Droit de retrait dans la fonction publique

Covid-19 : quelles sont les conditions pour exercer le droit de retrait ou le droit d'alerte dans la fonction publique ?

Publié le : 30/04/2020 30 avril avr. 04 2020

L’annonce d’un déconfinement progressif à compter du 11 mai 2020 va amener de nombreux agents publics, fonctionnaires et enseignants à se poser la question des modalités de la reprise du travail et notamment des conditions de sécurité dans lesquelles ils seront amenés à travailler.

Ces mêmes agents peuvent légitimement s’interroger sur leurs droits dans l’hypothèse où ils estiment que les mesures prises ne sont pas suffisantes pour assurer leur sécurité face à l’épidémie de COVID-19 en cours.

De la même manière il convient de rappeler que la loi accorde comme prérogative aux membres des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou des membres des comités techniques lorsqu’ils assument les fonctions de CHSCT (lesquels seront intégrés dans les futurs comités sociaux à compter de 2022), un droit d’alerte lorsqu’ils constatent une situation de danger pour les agents.

Il apparaît donc opportun de faire un point rapide sur les conditions juridiques du droit de retrait et du droit d’alerte dans la fonction publique.

Fondement juridique du droit de retrait propre à l'agent :

       

Fondement juridique du droit d'alerte comme prérogative des membres du CHSCT :

     



ATTENTION : Certains agents ne peuvent invoquer le droit de retrait dans les conditions de droit commun en raison de leur mission de sécurité des biens et des personnes. (agents des douanes, de la police, de l'administration pénitentiaire et de la sécurité civile)

En outre la mise en œuvre du droit de retrait ne doit pas créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent (ainsi pour un personnel soignant qui se retirerait de son poste de travail en laissant des patients en situation de danger grave et imminent).

Ces différents textes permettent de dégager des critères communs pour déterminer les conditions de mise en œuvre du droit de retrait et du droit d’alerte :

- Un danger grave : C’est-à-dire qui est susceptible de causer la mort ou une incapacité permanente ou temporaire prolongée.

ET

- Un danger imminent : C’est-à-dire susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché

OU

- Une défectuosité dans les systèmes de protection (condition uniquement prévue pour le droit de retrait)
 

Exemples jurisprudentiels :

 
  • Situation où le droit de retrait a été validé :
- Le fait d’être affecté sur un poste de travail qui a fait l’objet par le passé de nombreux accidents du travail, avec mention de risques significatifs sur le document unique d’évaluation des risques de l’entreprise avec des gants inadaptés et un ventilateur insuffisant, constitue un danger grave et imminent. (TA Orléans, 6 juillet 2006, n°0403605)

- La présence de poussière d’amiante sur un chantier peut constituer un danger grave et imminent. (CAA Nantes, 4 juin 2019, n°17NT01951)
 
  • Situation où le droit de retrait a été rejeté
-  L’admission dans un établissement hospitalier de malades porteurs du VIH ou de l’hépatite virale B ne présente pas, par elle-même, le caractère d’un danger grave et imminent justifiant un droit de retrait dès lors qu’un tel établissement, en raison même de sa mission, doit être apte à faire face aux risques de contagion pour ses agents et pour les tiers. (TA Versailles 2 juin 1994, Hadjab et autres c. AP-HP)

- La présence de déjections de chauves-souris dans plusieurs salles d’une école, alors que les risques sanitaires allégués par les requérants ne sont pas établis, et les défectuosités affectant la toiture et les toilettes de cette école ne présentent pas un danger grave et imminent pour la vie des personnes. (CE 18 juin 2014, n°369531)

- Le fait que plusieurs extincteurs de l'établissement scolaire n'étaient pas en place en raison des dégradations qu'ils avaient subi et que, d'autre part, l'encombrement de certaines salles de classes était de nature à rendre plus difficile l'évacuation des élèves et des enseignants ne constitue pas un danger grave et imminent. (TA Melun, 2 juin 2015, n°1403228)

-  A supposer même qu’un agent puisse faire l’objet d’un harcèlement moral qui se traduit par un stress intense et des problèmes de santé, cette situation ne justifie pas nécessairement un droit de retrait. (CE 16 décembre 2009, n°320840)


Le lecteur aura constaté que le droit de retrait n’est validé qu’en de très rares occasions par la Jurisprudence administrative et dans le cadre d’un danger manifeste ou d’une défaillance des systèmes de protection.

C’est la raison pour laquelle sa mise en œuvre doit être bien pesée et il est donc vivement conseillé de se faire assister par un professionnel du droit dans le cadre d’une telle décision.
 

Modalités de mise en oeuvre du droit de retrait et du droit d'alerte :

 
  • Droit de retrait :
L’agent alerte immédiatement son autorité hiérarchique ou son employeur du danger grave et imminent qu’il encourt.

Cette alerte peut être formulée par oral ou par écrit mais dans le cas d’une information orale il demeure préférable de se constituer une preuve de l’information donnée par tout moyen (et notamment par témoin).

Il se retire ensuite de son poste de travail.

L’agent peut également informer le CHSCT de la situation pour déclencher le droit d’alerte (cf. ci-joint)
 
  • Droit d'alerte : 
Le représentant au CHSCT qui est informé d’une situation de danger grave ou imminent, notamment par un agent qui a fait valoir son droit de retrait, en avise immédiatement l’autorité hiérarchique.

Cet avis est consigné dans un registre spécial.

L’autorité doit alors engager une enquête avec le représentant du CHSCT et prendre toutes mesures pour faire cesser le danger.

En cas de désaccord sur la réalité du danger ou les mesures propres à le faire cesser, le CHSCT est réuni en urgence (au maximum dans les 24 heures).

L’inspection du travail est informée de la situation et peut participer à la réunion.

A l’issue de cette réunion, le CHSCT prend un avis que l’autorité administrative doit mettre en œuvre.

A défaut d'accord entre l'autorité administrative et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail sur les mesures à prendre et leurs conditions d'exécution, l'inspecteur du travail est obligatoirement saisi et peut prendre des préconisations.
 

Conséquences du droit de retrait et du droit d’alerte :


Si l’autorité territoriale, l’inspection du travail ou le juge éventuellement saisi confirment la réalité de l’existence du danger grave et imminent dénoncé par l’agent ou le CHSCT, l’agent qui a fait valoir son droit de retrait ne peut encourir aucune sanction, ni retenue de traitement.

Dans l’hypothèse où l’autorité territoriale refuse à tort que l’agent exerce son droit de retrait, celui-ci pourra demander réparation du préjudice qu’il a subi.

Enfin l’autorité territoriale sera tenue de prendre toutes mesures utiles pour faire cesser le danger grave ou imminent.

A défaut, l’agent peut se voir infliger une retenue sur salaire, voire une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à la révocation pour abandon de poste.
 

Conseils pour la mise en œuvre face au COVID-19 :


Les conditions strictes de mise en œuvre du droit de retrait et l’analyse encore plus restrictive que les juridictions font de ces conditions amènent à conseiller un usage de ce droit de manière particulièrement précautionneuse.

Dans le cadre de la crise sanitaire liée au COVID-19, s’il est loisible de penser que la mise en présence d’agents au contact d’un public affecté par le virus sans protections ni mesures sanitaires est susceptible de présenter un danger grave (au regard du taux de mortalité du virus et des nombreuses complications observées) et imminent (compte tenu des importantes probabilités de transmission du virus), il sera observé que le gouvernement multiplie les recommandations sur les mesures sanitaires à mettre en œuvre au sein des établissements de santé ou les établissements publics ou privés pour protéger les agents ou les salariés (port de masques, distanciation sociale, usage de gel hydroalcoolique, etc…)

Le respect de ces recommandations par l’autorité administrative ou l’employeur est susceptible d’amener le juge à considérer que les protections utiles étaient en place et que l’agent n’encourrait donc pas de danger grave et imminent, sauf à démontrer médicalement et scientifiquement que ces mesures étaient insuffisantes.

Il est donc conseillé, au cas par cas, de vérifier si lesdites recommandations ont été correctement mises en œuvre, et s’il n’existe aucune défectuosité dans les mesures de protection (fiabilité des masques, nombre suffisant d’équipements, etc…).

En tout état de cause il est recommandé d’user avec précaution du droit de retrait individuel et de privilégier si possible les actions de groupe, l’intervention en amont des représentants du personnel, le dialogue avec l’autorité territoriale, et surtout la mise en œuvre du droit d’alerte par le CHSCT ou l’appel à l’inspection du travail.


En outre l’assistance d’un professionnel du droit pour examiner la réunion des conditions du droit de retrait apparaît des plus opportunes.



Cet article n'engage que son auteur.
 

Auteur

Sébastien REY
Avocat Associé
AVODES
NIORT (79)
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