Précisions apportées sur la notion d’infection nosocomiale
Publié le :
12/06/2018
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Dans son arrêt du 23 mars 2018, la Haute Juridiction poursuit son œuvre de définition et de précision de la notion d’infection nosocomiale.
Sans vouloir prétendre à l’exhaustivité sur cette question, il convient néanmoins de rappeler que le régime de réparation applicable, tant dans les établissements privés que publics, est défini par les dispositions de l’article L 1142-1 du Code de la santé publique aux termes desquelles :
« Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire ».
Le principe indemnitaire s’inscrit alors dans un régime de responsabilité de plein droit, en l’absence de toute faute.
Il est toutefois admis, sur le plan intellectuel et théorique, que l’existence d’une « cause étrangère » pourrait être de nature à permettre à l’établissement de s’exonérer de sa responsabilité.
Pendant longtemps, le caractère « endogène » du germe / de l’infection, c'est-à-dire provenant de la victime, avait été considéré comme constituant une telle cause étrangère :
« Considérant que l'introduction accidentelle d'un germe microbien dans l'organisme lors d'une intervention chirurgicale révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier et engage la responsabilité de celui-ci envers la victime des conséquences dommageables de l'infection ; qu'il en va toutefois autrement lorsque l'infection, si elle est déclarée à la suite d'une intervention chirurgicale, résulte de germes déjà présents dans l'organisme du patient avant l'hospitalisation » (CE, 25 octobre 2006, n°275700).Encore fallait-il que le caractère endogène soit démontré avec un niveau de certitude suffisant :
« Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'infection déclarée par M. A à la suite des interventions chirurgicales subies en 1998, au terme d'un délai important mais habituellement observé pour l'incubation d'infections osseuses, est une infection nosocomiale en lien avec ces interventions ; que ceux des germes à l'origine de l'infection qui ont pu être identifiés appartiennent aux constituants normaux de la flore cutanée mais ne sont pas de nature anaérobie ; que l'hypothèse d'une auto-contamination n'est pas confirmée par des éléments tels que des analyses bactériologiques réalisées lors de l'hospitalisation ; que le caractère endogène de l'infection n'étant dès lors pas certain, la survenue de l'infection révèle, comme l'a jugé le tribunal administratif d'Orléans qui s'en est suffisamment expliqué, une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional d'Orléans » (CE, 2 février 2011, n°320052).Alors même que la Cour de Cassation avait abandonné le lien entre la cause étrangère et le caractère endogène dès 2007, il a fallu attendre 2011 pour le Conseil d’Etat renonce à prendre en considération une telle cause exonératoire :
« Considérant que si le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS soutient que Mlle était porteuse saine du pneumocoque lors de son admission à l'hôpital, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas de nature à faire regarder l'infection comme ne présentant pas un caractère nosocomial, dès lors qu'il ressort de l'expertise que c'est à l'occasion de l'intervention chirurgicale que le germe a pénétré dans les méninges et est devenu pathogène ; que les dispositions précitées du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font peser sur l'établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu'elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d'une cause étrangère ne soit apportée ;Considérant qu'il résulte de l'expertise que l'infection des méninges a été provoquée par l'intervention et constitue un risque connu des interventions de la nature de celle pratiquée en l'espèce ; que si l'expert a relevé qu'il était très difficile de la prévenir, il ne ressort pas de l'instruction qu'elle présente le caractère d'imprévisibilité et d'irrésistibilité qui permettrait de regarder comme apportée la preuve d'une cause étrangère » (CE, 10 octobre 2011, n°328500).
Une telle appréciation a ensuite ultérieurement été constamment confirmée, la notion de cause étrangère apparaissant alors des plus ténue :
« Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'infection de Mme A est due à des germes présents dans son organisme avant l'opération mais devenus pathogènes du fait de celle-ci ; qu'en reconnaissant à cette infection contractée à l'hôpital un caractère nosocomial, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'elle n'a pas davantage commis une telle erreur en jugeant que le seul élément invoqué devant elle par le centre hospitalier, tiré de ce que l'infection présentait un caractère endogène, ne permettait pas de regarder comme rapportée la preuve d'une cause étrangère » (CE, 14 décembre 2011, n°330644).« Considérant que la cour administrative d'appel a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation et en se fondant notamment sur le rapport de l'expert commis par le tribunal de grande instance de Tours, que M. B n'était atteint d'aucune infection à son admission au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE TOURS en vue de l'opération du 19 novembre 2002, que l'infection qu'il a subie par la suite était présente avant sa sortie de l'établissement et qu'elle constituait une suite de cette intervention ; qu'en reconnaissant à cette infection contractée à l'hôpital le caractère d'une infection nosocomiale de nature à engager la responsabilité de l'établissement, la cour a fait une exacte application des dispositions de la loi ; que dès lors que l'infection est une conséquence des soins et ne peut de ce fait être regardée comme un événement extérieur à l'activité hospitalière, la cour n'a pas davantage méconnu ces dispositions en jugeant que le centre hospitalier universitaire n'apportait pas la preuve d'une cause étrangère exonératoire de sa responsabilité, alors même que l'infection résulterait d'une évolution de la nécrose postopératoire survenue sous l'effet de germes endogènes sans qu'il y ait eu manquement aux règles d'asepsie » (CE, 13 février 2012, n°336293).
« Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère " ; que ces dispositions font peser sur l'établissement de santé la responsabilité des dommages résultant des infections nosocomiales, qu'elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d'une cause étrangère ne soit apportée » (CE, 26 novembre 2012, n°344862 ; CE, 15 mai 2013, n°348818).
En 2013, la Haute Juridiction administrative a apporté d’utiles précisions sur la définition même de l’infection nosocomiale.
Le Conseil d’Etat a ainsi retenu que :« Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère " ; que si ces dispositions font peser sur l'établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu'elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d'une cause étrangère soit rapportée, seule une infection survenant au cours ou au décours d'une prise en charge et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale » (CE, 21 juin 2013, n°347450).
Aux termes de cette jurisprudence, il apparaît donc que la notion même d’infection nosocomiale n’a pas vocation à s’appliquer s’il existait un foyer infectieux déclaré avant l’admission, c'est-à-dire une infection d’acquisition communautaire, ou si l’infection était en incubation à l’admission dans l’établissement public de santé.
Les commentateurs éclairés relevaient alors que la définition retenue par le Conseil d’Etat s’écartait d’une logique de géolocalisation de l’infection et se rapprochait de la définition épidémiologique retenue notamment par le comité technique des infections nosocomiales (Caroline Lantero, « une infection déclarée à l’hôpital n’est pas nécessairement une infection contractée à l’hôpital », AJDA 2013, p.2171).
Cette jurisprudence a été ultérieurement réaffirmée en des termes identiques (CE, 29 décembre 2014, n°367312 ; CE, 30 décembre 2014, n°366415 ; CE, 15 avril 2015, n°367276 ; CE, 23 décembre 2015, n°375286).
Dans un arrêt récent, le Conseil d’Etat a confirmé cette jurisprudence mais en précisant également que le caractère nosocomial de l’infection devra être écarté si l’infection a une origine autre que la prise en charge :
« Considérant qu'aux termes du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissement, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins " sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère " ; que doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge » (CE, 23 mars 2018, n°402237).En l’espèce, la patiente avait été victime d’un AVC qui avait entrainé des troubles de la déglutition et, lors de son hospitalisation, un reflux gastrique et une inhalation du liquide gastrique par les bronches.
Selon la Haute Juridiction, l’absence de lien entre l’infection et les actes pratiqués ou le séjour même au sein de l’établissement fait obstacle à la reconnaissance de la notion d’ « infection nosocomiale » et à l’application des dispositions de l’article L 1142-1 du Code de la santé publique :
« Considérant, d'une part, que la cour administrative d'appel a souverainement retenu, conformément aux conclusions du rapport d'expertise, que l'infection contractée par Mme C...en janvier 2003, au cours de son séjour au CHI d'Elbeuf-Louviers-Val de Reuil, avait été causée par la régurgitation du liquide gastrique, qui avait pénétré dans les bronches de la patiente en raison d'un trouble de la déglutition consécutif à l'accident vasculaire cérébral dont elle avait été victime ; qu'en déduisant de ces constatations, dont il résultait que l'infection était la conséquence non des actes pratiqués dans le cadre de la prise en charge de la patiente ni de son séjour dans l'environnement hospitalier mais de la pathologie qui avait nécessité son hospitalisation, que le dommage n'était pas dû à une infection nosocomiale au sens des dispositions citées ci-dessus du code de la santé publique, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ».
En d’autres termes, l’apparition d’une infection pendant une hospitalisation, alors qu’elle était ni présente ni en germe à l’admission, n’implique qu’une présomption simple de caractère nosocomial qui pourra être renversée par l’établissement s’il démontre l’absence de lien avec les conditions de prise en charge du patient.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Flavien MEUNIER
Avocat Associé
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