intérêt général, force est de constater que la réponse est pour le moins sévère.
Reste à déterminer si ces décisions ont une portée aussi générale et absolue concernant la validation de la notion de domaine public maritime « à la française ». Il est vrai que ces arrêts ont été rendus dans un contexte particulier. Ironie de l’actualité juridique, la CEDH a en effet rendu ses arrêts un mois après la tempête Xynthia. Les magistrats ont tenu en effet à préciser dans leurs arrêts la phrase sibylline suivante : « Compte tenu de l’attrait des côtes et des convoitises qu’elles suscitent, la recherche d’une urbanisation contrôlée et du libre accès de tous aux côtes implique une politique plus ferme de gestion de cette partie du territoire. Cela vaut pour l’ensemble des zones littorales européennes ».
Nul doute que la solution adoptée confortera les autorités nationales dans leur politique de fermeté vis-à-vis des occupants illégaux, notamment sur le littoral méditerranéen où nombre de villes « pieds dans l’eau » empiètent sur le domaine public maritime.
Index:
CEDH Grande Chambre, 29-03-2010 : n° 34044/02, Depalle c/ France
CEDH Grande Chambre, 29-03-2010 : n° 34078/02, Brosset Triboulet & autres c/ France
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Claude Coquilleau
Auteur
FIAT Sandrine
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