Désordres construction

Désordres et reprise en nature

Publié le : 11/03/2025 11 mars mars 03 2025

Par un arrêt en date du 16 janvier 2025 (Cass, 3ème civ, 16 janvier 2025, n°23-17.265, Publié au bulletin), la Cour de cassation a très clairement rappelé qu’en application des dispositions de l’article 1792 du code civil, l’entrepreneur, tenu pour responsable des désordres constructifs, ne peut imposer à la victime la réparation en nature du préjudice qu’elle subit. 
Il en résulte donc que le juge du fond ne peut pas condamner un constructeur responsable de désordres à procéder à leur reprise en nature, lorsque le maître de l’ouvrage s’y est opposé :

« Pour condamner la société H. à faire poser le kit de réparation des panneaux photovoltaïques, l’arrêt retient que doivent être réparés les seuls désordres d’infiltration sous toiture, que la solution tenant à la pose d’un kit de réparation permet de remédier aux infiltrations et que celles-ci constituent une réparation proportionnée et adaptée aux dommages sans enrichissement pour le maître de l’ouvrage.
En statuant ainsi, alors que la société La Dormoise s’était opposée à la réparation en nature par la société H., la Cour d’appel a violé le texte susvisé. »

La solution n’est pas nouvelle, la jurisprudence ayant très régulièrement admise qu’une réparation en nature ne peut pas être imposée à la victime d’un dommage, y compris lorsqu’il était statué sur le fondement de la responsabilité contractuelle (Cass, 3ème civ, 28 janvier 2014, n°12-22.091 ; Cass, 2ème civ, 18 mars 2010, n°09-13.376 ; Cass, 3ème civ, 28 septembre 2005, n°04-14.586).

Il s’agissait là très clairement d’une limite qui était posée au principe selon lequel le choix des modalités de réparation du dommage relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass, 3ème civ, 24 janvier 2001, n°98-19.969). 

Une partie de la doctrine a d’ailleurs pu considérer à ce sujet que cette jurisprudence portait une atteinte illégitime à la souveraineté des juges du fond dans le choix du mode de réparation, en privilégiant l’affirmation d’un droit de la victime à une réparation pécuniaire.

Si le principe était ainsi posé au sujet d’un désordre de nature décennale, il aurait pu être légitime de s’interroger sur la situation du constructeur lorsque sa responsabilité est recherchée sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun avant réception, dès lors que son marché de travaux n’est pas résilié.

Il est en effet de jurisprudence constante que l’entrepreneur est alors redevable d’une obligation contractuelle de résultat qui lui impose de livrer un ouvrage qui soit exempt de désordres, de malfaçons ou de non-conformités, ce qui aurait pu suggérer une priorité d’intervention pour reprendre les malfaçons qui lui sont imputées.
Là encore, la jurisprudence a déjà très clairement statué dans le même sens par un arrêt en date du 28 septembre 2005 (Cass, 3ème civ, 28 septembre 2005, n°04-14.586, Publié au bulletin), en précisant, sur le fondement des dispositions de l’article 1147 du code civil, que : « L’entrepreneur, responsable de désordres de construction, ne peut imposer à la victime la réparation en nature du préjudice subi par celle-ci. »

La perte de confiance du maître de l’ouvrage, au-delà du sujet de la compétence du constructeur, qui justifie son refus de le voir intervenir en reprise des désordres, implique qu’il ne soit pas possible de l’imposer, ce d’autant plus que l’article 1261 du code civil, issues de la Loi n°2018-287 du 20 avril 2018, dispose désormais que si :

« Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier », il n’en reste pas moins que : « La réparation en nature ne peut être imposée à la victime. »  

Il pouvait donc en résulter, à l’inverse, que si le maître de l’ouvrage entend solliciter la reprise des désordres par le constructeur, au titre d’une réparation en nature, la mesure doit être ordonnée dès lors qu’elle n’est pas impossible.

Dans un arrêt en date du 29 octobre 2020, la Cour d’appel de Montpellier (Cour d’appel Montpellier, 3ème civ, 29 octobre 2020, n°15/05577) a ainsi indiqué que :
« En l’absence de toute impossibilité d’exécuter en nature le contrat et dès lors que la mise en conformité est possible, le juge est tenu d’ordonner l’exécution forcée sollicitée par le créancier sur le fondement de l’ancien article 1184 alinéa 2 du code civil, quelque soit l’importance de l’inexécution. »
(…)

« En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise de Monsieur X que les travaux de non-conformité à prévoir devront consister soit dans le remplacement des panneaux en place par des panneaux préfabriqués en béton de ciment, soit dans la démolition reconstruction de l’immeuble.
Force est de constater qu’il n’est sollicité au titre des travaux de conformité que le remplacement des panneaux de façade et non la démolition et la reconstruction de l’immeuble, les travaux de mise en conformité consistant en une démolition partielle du bâtiment étant donc possible sans qu’il puisse être invoqué une disproportion manifeste entre le coût de la mise en conformité pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »

Dans l’esprit, cette décision, s’agissant de l’absence de contrôle de proportionnalité sur la solution réparatoire, était conforme à l’état de la jurisprudence, qui impliquait que la mesure de démolition reconstruction ne pouvait faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité que lorsqu’elle était formée au titre d’une demande d’exécution forcée ou en nature du contrat.

Sur ce, dès lors que le maître de l’ouvrage présentait une demande d’indemnisation d’un montant égal au coût des travaux de démolition et de reconstruction, le juge n’était pas tenu de faire application du contrôle de proportionnalité et retrouvait ainsi son pouvoir d’appréciation souverain des modalités de réparation et de leur coût.

Par un arrêt en date du 6 juillet 2023 (Cass, 3ème civ, 6 juillet 2023, n°22-10.884, Publié au bulletin), la Cour de cassation est revenue sur cette jurisprudence, en indiquant que le juge saisi d’une demande de démolition reconstruction d’un ouvrage en raison des non conformités qui l’affectent, que celle-ci soit présentée au titre d’une demande d’exécution forcée sur le fondement de l’article 1221, anciennement 1184 du code civil, ou sous le couvert d’une demande en réparation à hauteur du coût de la démolition reconstruction de l’ouvrage, doit rechercher, si cela le lui est demandé, s’il n’existe pas une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier au regard des conséquences dommageables des non conformités constatées.

Il en résulte alors, qu’en cas de disproportion manifeste constatée par le juge, les dommages et intérêts alloués au maître de l’ouvrage doivent être souverainement appréciés au regard des seules conséquences dommageables des non-conformités retenues, dans le respect du principe de la réparation sans perte ni profit pour la victime, c’est-à-dire du principe de réparation intégrale.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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