Suspension de l'obligation d'achat de l'énergie solaire

Suspension de l'obligation d'achat de l'énergie solaire

Publié le : 10/02/2011 10 février févr. 02 2011

La décision rendue par le Juge des référés le 28 janvier 2011 est l’occasion de faire le point sur les enjeux et l’équilibre du régime incitatif en matière de production d’électricité photovoltaïque.

Maintient de l’exécution du moratoire sur l’achat de l’énergie solaire

Le dispositif mis en place pour encourager la production d’électricité par l’utilisation de l’énergie radiative du soleil est victime de son succès. Sous son impulsion, le développement de la filière photovoltaïque est en train de dépasser toutes les prévisions.

Selon les données gouvernementales, les objectifs fixés en matière photovoltaïque par le Grenelle de l’environnement pour 2012 étaient sur le point d’être atteints à la fin de l’année 2010 (1). En lui-même, l’essor de l’utilisation de cette source d’énergie renouvelable est une bonne nouvelle. Néanmoins, le gouvernement considère que son cadre d’évolution n’est pas durable.

Le constat est simple : les mesures d’incitation ont joué pleinement leur rôle mais en l’état actuel de la production d’électricité photovoltaïque, leur maintien coûterait trop cher aux consommateurs. Le bilan coût/avantages serait ainsi négatif.


Les limites de l’obligation d’achat de l’électricité photovoltaïque

L’article 10 de la loi n° 2000-1510 modifiée relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité met à la charge des distributeurs d’électricité l’obligation d’acheter l’électricité produite à partir de l’énergie solaire selon des tarifs attractifs fixés par voie réglementaire.

Le surcoût induit par la pratique de ces tarifs incitatifs est quant à lui supporté par un fonds de péréquation financé par un pourcentage prélevé sur les factures d’électricité des clients finaux.

Suivant la dynamique du développement de la filière et le nombre de projets en attente de raccordement, la facture moyenne par consommateur pourrait passer de 19 € TTC/an à 35 € TTC/an (2).

Pour contenir cette tendance et maîtriser les charges du service public de l’électricité, le gouvernement a d’abord tenté d’agir sur le levier tarifaire. Par deux fois au cours de l’année 2010, les tarifs d’achat ont diminué (3).

Ces baisses successives n’ont apparemment pas suffi puisque le gouvernement a décidé, par décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010, publié au Journal Officiel du 10 décembre 2010 (4), de suspendre l’obligation de conclure un contrat d’achat de l’électricité photovoltaïque pour une durée de trois mois. Ce moratoire doit ainsi permettre de disposer du temps suffisant à la définition d’« un nouvel équilibre pour mettre fin à la création d’une véritable bulle spéculative » (5).


La suspension de l’obligation d’achat de l’électricité photovoltaïque

La suspension a été décrétée sur le fondement de l’article 10 de la loi précitée suivant lequel « sous réserve du maintien des contrats en cours et des dispositions de l'article 50, l'obligation de conclure un contrat d'achat prévu au présent article peut être partiellement ou totalement suspendue par décret, pour une durée qui ne peut excéder dix ans, si cette obligation ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements ».

Au cas présent, l’obligation d’achat a été suspendue au motif du dépassement prévisible des objectifs définis par la programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité en raison du nombre important de projets en attente de raccordement.

En conséquence, aucune nouvelle demande portant sur la conclusion d’un contrat d’achat d’électricité ne peut être déposée pendant une période de trois mois du 10 décembre 2010 (date d’entrée en vigueur de la mesure de suspension) au 10 mars 2011. Seules échappent à ce régime deux catégories d’installation.

Il s’agit d’une part des petites installations dont la somme des puissances crêtes situées sur la même toiture ou la même parcelle est inférieure ou égale à 3 kW. Par raccourci, sont principalement concernées les demandes des particuliers. Ceci étant, ces derniers ne sont pas épargnés par le mouvement général de repli amorcé sur le photovoltaïque puisque l’article 36 de la loi de finances pour 2011 ramène le crédit d’impôt sur les panneaux solaires de 50 % à 25 % pour les équipements payés à compter du 29 septembre 2010.

Il s’agit d’autre part des projets d’installation très avancés pour lesquels le producteur a accepté, avant le 2 décembre, la proposition technique et financière de raccordement faite par le gestionnaire de réseau. Toutefois, cette exception à la suspension de l’obligation d’achat est assortie d’une réserve importante dans la mesure où son bénéfice est subordonné à la mise en service des installations dans un délai de 18 mois à compter de la notification de l’acceptation de la proposition de raccordement ou dans un délai de 9 mois dans le cas où ladite notification est antérieure de plus de 9 mois à la date d’entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010.

Il existe néanmoins une possibilité de prolongation de ces délais en cas de retard des travaux de raccordement. En tout état de cause, l’achèvement des installations doit effectivement intervenir dans les délais susmentionnés et leur mise en service ne peut excéder un délai de deux mois suivant la fin des travaux de raccordement.

Outre ces deux hypothèses circonscrites, la suspension de l’obligation d’achat est opposable à l’ensemble des autres demandes, y compris celles qui étaient en cours d’instruction à la date d’entrée en vigueur du dispositif mais qui n’étaient pas suffisamment engagées pour profiter de l’exception.

C’est sans aucun doute le point qui soulève le plus d’interrogations sur le plan juridique.

L’article 5 du décret du 9 décembre 2010 prévoit en effet que « les demandes suspendues devront faire l’objet d’une nouvelle demande complète de raccordement au réseau pour bénéficier d’un contrat d’obligation d’achat ». Or, rédigée en ces termes, la mesure paraît équivaloir non pas à une suspension du traitement des demandes qui reprendrait après la période transitoire de trois mois mais à un rejet pur et simple de celles-ci imposant qu’elles soient, le cas échéant, redéposées par les producteurs à l’échéance du délai de suspension.

Une telle formulation interroge donc quant à la portée véritable de la suspension appliquée aux demandes en cours. Selon le principe posé par l’article 1er du décret qu’« aucune nouvelle demande ne peut être déposée durant la période de suspension », elle semble induire le rejet des demandes en cours à la date d’entrée en vigueur du texte au motif de leur irrecevabilité tirée de l’application rétroactive de la suspension de l’obligation d’achat au jour de leur dépôt.

Toujours est-il, compte tenu de ses implications pratiques et financières pour les producteurs d’énergie photovoltaïque, cette « apparente » suspension n’a pas manqué de susciter une réaction très vive de la filière. 19 requêtes tendant à l’annulation du décret du 9 décembre 2010 ont été déposées devant le Conseil d’Etat. Elles se sont doublées de requêtes visant à obtenir en référé, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de son exécution jusqu’aux décisions à intervenir sur le fond.


L’absence d’urgence à suspendre l’exécution du moratoire sur le photovoltaïque


Par ordonnance du 28 janvier 2011, n°344973 et autres, société Ciel et Terre et autres, le Président adjoint du Conseil d’Etat, Monsieur Philippe MARTIN, statuant en référé, a rejeté l’ensemble des requêtes sollicitant la suspension de l’exécution du moratoire sur le photovoltaïque.

Il a considéré que la condition d’urgence nécessaire au prononcé d’une mesure de suspension n’était pas remplie en l’espèce. Son appréciation est le résultat de la mise en balance objective des éléments justifiant la suspension et ceux justifiant le maintien de l’exécution du décret du 9 décembre 2010 (6).

Le Juge des référés a statué en trois temps.

Sur le moyen tiré de la « situation d’urgence écologique et énergétique » créée par le décret attaqué qui compromettrait « le développement des énergies renouvelables », il a répondu que « la faible durée de la suspension » (trois mois) et « l’ampleur des capacités de production par rapport aux objectifs » (excédent prévisible des capacités de production) ne permettaient pas de qualifier l’urgence de ce point de vue.

Sur le moyen tiré du préjudice économique lié à la suspension de l’obligation d’achat, il a reconnu que le moratoire pouvait être la cause de graves difficultés pour certaines entreprises. Néanmoins, compte tenu de l’intérêt public qui s’attache à cette mesure, il a jugé que cette raison n’était pas suffisante pour justifier la suspension de son exécution. Il a donc fait prévaloir l’argumentaire du gouvernement suivant lequel l’absence de moratoire aurait entraîné pour les consommateurs une forte hausse de leur facture d’électricité.

Enfin, il a justifié l’absence d’urgence au motif pris de la situation dans laquelle se trouveraient les producteurs ayant déposé une demande « suspendue » par le décret du 9 décembre 2010 dans l’hypothèse où son exécution serait suspendue en référé mais que sa légalité serait finalement reconnue dans la décision au fond. Dans ce cas de figure, les porteurs de projet, qui n’auraient pas redéposé une « nouvelle demande » conformément à l’article 5 du décret, perdraient le bénéfice de l’antériorité dans la file d’attente.

Suivant ces motifs, le Juge des référés conclut au défaut d’urgence et rejette en conséquence les demandes de suspension d’exécution sans se prononcer sur l’existence ou non de doutes sérieux quant à la légalité du décret du 9 décembre 2010. Le Conseil d’Etat reste néanmoins saisi de cette question sur le fond mais tout porte à croire que les difficultés pourraient se résoudre sur un terrain autre que celui de la justice.


Index:
(1) Communiqué de presse du Premier Ministre du 2 décembre 2010.
(2) Avis de la Commission de régulation de l’énergie du 31 août 2010 sur le projet d’arrêté fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil.
(3) Arrêtés des 12 janvier 2010 et 31 août 2010 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l’article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000.
(4) JORF n° 0286 du 10 décembre 2010, page 21598, texte n° 5.
(5) Op. cit. note 1.
(6) Communiqué de presse du Conseil d’Etat du 28 janvier 2011.



CHAUSSADE Renaud-Jean





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © joef - Fotolia.com

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