La contestation des honoraires, une épreuve violente pour l'avocat

Publié le : 01/02/2008 01 février févr. 02 2008

Posez la question à un élève-avocat qui se trouve au sein de l’école depuis plusieurs mois de ce qu’évoque, pour lui, la taxe des honoraires. Il vous répondra qu’il s’agit, d’après ce qu’il en a confusément compris, d’un sujet « tabou ». Si j’ose dire, cela commence mal!

Avocats et honorairesPourtant une telle réflexion n’est guère étonnante lorsque l’on relève, au titre des reproches les plus souvent dirigés à l’encontre de la profession d’avocat, celui d’une absence de prévisibilité et de lisibilité du coût de l’intervention de ce professionnel.

1. UNE TERMINOLOGIE SYMPTOMATIQUE D'UN MALAISE
2. UN POINT COMMUN À TOUS LES AVOCATS : LA RÉTICENCE À RECOURIR À LA TAXE
3. LA VIOLENCE DU PROCESSUS
4. CONCLUSION


1. UNE TERMINOLOGIE SYMPTOMATIQUE D’UN MALAISE

« La taxation des honoraires d’avocat », c’est l’intitulé de notre colloque d’aujourd’hui...

Vous êtes-vous déjà interrogés sur cette terminologie?

C’est une terminologie qui est porteuse, en elle-même, du malaise et du paradoxe que contient la question des honoraires.

Pourquoi ?

Tout simplement parce que les termes de « taxe » et de « taxation » correspondent étymologiquement à des coûts définis par un barème, ce qui est à l’opposé de la définition de l’honoraire qui, précisément, est libre...

Pas de tarif, pas de taxation des honoraires, pas de juge taxateur, contrairement à ce qu’il en est des émoluments de postulation.

L’on ne devrait donc pas parler de taxe des honoraires mais d’arbitrage des honoraires, procédure dont la nature et le sentiment qu’elle inspire sont bien différents, nous le savons tous, de la taxation des états de frais de postulation.

2. UN POINT COMMUN À TOUS LES AVOCATS : LA RÉTICENCE À RECOURIR À LA TAXE

Ont été développées devant vous, avant mon propos, deux visions a priori radicalement différentes de l’avocat :

- l’avocat partenaire de justice, tout empreint de tradition,

- l’avocat prestataire de services, plongé dans le droit des affaires et l’activité économique, en un mot, dans le marché.
Ces deux confrères ou, du moins, ceux qu’ils représentent, ont un point commun : la réticence à recourir ou à subir une procédure d’arbitrage de leurs honoraires.

Pourquoi une telle réticence « partagée », dont j’ai pu constater, de surcroît, lors du petit « radio Barreau » auquel je me suis livrée, qu’elle n’était nullement une question de génération ?

Pourquoi, alors que tous s’accordent à dire que, quelle que soit la vision traditionnaliste que l’on a aujourd’hui de la profession, les contraintes économiques que nous subissons dans nos cabinets nous interdisent de traiter par le mépris la contestation d’une rémunération dont nous avons le sentiment qu’elle est légitimement due.

La réponse est peut-être multiforme...

• Du côté de l’avocat issu du monde judiciaire (puisque certains d’entre nous exècrent le terme d’ »avocat de souche » !), l’on peut expliquer aisément cette réticence par le mépris dans lequel, depuis des siècles, l’on nous a appris à tenir la question de l’argent.

Comme le disait Montesquieu, l’argent est estimable seulement quand on le méprise.

Ayons également à l’esprit que ce n’est finalement que depuis une date récente que nous sommes autorisés :

- à détenir des fonds pour nos clients,

- à les mouvementer, sous le contrôle efficace des C.A.R.P.A.,

- et également à recouvrer judiciairement nos honoraires impayés, puisqu’au XXe siècle encore, précisément jusqu’en 1957, au nom des principes de probité, de désintéressement et de modération, il était interdit à l’avocat de poursuivre le recouvrement judiciaire de son honoraire.

Je vois déjà nos confrères, anciens conseils juridiques, sourire devant ces principes qui paraissent, comme l’écrivait M. Karpik , « situer le métier hors du monde et inscrire l’avocat dans le complet détachement des intérêts matériels ».

Marqué au fer de la théorie de l’honoraire ressenti comme un don, l’avocat traditionnel est voué à se sentir mal à l’aise dans une procédure d’arbitrage de son honoraire.

• Pourquoi donc alors ce sentiment de malaise existe, d’une façon quasiment aussi forte, chez nos confrères anciens conseils juridiques, qui forment depuis 1992 avec les avocats traditionnels la nouvelle profession ?

« Protégés » de la culture du Palais, ils devraient recourir à, ou subir, l’arbitrage de leurs honoraires sans la moindre difficulté.

Il n’en est rien.

Interrogés quant à l’abstention qu’ils pratiquent volontiers quant au recouvrement judiciaire de leurs factures, ils s’en expliquent, la plupart du temps, par un mot : « négligence »...

Cette pseudo-négligence, de la part de ceux qui gèrent le plus souvent leur cabinet « au cordeau », est bien étrange...
En réalité, là n’est pas, le plus souvent, l’explication réelle: l’arbitrage des honoraires est, pour nous tous, quelle que soit notre origine professionnelle, une épreuve violente, humiliante, dévalorisante.

3. LA VIOLENCE DU PROCESSUS

La violence du processus va être ressentie par l’avocat à différents niveaux.

Dans le rapport avec le client d’abord, la nécessité de recourir à la taxe ou de faire l’objet d’une contestation de notre honoraire va souvent nous inspirer un sentiment de trahison.

Il est étrange (et révélateur) de constater, quand on assume les fonctions de Bâtonnier de l’Ordre (ou qu’on en est le délégataire), que le confrère qui se trouve au centre d’une procédure de fixation de ses honoraires va souvent expliquer à quel point il s’est particulièrement dévoué, pour ce client-ci, ressentant alors la contestation comme une véritable insulte à la valeur de son travail.

Mais en même temps, c’est la violence du conflit, la violence de la procédure à laquelle, comme nos clients, nous voilà confrontés...

Désaccord sur la conduite du dossier, décision défavorable, mise en cause de la responsabilité, discussion et contestation bien tardive sur des honoraires convenus : toutes situations qui nous agressent et placent l’avocat sur la défensive.

Mais la violence ne s’arrête pas là.

Elle va beaucoup plus loin avec la nécessité dans laquelle nous nous trouvons, au cours de cette procédure, de supporter une véritable intrusion dans la relation qui s’est instaurée avec notre client :

- intrusion du Bâtonnier d’abord, ou de son délégataire, devant lequel nous allons devoir « ouvrir » notre dossier, pas seulement dans ce que ce dossier recèle quant à la rémunération de l’avocat, mais aussi, et surtout, quant aux diligences que nous avons accomplies.., et à la façon dont nous les avons accomplies !

- plus difficile peut-être encore est vécue par l’avocat la même intrusion, obligatoire, du Premier président ou de son délégataire qui, à travers le contrôle qu’il va effectuer des prestations accomplies et de leur évaluation, va nécessairement porter un jugement qualitatif sur le travail accompli, appréciation critique que sollicite d’ailleurs, le plus souvent, le client contestataire...

Violence que de se trouver face au magistrat, dans un rapport dénué de distance, face, de surcroît, à « notre » juge, à « notre » Premier président (le privilège de compétence de l’article 47 ne s’appliquant pas ici)...

Violence que de devoir nous justifier...

Violence que de devoir être notre propre avocat et de nous trouver ainsi « réduits » au rang de plaideur...

Violence que de subir l’appréciation de notre travail au regard des critères de l’article 10, critères personnalisés s’il en est - la notoriété de l’avocat, l’évaluation du prix de la prestation -, le tout valant jugement sur nos capacités elles-mêmes, sur notre compétence, sur notre diligence, etc.
Violence, en conclusion, que de vivre l’appréciation du prix de notre prestation comme un jugement de valeur sur nous-même.

Voilà, bien loin de la technique, quelques pistes de réflexion sur notre pratique d’arbitrage des honoraires, heureusement rare dans notre quotidien.

4. CONCLUSION

Quelle est la « formule magique » qui nous permettra à nous, avocats, sans distinction d’origine ou de parcours professionnel, d’aborder la remise en cause de nos honoraires sereinement ?

Ne nous leurrons pas.

La relation « quasi-affective » avec notre client existera je pense toujours, et c’est tant mieux.

Nous ne sommes pas encore les marchands du temple !

Mais au-delà de cette relation, et une fois évacué le sentiment de trahison que j’évoquais tout à l’heure, ne peut-on imaginer « un monde meilleur » ? Par exemple, un monde dans lequel la contractualisation des honoraires dans des termes clairs, accessibles et acceptés par notre clientèle, mais aussi homologués par les magistrats, nous permettrait (alliée à l’analyse de notre outil de travail et à sa meilleure connaissance par la maîtrise des coûts de gestion) de sortir de ce « petit cauchemar »... pour faire de la procédure d’arbitrage des honoraires d’avocats une procédure comme une autre.

Liens- Avocat.
- Honoraires.
- Le coût d'un avocat. Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

VISIER-PHILIPPE Christine

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