Assurance construction

Quelques précisions sur le régime de la fraude du tiers aux droits de l’assureur

Publié le : 27/10/2023 27 octobre oct. 10 2023

Par un arrêt rendu en date du 14 septembre 2023 (no 22-13.107), la troisième chambre civile de la Cour de cassation a confirmé la recevabilité de la tierce opposition formée par l’assureur d’un constructeur dès lors qu’une fraude a été commise à son égard par le tiers lésé. 
Dans les faits, des particuliers chargent un constructeur d’une mission de maitrise d’œuvre complète pour la construction de leur maison avec garage. 

Après la réception des travaux sans réserve, les maîtres d’ouvrage relèvent un défaut d’altimétrie qui les prive d’utiliser leur garage. 

Par suite, ils contactent l’assureur du constructeur pour être indemnisés. 

Considérant que le désordre était visible au cours des travaux ainsi qu’au jour de la réception sans qu’il n’y ait eu de réserves, l’assureur leur a opposé une position de non-garantie.  

Les maitres d’ouvrage assignent alors l’assuré, qui n’a pas constitué avocat et a été condamné à leur verser diverses sommes. 

Ultérieurement, le constructeur a été radiée du registre du commerce et des sociétés. 

Les maitres d’ouvrage se sont alors retournés contre l’assureur pour obtenir réparation en faisant valoir la décision de condamnation obtenue à l’égard de l’assuré. 

L’assureur ne donnant pas suite à leur mise en demeure, ils l’ont assigné afin de le voir condamné à payer le montant des condamnations. 

Puis, l’assureur a formé tierce opposition incidente afin d’obtenir la rétractation du jugement et faire valoir ses droits. 

Il s’est vu débouté en première instance. 

En appel, les juges accueillent favorablement sa demande et considèrent recevable la tierce opposition aux motifs que les maitres d’ouvrage ont obtenu une décision à l’encontre de l’assuré en « omettant délibérément d’informer l’assureur de l’existence de cette action ou de l’attraire à la cause et ce pour le mettre devant le fait accompli, parce qu’ils connaissaient sa position de non garantie à raison du caractère apparent du désordre ».

Les maitres d’ouvrage font grief à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes d’avoir déclaré recevable la tierce opposition et de réformer le jugement. 

Devant la Haute juridiction, ils contestent la décision d’appel aux motifs que la fraude ne s’apprécie que dans le chef de l’assuré au regard de l’article L. 113-5 du code des assurances. 

C’est ainsi que la Cour de cassation a eu à se pencher sur la question de la recevabilité de la tierce opposition formée par l’assureur en cas de fraude à son égard. 

Selon l’article 582 du code de procédure civile, « la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque. Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit. ».

Dans ses motivations, la Cour de cassation cite au préalable la jurisprudence constante. 

En premier lieu, elle rappelle qu’une décision rendue contre un assuré est opposable à l’assureur car elle constitue à son égard la réalisation du risque couvert, sauf les cas de fraude. 

En effet, les juges considèrent que la voie de la tierce opposition n’est pas ouverte pour l'assureur lorsque la décision qui condamne son assuré lui est opposable, et ce, peu important qu’il soit démontré que l’assureur n’ait pas été informé de la procédure (Cass. 1re civ., 15 mars 1988, no 86- 15.783). 

En deuxième lieu, elle cite la jurisprudence qui affirme que la fraude, bien qu’elle puisse être le fait de l’assuré ou du tiers victime, ne peut pas être déduite de la seule absence d’appel en cause de l’assureur à l’instance entre l’assuré et le tiers (Cass. 1re civ., 2 juillet 1991, no 89-21.622 ; Cass. 2e civ., 22 oct. 2020, no 19-21.854).
 
En troisième et dernier lieu, la Haute juridiction confirme l’analyse de la cour d’appel.

La fraude est constituée par l’omission délibérée des maitres d’ouvrage d’informer l’assureur de l’instance engagée contre son assuré ou de l’appeler à la cause alors qu’ils ont connaissance de sa position de non garantie en raison du caractère apparent du désordre. 
La nouveauté de cet arrêt publié au bulletin réside ainsi dans le fait qu’il précise les circonstances permettant de retenir la fraude commise par le tiers lésé ouvrant droit à la tierce opposition.
C’est ici le caractère purement intentionnel de la dissimulation opérée par les maitres d’ouvrage qui justifie la tierce opposition pour fraude aux droits de l’assureur. 

Ainsi, au lieu d’agir en justice de manière simultanée avec l’action qu’ils ont engagé à l’encontre de l’assuré constructeur, les maitres d’ouvrage ont volontairement préféré contraindre l’assureur à les indemniser une fois la décision contradictoire obtenue car ils savaient, dans le cas contraire, que celui-ci leur opposerait sa non garantie. 

En ce cas, le tiers lésé est donc responsable d’une fraude à l’égard de l’assureur pour lui avoir caché l’existence d’une instance en cours ou avoir volontairement omis de l’appeler à la cause, l’assureur n’ayant pas eu la possibilité de faire valoir ses droits.

Cette décision est logique, l’assureur, comme n’importe quel défendeur doit ainsi pouvoir s’assurer la défense de ses intérêts et se trouve naturellement protégé de comportements frauduleux.


Cet article a été rédigé par Alexandre ROY, Juriste au sein du cabinet DROUINEAU 1927. Il n'engage que son auteur.

Auteur

DROUINEAU 1927
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POITIERS (86)
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