Délit de presse

La périlleuse plainte en matière de presse

Publié le : 02/02/2023 02 février févr. 02 2023

La procédure pénale applicable aux délits de presse est à la fois complexe et exigeante ; les praticiens le savent bien et la Cour de Cassation l’a encore récemment rappelé (crim. 22 novembre 2022, n°22-81.814).
Le 4 décembre 2020, la mère d’une collégienne apostrophe le père de cette dernière devant l’établissement d’enseignement en ces termes : « est-ce que ton autorité parentale te permet de taper ta fille, est-ce que ton autorité parentale te permet de frapper ta fille et de mal la traiter quand elle est chez toi ... ».

Le père s’estimant victime de diffamation a alors adressé, le 20 décembre 2020, une plainte simple au Procureur de la République lequel a, le 30 décembre 2020, délivré un soit-transmis aux fins d'enquête aux services de police afin de faire procéder à l’audition des deux intéressés, lesquelles sont intervenues les 12 et 22 janvier 2021.

Le Procureur de la République a alors ordonné le 26 janvier 2021 un rappel à la loi, notifié à la mère le 11 février 2021, avant que le père adresse une plainte avec constitution de la partie au Juge d’Instruction le 6 avril 2021.

C’est, postérieurement aux réquisitions prises par le Ministère public en novembre 2021, que le Juge d’Instruction a refusé d’informer estimant que la prescription de l’action publique était acquise avant le 6 avril 2021, position confirmée par la Cour d’Appel de DOUAI le 24 février 2022.

La question posée à la Cour de Cassation est double :
 
  • Le soit-transmis et / ou les procès-verbaux d’audition ont-ils pu interrompre l’écoulement du délai de prescription ?
  • Jusqu’à quelle date le rappel à la loi a-t-il pu suspendre l’écoulement du délai de prescription ?
L’examen des deux questions a convaincu la chambre criminelle de confirmer la position adoptée par la Cour d’Appel de DOUAI.

Rappelons tout d’abord que la question de la prescription, en matière de délits de presse, est particulièrement prégnante puisqu’elle intervient au bout de trois mois à compter de la publicité des propos et qu’elle n’est susceptible d’être interrompue que par des réquisitions aux fins d'enquête qualifiant et articulant le délit de presse ainsi poursuivi (article 65 de la loi du 29 juillet 1881) ; cette exigence de qualification et d’articulation du délit poursuivi est rappelée à l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 (relatif aux réquisitions d’information).

C’est ainsi que s’agissant du premier moyen de cassation, la Cour rappelle brièvement que ni la plainte simple, ni le soit-transmis aux fins d’enquête, ni les procès-verbaux d’audition n’ont pu valablement interrompre le délai de prescription.

Si la question posée ne portait pas sur les effets de la plainte simple, rappelons tout de même que cette seule démarche est considérée, de manière tout aussi ancienne que constante, comme sans effet interruptif de prescription (crim. 20 octobre 1992, n°91-86.924 ; 14 mars 2017, n°15-86.199).

Pour ce qui est de la question des effets du soit-transmis, la position adoptée par la Cour est plus subtile : un soit-transmis aux fins d’enquête est susceptible d’interrompre la prescription, à la condition toutefois que les exigences formelles de l’article 65 soient respectées et que le soit-transmis articule et qualifie les faits en cause.

En l’espèce, la Cour de Cassation considère que tel n’est pas le cas dans la mesure où les réquisitions aux fins d’enquête n’ont fait qu’indiquer qu’il s’agissait d’enquêter sur des faits de diffamation publique sans plus de précision.

Or, cette seule mention n’est pas suffisante pour considérer que le délit est qualifié au sens de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 : en effet, la diffamation publique peut tout autant être dirigée contre un corps constitué (article 30 de la loi du 29 juillet 1881), une personne investie d’un mandat public ou en charge d’un service public (article 31) ou un particulier (article 32).

La peine encourue varie selon ces qualifications et la position alors adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 22 novembre 2022 est assurément classique et s’inscrit dans une jurisprudence finalement constante sur ce point (crim., 14 février 1995, n°93-85.640 ; 30 octobre 2001, n°00-87.818).

Le vice inhérent aux réquisitions aux fins d’enquête s’est propagé aux procès-verbaux d’audition qui n’ont, par ailleurs, pas rectifié celui-ci ; l’occasion est ici offerte de rappeler que depuis une jurisprudence de 2004, la chambre criminelle considère que des procès-verbaux d’enquête réalisés en exécution de réquisition en ce sens sont de nature à interrompre le délai de prescription dès lors que les exigences de qualification et d’articulation sont respectées (crim. 7 décembre 2004, n°03-84.549 ; 6 mars 2018, n°17-81.875).

Ainsi aucune interruption n’a eu lieu.

Le dernier moyen examiné par la Cour portait sur la période couverte par la suspension liée à la décision du Procureur d’ordonner un rappel à la loi ; plus précisément, le débat portait sur le point de savoir si cette interruption allait seulement jusqu’à la date de notification dudit rappel ou si elle s’étendait jusqu’aux réquisitions prises par le Procureur, en novembre 2021, suite à l’enregistrement de la plainte avec constitution de partie civile.

Rappelons en effet que l’avant dernier alinéa de l’article 41-1 du code de procédure pénale prévoit que le rappel à la loi -décision prise préalablement à sa décision sur l’action publique- suspend la prescription de cette dernière.

Reste que la Cour de cassation a considéré que cette suspension ne valait que jusqu’à la notification dudit rappel à la loi et non jusqu’aux réquisitions prises dans le prolongement de la saisine du Juge d’Instruction.

C’est ainsi qu’en l’absence d’interruption du délai de prescription, et malgré une suspension de celui-ci de seize jours (entre la décision d’ordonner un rappel à la loi et sa notification), l’action pénale ouverte contre les propos prononcés le 4 décembre 2020 n’était possible que jusqu’au 20 mars 2021, soit antérieurement à la plainte avec constitution de partie civile du 6 avril 2021.

L’action était alors définitivement prescrite et ce malgré les nombreuses démarches procédurales intervenues à l’initiative du Ministère public.

Si cet arrêt reste classique dans son approche de l’acquisition de prescription en matière de délit de presse, il a le mérite de rappeler les spécificités procédurales de cette matière si singulière.

En définitive, si vous voulez être certain d’interrompre la prescription en matière de presse, mieux vaut privilégier la plainte avec constitution de partie civile…et les services d’un spécialiste de la matière.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Clément Launay
Avocat directeur
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
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