Abandon de poste

L’abandon de poste valant démission : Comment ça marche ? (Ou pas)

Publié le : 15/03/2023 15 mars mars 03 2023

Face à la recrudescence des abandons de postes stratégiques destinés à forcer la main de l’employeur dans le sens d’une rupture permettant d’obtenir les indemnités POLE EMPLOI, le législateur a prévu un mécanisme de stigmatisation de l’abandon de poste, permettant à l’employeur d’en tirer les conséquences d’une démission avec toutes les conséquences, notamment au regard de l’absence de droits à POLE EMPLOI.
Mais n’est-ce pas une vraie fausse bonne idée ?

I – Le mécanisme du nouvel article L. 1237-1-1 du Code du Travail 

Les dispositions de l’article L. 1237-1-1 du Code du Travail ont donc été modifiées par la Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, qui doit être complétée par un Décret à venir dont on connaît aujourd’hui les contours et qui est annoncé pour la fin du mois de mars 2023.

Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier de son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge (c’est déjà tout un programme pour quelqu’un qui a abandonné son poste…), dans le délai fixé par l’employeur (mais qui doit en fait être fixé dans le Décret à venir), est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.

Le salarié qui conteste la rupture sur ce fondement peut saisir le Conseil de Prud’hommes, sans préalable de conciliation, le Conseil devant comme dans un certain nombre de cas statuer dans le délai d’un mois à compter de la saisine.

Le délai à la discrétion de l’employeur pour justifier de l’absence ou reprendre le poste ne peut en fait être inférieur à un minimum fixé par Décret en Conseil d’Etat. (15 jours semble-t-il dans le Décret amorcé).

En soi, le simple exposé du nouvel article du Code du Travail démontre son impréparation et son incohérence (une lettre remise en main propre pour quelqu’un qui a abandonné son poste, le droit de saisir le Conseil de Prud’hommes avec un dispositif accéléré dont tout le monde sait qu’il n’est pratiquement jamais respecté, le délai fixé par l’employeur qui en fait obéit à une règle fixée par Décret…).

Tout ceci ne présage rien de bon.

II – Les étapes à respecter pour obtenir un abandon de poste équivalant à une démission 

Etape 1 :

Le salarié doit être absent sans justificatif.

Etape 2 :

Mise en demeure : la mise en demeure en pratique ne pourra se faire que par lettre recommandée avec accusé de réception, la remise en main propre prévue par le texte étant évidemment parfaitement théorique. Un délai doit être indiqué dans la lettre de mise en demeure pour reprendre le travail ou justifier d’un motif valable d’absence
Le texte prévoit un délai fixé par l’employeur, mais qui en fait s’annonce comme étant au minimum de 15 jours calendaires, eu égard au Décret qui est annoncé pour la fin du mois de mars.

Le texte est silencieux quant à l’obligation de prévenir le salarié et dans quelle mesure de détail des conséquences de sa non-réponse ou de sa non-reprise du travail et de son droit éventuel de saisir le Conseil de Prud’hommes si l’employeur constate la démission à l’issue du délai fixé.

Il est clair que l’absence d’information sur les conséquences de la démission notamment au regard de POLE EMPLOI, dans la lettre de mise en demeure est susceptible de remettre en cause la validité du processus et il y a beaucoup trop d’interrogations pour qu’un employeur se lance sereinement dans une opération de ce type, sans donner toutes les informations au salarié pour éclairer sa décision finale.

Si les informations sont données concernant notamment les conséquences de la démission, dans bon nombre de cas le salarié qui escomptait obtenir POLE EMPLOI, reprendra son poste ou trouvera un autre motif de rupture pour forcer la main de son employeur sur des registres beaucoup plus difficiles à gérer, type harcèlement, discrimination, ou toute autre incrimination dont malheureusement dans un certain nombre ce cas, l’employeur fait l’objet dans un cadre stratégique de la part du salarié (ce qui n’est pas d’ailleurs sans poser de problème par rapport aux situations réelles de harcèlement ou de discrimination qui ont tendance à être noyées dans le flot des invocations stratégiques).

Etape 3 : 

L’employeur constate la démission par l’envoi des documents de fin de contrat.

III – Les interrogations posées par le le nouveau mécanisme 

Le nouveau mécanisme paraît poser beaucoup plus de questions qu’il n’en ressort, et contrevient aux principes fondamentaux du droit du travail qui interdisent la rupture du contrat autrement que par l’expression d’une volonté claire et non équivoque en matière de démission.

Le contenu de la mise en demeure, s’il est trop léger, risque de compromettre la validité même de la mise en demeure, et une information complète risque de mettre à néant cette mise en demeure, le salarié prenant alors conscience des conséquences préjudiciables pour lui dans bon nombre de cas, notamment au titre de l’absence d’allocations POLE EMPLOI.

A cet égard, le délai de 15 jours calendaires paraît très important et l’employeur peut ne pas pouvoir attendre un tel délai, eu égard à l’importance du poste du salarié dans l’entreprise.

L’abandon de poste constitue par ailleurs une faute grave, assez incompatible avec le délai de 15 jours pour réfléchir à savoir si l’on doit reprendre ou non son poste, au regard de toute la jurisprudence en matière d’abandon de poste.

Le risque prud’homal est considérable et l’absence totale de visibilité sur les décisions à venir constitue un obstacle rédhibitoire pour les employeurs soucieux de sécurité.

Rappelons enfin que le dispositif n’est pas applicable à la période d’essai, ni au CDD qu’en matière de salarié protégé, l’autorisation de l’administration restera nécessaire.

IV – Recommandations :

Au bout du compte, le bilan est plutôt insatisfaisant et l’employeur qui a besoin de sécurité dans ses décisions et dans la détermination des situations, n’a pas intérêt à s’engager dans la mise en œuvre du processus nouveau de l’article L. 1237-1-1 du Code du Travail pour préférer les méthodes recommandées actuellement qui ont fait leur preuve, qui sont plus sécurisées et qui ont pour seul inconvénient de laisser ouverts les droits du salarié à POLE EMPLOI, mais l’employeur n’est pas chargé de faire la police des indemnités POLE EMPLOI.

Dès lors, la constatation d’un abandon de poste dans le cadre d’une mesure disciplinaire et singulièrement d’une faute grave qui reste possible est à privilégier.

Rappelons qu’il convient dès la constatation de l’abandon de poste de mettre en demeure le salarié de reprendre sans aucun délai son travail ou de justifier d’un motif réel et valable d’absence, et ce sans aucun délai.

A défaut, la convocation à entretien préalable avec mise à pied conservatoire est adaptée, suivie d’un licenciement pour faute grave, privative de droits à indemnité et à préavis, mais pas de droits à POLE EMPLOI.

Cette réforme est en fait une vraie fausse bonne idée.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

VACCARO François
Avocat Associé
ORVA-VACCARO & ASSOCIES - TOURS, ORVA-VACCARO & ASSOCIES - PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
TOURS (37)
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