Interprétation extensive du caractère non apparent du désordre à la réception : point trop n'en faut !
Publié le :
19/06/2023
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Cass, 3ème civ, 25 mai 2023, n° 22-10.734
Au mois de septembre 2009, les époux Z. ont fait l’acquisition d’un bien immobilier auprès de la société FINAPAR par un acte de vente en l’état futur d’achèvement.
La livraison de l’ouvrage a été prononcée avec réserves le 22 novembre 2020, notamment concernant les menuiseries et leur étanchéité à l’air, en ces termes :
« Séjour : - contrôle rigoureux du fonctionnement de toutes les menuiseries (toutes sont difficiles à manœuvrer).
« Jour reperé en partie basse de la fenêtre d’angle sur rue Tenremonde.
« Toutes les menuiseries doivent être étanches à l’air.
« (…) Cuisine : (…).
« Menuiseries extérieures à régler (fonctionnement difficile + étanchéité à l’air à garantir ».
Des infiltrations d’eau par les menuiseries ayant été ultérieurement constatées, les époux Z. ont régularisé une déclaration de sinistre auprès de la société ALBINGIA au titre de la garantie dommages ouvrage.
La société ALBINGIA a refusé sa garantie, au motif que les désordres afférents aux menuiseries avaient fait l’objet de réserves lors de la livraison de l’ouvrage, s’agissant en l’espèce de menuiseries anciennes qui avaient été conservées et modifiées.
Une expertise judiciaire avait donc été sollicitée par les époux Z.
En conclusion de son rapport, l’expert judiciaire avait alors indiqué que si le procès-verbal de livraison faisait état de réserves portant sur l’étanchéité des fenêtres, il était mis en évidence l’existence de désordres de nature évolutive ne permettant pas d’en connaître l’ampleur et la gravité au moment de leur constatation dès la réception de l’ouvrage.
Il était par ailleurs conclu que les désordres, portant sur l’étanchéité à l’air et à l’eau, étaient de nature à rendre l’immeuble impropre à sa destination en diminuant le confort, principalement thermique.
Par un arrêt en date du 18 novembre 2021, la cour d’appel de Douai devait confirmer le jugement de première instance ayant débouté les maîtres de l’ouvrage de leurs demandes sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, au motif qu’ayant écrit à l’entrepreneur avant même la réception des travaux pour dénoncer la piètre qualité des travaux réalisés sur les menuiseries, en lui indiquant notamment que : « Ayant fait l’acquisition de cet appartement dans le cadre de la loi Scellier, nous tenons à ce que l’isolation soit bien conforme à la RT2005 », ils avaient ainsi démontré avoir porté une attention particulière à l’isolation et l’étanchéité du logement qui devait être livré ».
Il était par ailleurs constaté que les désordres étaient en grande partie imputables aux menuiseries anciennes (défaut de fiabilité du verrouillage des ouvrants), avec un bâti et des ouvrants non corrigeables et que ces défauts étaient apparents à la réception et d’ailleurs réservés sur le procès-verbal de livraison.
Enfin, il était relevé par la cour d’appel que l’expert judiciaire avait indiqué que, s’agissant de l’étanchéité à l’air, si les dispositifs mis en œuvre ultérieurement apportaient une amélioration, le niveau attendu n’était pas garanti et les solutions non pérennes, alors que s’agissant de l’étanchéité à l’eau, « bien qu’il n’ait été procédé à aucun test d’arrosage, il est évident que les menuiseries n’étaient pas étanches à l’eau, comme en attestent les gonflements des tablettes en panneaux de particules, sous les traverses basses des fenêtres, qui ont localement gonflé sous l’apport d’eau ».
En conclusion, après avoir constaté que les désordres réservés étaient évolutifs, la cour d’appel devait indiquer qu’ils « étaient en germe et donc prévisibles que ce soit dans leur ampleur ou dans leurs conséquences dès la réception des travaux dès lors qu’il était noté la présence de jours et de défauts d’étanchéité à l’air, ces défauts emportant nécessairement par voie de conséquence un défaut d’étanchéité à l’eau », de sorte qu’ils ne pouvaient relever de la garantie décennale du constructeur, en raison de leur caractère apparent à la réception des travaux.
Cette décision est confirmée par la Haute juridiction dans son arrêt en date du 25 mai 2023 (Cass, 3ème 25 mai 2023, n° 22-10.734), au terme d’une motivation intéressante :
« … la cour d’appel, qui a constaté que les acquéreurs avaient émis des réserves à la réception sur l’étanchéité à l’air des menuiseries, a souverainement retenu que, si les désordres réservés étaient de nature évolutive dès lors qu’ils étaient appelés à s’aggraver avec l’usage normal des fenêtres, ils étaient en germe et prévisibles dans leur ampleur et leurs conséquences dès la réception, le défaut d’étanchéité à l’air alors signalé emportant nécessairement un défaut d’étanchéité à l’eau, de sorte que ceux-ci étaient apparents à la réception ».
« Ella a exactement déduit de ce seul motif que, relevant de la garantie des vices apparents, ces désordres ne pouvaient pas faire l’objet d’une action fondée sur la garantie décennale ».
Sur ce, il sera rappelé que le maître d’ouvrage ne peut pas rechercher la responsabilité décennale du constructeur au titre d’un désordre qui était apparent à la réception ou à la livraison, de plus fort s’il a fait l’objet d’une réserve (Cass, 3ème civ, 22 novembre 2013, n° 13-10.281 ; Cass, 3ème civ, 21 juin 2000, n° 98-20548).
Il reste qu’il est toujours possible au maître d’ouvrage d’agir sur le fondement de la garantie décennale, lorsqu’il est établi que les désordres ne se sont révélés, dans toute leur ampleur et leurs conséquences, que postérieurement au prononcé de la réception ou de la livraison des travaux (Cass, 3ème civ, 3 décembre 2002, n° 00-22.579).
Le sujet est d’importance, puisqu’il est constant que si un désordre est apparent à la réception ou à la livraison et qu’il ne donne pas lieu à l’inscription d’une réserve, le maître d’ouvrage perd le bénéfice de ses recours, par l’effet de purge, la réception des travaux couvrant tout vice ou défaut de conformité apparent n’ayant pas fait l’objet de réserves (Cass, 3ème civ, 9 octobre 1991, n° 87-18.226).
A cet égard, par un arrêt en date du 2 mars 2022 (Cass, 3ème civ, 2 mars 2022, n° 21-10753, publié au Bulletin), la Cour de cassation a indiqué que c’est au maître d’ouvrage, ou à l’acquéreur du bien qui agit dans ses droits, de rapporter la preuve que le désordre ou la non-conformité dont il est demandé réparation au titre de la garantie décennale n’étaient pas apparents au jour de la réception des ouvrages.
Il reste que la jurisprudence tend à se montrer plutôt bienveillante à l’égard des maîtres d’ouvrage, en considérant que le caractère apparent du vice doit s’apprécier subjectivement, en considération de la personne du maître d’ouvrage (Cass, 3ème civ, 16 février 2022, n° 21-12828), de qui il n’est pas attendu de connaissances particulières dans le domaine de la construction.
C’est ainsi que, dans un arrêt en date du 14 décembre 2022 (Cass, 3ème civ, 14 décembre 2022, n° 21-19.377 ; n° 21-19.547), la Cour de cassation devait considérer que :
« 9. La cour d’appel, par une analyse de la portée de l’avis écrit de M. [O], préposé de la CPAM qui avait procédé à une visite de contrôle des installations avant la réception, dont elle a reproduit les conclusions sans en dénaturer les termes, a souverainement retenu que les constatations localisées et non exhaustives de ce technicien, portant sur le cheminement des câbles, quelques non-conformités et des défauts d’exécution ainsi que le doute émis par celui-ci sur un éventuel vieillissement prématuré de l’installation et sur ses performances en régime normal de fonctionnement, ne caractérisaient pas le caractère apparent à la réception des vices de conception et d’exécution affectant le système global de câblage dans son ensemble, ne permettant pas à celui-ci d’atteindre le débit contractuellement garanti d’un gigabit par seconde, ni les dysfonctionnements de 5 % des prises numériques qui n’avaient pas été vérifiées, lesquels ne pouvaient se révéler qu’en régime permanent et après une mise en service totale.
Mais la bienveillance à ses limites, ce que la Haute juridiction a déjà rappelé dans un arrêt en date du 16 novembre 2017 (Cass, 3ème civ, 16 novembre 2017, n° 16-24.537), au titre de désordres de fissurations sur des façades, pour avoir retenu la notion de désordre apparent du fait de l’existence de réserves sur le procès-verbal de réception pour des fissurations affectant le ravalement et la mise en place immédiate d’un contrôle de leur évolution, ce qui traduisait une conscience « d’une atteinte à la structure du bâtiment au-delà du seul aspect esthétique ».
La Cour de cassation va beaucoup plus loin dans son arrêt en date du 25 mai 2023 (destiné à la publication), dès lors que le désordre déclaré portait sur un défaut d’étanchéité à l’eau, alors que les désordres réservés consistaient en un défaut d’étanchéité à l’air.
Pour soumettre les désordres déclarés au régime des désordres apparents, et exclure ainsi le bénéfice de la garantie décennale, la Haute juridiction considère que les désordres réservés « étaient appelés à s’aggraver avec l’usage normal des fenêtres, ils étaient en germe et prévisibles dans leur ampleur et leurs conséquences dès la réception, le défaut d’étanchéité à l’air alors signalé emportant nécessairement un défaut d’étanchéité à l’eau ».
La décision peut apparaitre sévère pour le maître d’ouvrage, alors que l’expert judiciaire avait conclu dans son rapport que si le procès-verbal de livraison faisait état de réserves portant sur l’étanchéité à l’air des fenêtres, il s’agissait de désordres de nature évolutive ne permettant pas à l’acquéreur d’en connaître l’ampleur et la gravité au moment de leur constatation dès la réception de l’ouvrage.
A n’en pas douter, la cour d’appel, dont il est rappelé par la Haute juridiction qu’elle est souveraine dans son appréciation, a trouvé suffisamment d’éléments dans le rapport d’expertise judiciaire pour considérer que l’acquéreur, qui s’était montré particulièrement exigent en cours de chantier sur le sujet de l’étanchéité des menuiseries, ne pouvait raisonnablement pas ignorer que les défauts d’étanchéité à l’air constatés au jour de la livraison, du fait de leur importance, impliqueraient nécessairement à terme des désordres d’infiltrations à l’eau, compte tenu de la « piètre qualité » des travaux réalisés qui avait été dénoncée en cours de chantier.
Force est de constater que la Haute juridiction reste fidèle à son analyse subjective de la notion de désordre apparent, selon la personne du maître d’ouvrage ou de l’acquéreur en VEFA, non pas seulement en considération de ses connaissances techniques, mais également de sa bonne foi.
En dernier lieu, la Haute juridiction en vient à crucifier les derniers espoirs de l’acquéreur qui n’avait pas engagé de procédure judiciaire à l’encontre du vendeur constructeur, au titre des désordres apparents, dans le délai de 13 mois courant à compter de la livraison de l’ouvrage, sur le fondement des dispositions combinées des articles 1642-1 et 1648 alinéa 2 du code civil.
Dans cette hypothèse, l’acquéreur se trouve définitivement forclos pour agir, sur quelque fondement que ce soit, sauf s’il justifie que le constructeur vendeur s’est expressément engagé avant l’expiration du délai de 13 mois, de façon non équivoque et dans le cadre d’une reconnaissance du droit de son acquéreur (article 2240 du code civil), à procéder à la levée des réserves (Cour d’appel de Lyon, 8ème chambre, 11 mai 2021, n° 17/06703).
La jurisprudence considère en effet qu’il s’agit alors d’un engagement contractuel autonome du constructeur vendeur, qui a pour effet d’interrompre le délai de forclusion de l’article 1648 alinéa 2 du code civil et d’y substituer le régime de prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil.
Mais encore aurait-il fallu le soulever devant les premiers juges, ce qui n’avait manifestement pas été fait, alors que le juge, rappelle l’arrêt, n’a pas l’obligation de rechercher d’office les dispositions légales de nature à justifier une demande dont il est saisi …
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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CCMI et manquement du maître de l'ouvrage à ses obligations contractuelles
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